Condition de validité de la poursuite pénale des propos diffamatoires dans un forum sur internet

Publié le 02/06/2014 Vu 5 102 fois 2
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Quelles sont les conditions de validité d'une plainte pénale contre des propos diffamatoires dans un forum de discussion sur internet ?

Quelles sont les conditions de validité d'une plainte pénale contre des propos diffamatoires dans un forum d

Condition de validité de la poursuite pénale des propos diffamatoires dans un forum sur internet

Le 11 mars 2014, la Cour de cassation a jugé que pour être valable la plainte pénale contre plusieurs propos diffamatoires dans un forum de discussion sur internet doit contenir l’articulation précise et détaillée des faits de nature à être sans difficulté, l'objet d'une preuve ou d'un débat contradictoire pour chacun des propos individuellement. (Cass. Civ. I, 11 mars 2014, Pourvoi n°13-11706)

En l'espèce, le site internet lesarnaques.com a publié sous différentes adresses URL les messages suivants de la part de différents internautes :

« Si vous pouviez m'indiquer vos coordonnées je suis très intéressé par la mise en place d'un collectif car je me suis brillamment fait arnaquer, plus moyen de joindre la personne rencontrée initialement. ( ... ) je compte mettre en route mon assistance juridique pour obtenir le blocage des versements d'un crédit facilitant le paiement de ce qu'il faut bien appeler des honoraires perçus indument (sic) » ;

« Le 1er prélèvement doit avoir lieu en septembre (alors que l'agent ns avait dit que ce serait seulement en octobre... ) ; bien sûr je n'arrive pas à joindre ce monsieur (sic) » ;

- « Je suis bien entendu tombé sur ce forum qui contient un grand nombre de plaintes liées à la vente forcée (¿)
« A quand un dossier dans « Que Choisir » ou dans « 60 millions de consommateurs » sur le business des ventes en pap et la multitude de coquilles vides existante ? Je vais les contacter pour voir si un papier peut être fait sur le sujet (sic) » ;

- « DANIELLE52 a écrit : bonjour, je te conseille de faire l'opposition rapidement auprès de ta banque. Est-ce par RIB pour prélèvement ou par CB ? par CB il te suffit d'expliquer à ta banque que tu as subi une arnaque et que tu désires faire opposition (...) » ;

- « Nous avons campé sur nos positions, sur conseils d'un avocat. Dans la mesure où il ne s'agit pas d'un prêt... que PE arnaque les clients dans la procédure ... Nous attendons » ;

- « Mais il faut se rendre à l'évidence : on a payé pour rien.
( ... ) Si on résume :
Choix 1 : Partenaire européen : on paye plus de 1 000 euros pour absolument aucun résultat (malgré les « monts et merveilles » annoncés).
( ... ) Bref : on commence à être de plus en plus motivés pour les poursuivre en justice pour publicité mensongère (sic) » ;

- « Je voudrais arrêter cette arnaque mais comment je dois faire ? (sic) » ;

- « (¿) sofinco est complice de cette arnaque ; (...) on doit gagner et devons être les plus forts contre ces (supprimé)s! c'est un abus de faiblesse ! » (sic);

- « DANIELLE52 a écrit :
Bonjour Martine 78, envoyez moi en réponse privée vos coordonnées afin que je puis définir si vous n'êtes pas une taupe de ces (censuré). Ensuite je pourrai vous envoyez mon témoignage.
Cordialement.
Danielle, bsr non je ne suis pas une taupe! ( ... ) (sic) » ;

- « ( ... ) et nous avons fait la bêtise de signer leur contrat. Depuis la signature du contrat de diffusion le 23.05.2011, nous n'avons reçu aucun appel ou aucun mail d'une personne intéressée par notre bien. Par contre, tous les mois, une somme de 250 euros est prélevée et le sera pendant 18 mois ... » ;

- « j'ai tenté de les contacter et la réponse faite à mon argument « c'est facile d'abuser des personnes de 61 ans qui ne comprennent rien à vos modes de diffusions » a été « A 61 ans ont est pas sénile, Madame ! » ;

- « Je me permets de vous rejoindre dans vos discussions au sujet du Partenaire européen. Au vu de vos commentaires, je crains être au début d'une « relative » arnaque (...)
D'après vos commentaires, je sens que je me suis fait tout simplement « berné » par ce système pas très clair.
PE est là pour vous passer la pommade, promettre monts et merveilles mais aussi prendre l'argent bien entendu.
Ils ne se soucient guère de vendre ou pas votre bien » ;

- « Alors celle-là, elle est bonne et les gens du Partenaire européen sont des « Bons », dans leur genre. J'ai reçu la lettre du Partenaire Européen et dans cette lettre, il y a un lien qui renvoie sur les Arnaques.com. J'avoue que je n'ai pas bien compris l'astuce, quand on connait leurs méthodes et qu'on a été arnaqué comme moi (sic) » ;

- « Comme beaucoup d'internautes, j'ai l'impression de m'être fait arnaquer par Le Partenaire européen.
Le démarcheur m'a fait signer un document de crédit sofinco avec des mensualités sans intérêt (étrange) et a encaissé la modique somme de 2 650 euros » ;

- « Je sais que ma réponse ne vous aide pas mais je suis estomaqué par ce que je lis sur cette société ».

La société Le Partenaire européen, qui diffuse des annonces à caractère immobilier sur divers supports, a assigné en diffamation et parasitisme le site internet Lesarnaques.com afin notamment de faire supprimer les messages diffamatoires précités.

Les juges d'appel ont débouté la société Le Partenaire européen de ses demandes au titre du parasitisme.

En effet, les juges ont estimé qu'aucune faute n'est susceptible d'être commise par l'exploitant d'un site Internet qui se place indûment dans le sillage d'une entreprise, en utilisant, de façon répétée et abusive, la dénomination sociale de celle-ci dans son code source afin d'obtenir un meilleur référencement de son site sur les moteurs de recherche et d'attirer, par ce moyen, les internautes sur son site.

Pour valider l'appréciation des juges d'appel la Cour de cassation a pris en considération le fait que la société avait elle-même oeuvré à la mise en place d'une adresse mail dédiée à la réception des réclamations éventuelles de ses clients telles qu'exprimées dans des messages publiés sur le site Les Arnaques.com.

La Cour de cassation a jugé sur ce point que :

« l'optimisation de ce site en vue de faciliter l'accès des internautes aux informations, échanges et discussions qu'il contient ne constituait pas un procédé déloyal visant à tirer profit de la notoriété de la société par un usage abusif de son nom ».

Il résulte de cette décision que le choix d'insérer une dénomination commerciale dans le code source d'un site Internet ne relève pas de la responsabilité de l'exploitant de celui-ci.

Autrement dit, l'usage, de façon répétée et sans raison valable, de la dénomination sociale d´une société, dans le but d'obtenir un meilleur référencement d´un site sur les moteurs de recherche, ne constitue pas un acte de parasitisme illicite.

S'agissant de la diffamation, la Cour de cassation a rappelé le principe selon lequel :

« la liberté d'expression est un droit dont l'exercice revêt un caractère abusif dans les cas spécialement déterminés par la loi ».

Or, selon la loi, pour être diffamatoire une allégation ou une imputation doit se présenter sous la forme d'une articulation précise de faits de nature à être sans difficulté, l'objet d'une preuve ou d'un débat contradictoire (article 29 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse).

Les juges d'appel avaient jugé que dix-huit des vingt messages incriminés postés sous differentes adresses URL contenaient des propos portant atteinte à l'honneur et à la considération de la société :

- en accusant directement ou par voie de reproduction cette société d'arnaquer ses clients, d'employer des méthodes douteuses, telles que la vente forcée ou l'offre de services inexistants ;

- en insinuant que cette société délaisse ses clients, pratique de la publicité trompeuse et se fait rémunérer pour des services ne débouchant sur aucun résultat ;

- en laissant entendre l'existence d'une arnaque par cette société en abusant notamment de la faiblesse de certains clients ;

- en insinuant l'infiltration par cette société de forum de discussions sur internet par des « taupes ».

La cour d'appel avait aussi et surtout jugé que :

« le caractère diffamatoire doit s'apprécier à l'aune de l'indivisibilité de ces messages postés dans le cadre d'un forum de discussion, qui plus est dénommé « lesarnaques.com », ayant pour objet premier de créer sur un même sujet, en l'occurrence les pratiques de la société Le Partenaire européen, une interactivité entre les internautes ; que chacun de ces messages doit ainsi être lu, interprété et compris à la lumière des autres auxquels il répond ou il sera répondu ».

Cependant, la cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt d'appel car :

« pour être diffamatoire, une allégation ou une imputation doit se présenter sous la forme d'une articulation précise de faits de nature à être sans difficulté, l'objet d'une preuve ou d'un débat contradictoire et qu'en retenant que la diffamation doit s'apprécier à l'aune de l'indivisibilité de ces messages qui doivent être lus, interprétés et compris à la lumière des autres auxquels ils répondent ou il sera répondu, sans caractériser pour chacun d'eux l'allégation de faits de nature à être sans difficulté, l'objet d'une preuve ou d'un débat contradictoire, la cour d'appel a violé les textes susvisés [l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881] ».

Cette décision est intéressante en ce qu'elle fixe les conditions de validité de la poursuite de propos diffamatoires sur internet, les blogs et les réseaux sociaux.

Tout d'abord, il conviendra de constater que la Cour de cassation n'a pas considéré que les appréciations touchant les produits, les services ou les prestations d'une entreprise industrielle ou commerciale sont susceptibles de constituer un acte de dénigrement mais bien des propos diffamatoires.

Cette position vient rappeler que le délit de diffamation est susceptible de s'appliquer même lorsque les commentaires et avis laissés par les clients de professionnels sur internet concernent les produits, services ou prestations d'une société.

À cet égard, cet arrêt s'inscrit en contradiction avec une tendance récente, notamment de la cour d'appel de Paris, qui tend à considérer que le dénigrement doit s'appliquer en cas de    « comportement déloyal consistant à répandre des appréciations touchant les produits, les services ou les prestations d’une entreprise lorsqu’elles portent atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne physique ou morale qui l’exploite ». (CA Paris, Pôle 1 - Chambre 2, 21 novembre 2013, Numéro RG : 12/23396)

Or, le choix du fondement juridique du dénigrement plutôt que celui de la diffamation a l'avantage de permettre à la victime d'agir beaucoup plus facilement et plus longtemps.

Plus longtemps : 5 ans pour le dénigrement, au lieu de 3 mois pour la diffamation.

Ces délais de prescription se décomptent à partir du jour de la première publication des propos litigieux, autant dire que la poursuite en diffamation suppose que la victime ait été extrêmement vigilante et réactive.

Plus facilement, car la loi sur la liberté de la presse de 1881 protège la liberté d'expression en posant des conditions de validité des poursuites très strictes et à peine de nullité irrattrapable.

À cet égard, l'arrêt de la Cour de cassation rappelle une de ces conditions de validité des actions en diffamation contre des messages postés dans le cadre d'un forum de discussion sur internet.

La cour indique que chacun des messages diffamatoires ne peut pas s'apprécier à l'aune de l'indivisibilité de l'ensemble des messages.

Au contraire, les messages diffamatoires doivent être lus, interprétés et compris individuellement et non pas à la lumière des autres auxquels ils répondent ou il sera répondu.

Ainsi, en cas de propos portant atteinte à l’honneur et à la considération dans plusieurs messages distincts diffusés dans un forum de discussion, la victime doit motiver le caractère diffamatoire de chacun des messages pris individuellement et caractériser pour chacun des messages litigieux l'allégation de faits de nature à être sans difficulté, l'objet d'une preuve ou d'un débat contradictoire.

Le défaut d’articulation précise des faits dans le corps de la citation ou de l'assignation entache la procédure de nullité, conformément à l'article 53 de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881.

Je suis à votre disposition pour toute action ou information (en cliquant ici).

PS : Pour une recherche facile et rapide des articles rédigés sur ces thèmes, vous pouvez taper vos "mots clés" dans la barre de recherche du blog en haut à droite, au dessus de la photographie.

Anthony Bem
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