J'envisagerai ci-après les points suivants :
- la décision du 12 juillet 2011 de la formation contentieuse de la CNIL (1) ;
- le conflit entre le principe de publicité des décisions de justice et le droit au respect de la vie privée des personnes (2) ;
- la Consécration d’un droit à l'oubli sur internet (3).
1) La décision du 12 juillet 2011 de la formation contentieuse de la CNIL
En l’espèce, l'association LEXEEK a pour objet de : « En un mot, tout mettre en œuvre pour permettre l'accès public et gratuit aux ressources juridiques ».
Cette association publiait des décisions de justice non anonymisées sur son site Internet.
Ainsi, des particuliers ont découvert que des décisions de justice les désignant nommément étaient publiées sur le site Internet de LEXEEK.
Mais le libre accès aux décisions de justice nominatives sur Internet peut être source de préjudices personnel, moral, psychologique, professionnel, matériel, etc …
A titre d’exemple, la CNIL rapporte que l’un des plaignants s'est vu refuser un poste après que son potentiel employeur ait, via une recherche sur le moteur de GOOGLE, consulté une vieille décision judiciaire le concernant sur le site de LEXEEK.
En vain, les plaignants avaient sollicité l'anonymisation de ces décisions auprès du responsable de l'association.
C’est dans ce contexte que la CNIL a été saisie de diverses plaintes.
En effet, par une recommandation du 29 novembre 2001, relative à la diffusion des données personnelles sur Internet, la CNIL préconisait que les éditeurs de bases de données de décisions de justice librement accessibles s'abstiennent d'y faire figurer le nom et l'adresse des parties ou témoins au procès, quels que soient l'ordre et le degré de juridiction ainsi que la nature du contentieux.
Le 12 juillet 2011, la formation contentieuse de la CNIL a sanctionné LEXEEK en la condamnant à :
- payer une amende de 10.000 euros ;
- cesser la diffusion sur Internet de décisions de justices non anonymisées ;
- publier la décision par voie de presse.
Enfin, la CNIL a dénoncé ces faits au Procureur de la République afin que des poursuites pénales puissent éventuellement être engagées à l'encontre de l'association.
Selon le communiqué de la CNIL « cette décision de sanction traduit la ferme volonté de la CNIL de faire respecter cette recommandation protectrice de la vie privée des personnes et de garantir un véritable droit à l'oubli sur internet ».
Cette décision présente cependant un conflit entre le principe de publicité des décisions de justice et le droit au respect de la vie privée des personnes.
2) Le conflit entre le principe de publicité des décisions de justice et le droit au respect de la vie privée des personnes
Il existe un conflit entre, d’une part, le principe de publicité des décisions de justice et, d'autre part, le droit au respect de la vie privée des personnes
En effet, il convient de rappeler que les articles 433 et 451 du code de procédure civile disposent respectivement que :
« Les débats sont publics sauf les cas où la loi exige qu'ils aient lieu en chambre du conseil ».
« Les décisions contentieuses sont prononcées en audience publique … »
En matière criminelle, l’article 306 du code de procédure pénale dispose que :
« Les débats sont publics, à moins que la publicité ne soit dangereuse pour l'ordre ou les moeurs… »
En matière correctionnelle, l’article 400 du code de procédure pénale dispose que :
« Les audiences sont publiques.
Néanmoins, le tribunal peut, en constatant dans son jugement que la publicité est dangereuse pour l'ordre, la sérénité des débats, la dignité de la personne ou les intérêts d'un tiers, ordonner, par jugement rendu en audience publique, que les débats auront lieu à huis clos…
Le jugement sur le fond doit toujours être prononcé en audience publique ».
D’autre part, le droit au respect de la vie privée des personnes est un principe rappelé dans de nombreux textes tel que l’article 9 du code civil.
De plus, l’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 prévoit que :
« Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes ».
Cette décision donne donc sa préférence au droit au respect de la vie privée des personnes sur Internet et instaure ainsi un véritable droit à l’oubli numérique.
3) Consécration d’un droit à l'oubli sur internet
En tout état de cause, cette décision marque une évolution fondamentale vers la consécration d’un droit à l'oubli sur internet.
En effet, le « droit à l’oubli » sur Internet apparait comme une garantie essentielle des libertés et du respect de la vie privée au regard du nombre d’informations personnelles accessibles sur la toile.
Le 27 novembre 2009, le Secrétaire général de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) appelait de ses vœux la consécration d’un droit à l’oubli sur Internet.
Or, la diffusion d’informations personnelles sur Internet est susceptible d’entrainer des conséquences dommageables car outre l’entourage de nombreux professionnels en ressources humaines, entreprises ou compagnies d’assurances utilisent ces données pour vérifier, compléter ou valider des dossiers de candidats, de salariés ou de clients.
Comment gérer les conséquences sur sa vie personnelle ou professionnelle d’une condamnation judiciaire reprise sur un site Internet, sans limitation de durée, alors même qu’une publication par voie papier n’aurait eu qu’un effet ponctuel et que le casier judiciaire prévoit l’effacement, au bout d’un certain temps, des condamnations ?
Ou encore, comment éviter qu’un bailleur refuse de louer un appartement à un jeune professionnel quand il aura trouvé sur lui des preuves d’une vie étudiante agitée, mais révolue ?
Autant d’exemples qui démontrent pourquoi il serait impossible d’envisager que l’information mise en ligne sur une personne ait vocation à demeurer, alors que la nature humaine implique que les individus changent, se contredisent, bref, évoluent tout naturellement.
Dans ce contexte, la consécration d’un droit à l’oubli sur Internet permet de garantir la protection de la liberté d’expression et de la liberté de pensée mais aussi du droit de changer d’avis, de religion, d’opinion politique, la possibilité de commettre des erreurs de jeunesse, puis de changer de vie.
Conscient de cette nécessité impérieuse, le 13 octobre 2010, la Secrétaire d'État chargée de la prospective et du développement de l'économie numérique a convoqué les grandes entreprises du Net, acteurs des réseaux sociaux, blogs, moteurs de recherche et associations de protection de l'enfance, afin de signer une charte pour faciliter la gestion par les internautes de leurs données personnelles, dans le cadre d'un futur « droit à l'oubli » numérique.
Invités, Facebook et Google ont refusé de signer cette charte.
La charte tend à « améliorer la transparence de l'exploitation des données publiées intentionnellement » par les internautes et à « faciliter la possibilité pour une personne de gérer les données qu'elle a publiées et qui concernent sa vie privée ».
Cette charte sur le droit à l’oubli, signée par les entreprises du Net (Microsoft France, les Pages jaunes, Copains d'avant, trombi.com, Skyrock.com, l'Unaf, Action innocence et e-enfance etc …), annonçait le début d’une reconnaissance de ce droit en devenir.
Ces sociétés se sont engagées à mettre en place un service de suppression des comptes et des données.
A l’heure où la réputation de chacun sur Internet est devenue primordiale, la consécration légale d’un droit à l’oubli s’impose.
Au travers de la décision précitée, la CNIL confirme sa volonté de faire respecter un nouveau droit sur Internet : celui de l’oubli numérique.
Je suis à votre disposition pour toute information ou action.
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Anthony Bem
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