Le Tribunal de Grande Instance de Créteil a jugé que la diffusion et le maintien par la société Youtube d’extraits de programmes audiovisuels appartenant au catalogue de l’INA, sans l’autorisation de ce dernier, après que leur illicéité ait été signalée, et le fait qu’elle n’ait pas empêché la remise en ligne de ces programmes sur Internet, constitue l’infraction de contrefaçon prévue et réprimée par les articles L 122-4 et L 215-1 du Code de la propriété intellectuelle .
En conséquence, le Tribunal a fait injonction à la société Youtube d’installer sur son site un système de filtrage efficace et immédiat des vidéos dont la diffusion a été ou sera constatée par l’INA.
Les faits de l’espèce sont simples :
L’INA exploite les extraits des archives audiovisuelles des chaînes de télévision publiques françaises (notamment l’Ortf, TF1 avant sa privatisation, France 2, France 3, etc.) par l’effet des lois des 7 août 1974, 29 juillet 1982, 30 septembre 1986 et août 2000.
La société Youtube LLC a développé en février 2005 aux Etats-Unis un service dénommé Youtube qui consiste en une plateforme communautaire d’hébergement de vidéos en ligne offrant à chaque internaute un espace de stockage lui permettant de faire héberger et diffuser les vidéos de son choix.
Le service Youtube permet également aux utilisateurs de la plateforme de rechercher et regarder les vidéos disponibles sur la plate-forme.
Par différents courriers adressés début 2006, l’INA a informé la société Youtube qu’elle diffusait sur son site internet de très nombreux programmes appartenant à son catalogue.
Estimant que des extraits que la société Youtube avait accepté de retirer étaient réapparus sur son site et que de nombreux autres extraits issus de programmes de fonds INA y étaient également diffusés, l’INA a fait assigner la société Youtube par exploit du 23 novembre 2006 en contrefaçon.
L’INA soutenait que la responsabilité de la société Youtube à son égard est engagée en tant qu’hébergeur, parce qu’elle a tardé à retirer de son site les programmes de l’INA, ou ne les a retirés que partiellement, et parce que, par la suite, elle les a laissés y revenir.
Le tribunal a jugé que :
1) Sur la diffusion et le maintien par la société Youtube d’extraits de programmes audiovisuels appartenant au catalogue de l’INA, sans l’autorisation de ce dernier, après que leur illicéité ait été signalée, et le fait qu’elle n’ait pas empêché la remise en ligne de ces programmes sur Internet, constitue l’infraction de contrefaçon :
« Aucune disposition de la loi du 21 juin 2004 n’oblige le détenteur des droits à agir au préalable à l’encontre des internautes qui auraient mis des vidées en ligne, étant rappelé que l’hébergeur a une responsabilité propre.
La société Youtube a laissé revenir sur son site des vidéos dont le caractère illicite lui avait déjà été notifié, alors qu’il lui appartenait de mettre en œuvre tous les moyens nécessaires pour éviter une nouvelle diffusion
La société Youtube ne peut par ailleurs faire valoir une quelconque impossibilité technique pour exercer cette surveillance, puisqu’elle est en capacité de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour éliminer les contenus à caractère pédophile, faisant l’apologie du crime contre l’humanité ou de l’incitation à la haine.
Faute pour elle de justifier avoir accompli les diligences nécessaires en vue de retirer promptement tous les extraits signalés comme contrefaisants et de rendre impossible la remise en ligne des vidéos contrefaisantes, la société Youtube ne peut se prévaloir de la limitation de responsabilité prévue à l’article 6-I-2 de la loi du 21 juin 2004 et sa responsabilité se trouve dès lors engagée à l’égard de l’INA dans les termes du droit commun de la contrefaçon, sur le fondement des articles L 335-3 et L 335-4 du Code de la propriété intellectuelle »
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2) Sur l’installation d’un système de filtrage efficace et immédiat sur le site de la société Youtube
La société Youtube a justifié qu’une question préjudicielle a été posée à la Cour de Justice des communautés européennes le 28 juin 2010, afin qu’il soit déterminé si un juge national, saisi dans le cadre d’une procédure au fond, peut ordonner à un prestataire d’hébergement de mettre en place, à l’égard de toute sa clientèle, in abstracto et à titre préventif, à ses frais et sans limitation de temps, un système de filtrage de la plus grande partie des informations stockées sur ses serveurs, en vue d’identifier les fichiers électroniques qui contiennent des œuvres sur lesquelles un tiers prétend détenir certains droits, pour ensuite bloquer l’échange desdits fichiers.
Le tribunal a jugé que :
« Force est cependant de constater que la question préjudicielle porte sur une demande générale relative à la mise en place d’un système de filtrage in abstracto et à titre préventif, alors que la demande de l’INA est précise et concerne les œuvres déjà signalées par l’INA lui-même à la société Youtube.
La demande de sursis à statuer sera dès lors rejetée.
Dans ces conditions, il sera fait injonction à la société Youtube d’installer sur son site un système de filtrage efficace et immédiat des vidéos dont la diffusion a été ou sera constatée par l’INA ».
Et plus généralement sur l'indemnisation du préjudice subi par l’INA, les juges ont considéré que :
« Selon l’article L 122-4 du Code de la propriété intellectuelle, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite.
Selon l’article L 215-1 du même Code, l’autorisation du producteur de vidéogrammes est requise avant toute reproduction, mise à la disposition du public par la vente, l’échange ou le louage, ou communication au public de son vidéogramme.
En l’espèce, l’atteinte aux droits de l’INA est certaine.
Cette atteinte concerne en outre une période d’environ quatre ans et a lieu dans un contexte international … près de sept cents titres …
Au vu de l’ensemble de ces éléments, des dommages et intérêts d’un montant de 150 000 € seront alloués à l’INA en réparation du préjudice subi. »
En l'absence d'autorisation expresse et préalable dans le cadre d’une cession de droits d’auteur conforme au Code de la propriété intellectuelle au bénéfice des sites Internet sur lesquels les oeuvres sont diffusés, ces sites encours la sanction de la contrefaçon.
Ainsi, la porte des actions judiciaires est ouverte aux auteurs et ayants droit d'œuvres de l'esprit qui sont diffusées sur Internet sans leur autorisation expresse et préalable dans le cadre d’une cession de droits d’auteur conforme au Code de la propriété intellectuelle au bénéfice des sites Internet sur lesquels leurs oeuvres sont diffusés.
Sur ce thème, je vous invite à lire :
- « Les recours en cas de violation des droits d'auteur : l’action en contrefaçon »Â
- « La rémunération de la cession des droits d’auteur d'œuvres de l'esprit »
- « La violation des droits d'auteurs sur les réseaux sociaux »Â
Je suis à votre disposition pour toute information ou action.
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Anthony Bem
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