Pour mémoire, l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 définit la diffamation comme « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé » et l’injure comme « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait. »
Selon l’article 47 de cette même loi, en cas d'infraction de presse comme une diffamation ou une injure, seul le ministère public peut mettre en mouvement et exercer l'action publique.
Ce monopole d’action du ministère public revêt une importance particulière puisqu’il a été conçu comme une protection de la liberté de presse.
Cependant, par dérogation à ce principe, le dernier alinéa de l'article 48 de la même loi prévoit les cas dans lesquels la victime peut mettre en mouvement l'action publique elle-même.
Ce dernier alinéa vise les alinéas précédents de ce même article 48 à l'exception de l’alinéa 1er qui est relatif à la poursuite en cas « d'injure ou de diffamation envers les cours, tribunaux et autres corps indiqués en l'article 30 ».
Cet article 30 désigne « les cours, les tribunaux, les armées de terre, de mer ou de l'air, les corps constitués et les administrations publiques. »
Par corps constitué, il faut entendre les « corps ayant une existence légale permanente, et auxquels la Constitution ou les lois ont dévolu une portion de l’autorité ou de l’administration publiques. » (Cass. Crim., 26 avril 1952)
Il s’agit par exemple des collectivités territoriales, et notamment des communes, des syndicats intercommunaux, des chambres de commerce et d’industrie, des universités, etc…
Il résulte ainsi des dispositions combinées des articles 47 et 48 précités que lorsqu'elles sont victimes d'une diffamation, les autorités publiques dotées de la personnalité morale autres que l'État ne peuvent ni engager l'action publique devant les juridictions pénales aux fins de se constituer partie civile ni agir devant les juridictions civiles pour demander la réparation de leur préjudice.
La seule solution qui s’offre alors à elles pour obtenir la réparation de leur préjudice est de se constituer partie civile à titre incident devant la juridiction pénale, à condition que l'action publique ait été engagée par le ministère public.
En privant ainsi les collectivités territoriales victimes d'injure ou de diffamation du droit de mettre en mouvement l'action publique, ces dispositions méconnaissent, selon la commune du Pré-Saint-Gervais, le principe du droit à un recours effectif, le principe d'égalité et le principe de la libre administration des collectivités territoriales.
C’est ce qui a donné lieu à la décision du conseil constitutionnel en date du 25 octobre 2013. (Conseil cons., 25 octobre 2013, n°2013-350, QPC)
En l’espèce, un article intitulé « Scandale immobilier au Pré-Saint-Gervais » a été publié sur le site internet www.lepoint.fr.
Estimant cet article diffamatoire à son égard, la commune du Pré-Saint-Gervais représentée par son maire a fait citer à comparaître M. Franz-Olivier Giesbert, directeur de la publication de la société d’exploitation de l’hebdomadaire Le Point, ainsi que cette société, devant le tribunal correctionnel de Paris pour diffamation publique.
Les défendeurs ont invoqué l’irrecevabilité de l’action de la commune et de son maire en invoquant la violation des articles 47 et 48 de la loi de 1881 dont les dispositions combinées prévoient que seul le ministère public peut mettre en mouvement l’action publique en cas de diffamation envers des administrations publiques et corps constitués.
La commune a alors formé une QPC portant sur l’article 47 et les premier et dernier alinéa de l’article 48 de la loi du 29 juillet 1881.
Le tribunal correctionnel de Paris a déclaré recevable cette QPC et l’a transmise à la Cour de cassation.
Cette dernière a renvoyé cette QPC au Conseil constitutionnel, au motif qu’elle « présente un caractère sérieux dès lors que les dispositions critiquées entraînent, pour les collectivités territoriales, personnes morales de droit public, une restriction de leur droit d’agir en justice qui pourrait être de nature à porter atteinte aux principes invoqués de libre administration des collectivités territoriales, d’égalité devant la loi et du droit au recours effectif au juge. »
Répondant à la QPC, le Conseil constitutionnel a considéré qu’il résulte des dispositions législatives précitées que «lorsqu’elles sont victimes d’une diffamation, les autorités publiques dotées de la personnalité morale autres que l’État ne peuvent obtenir la réparation de leur préjudice que lorsque l’action publique a été engagée par le ministère public, en se constituant partie civile à titre incident devant la juridiction pénale ».
De ce fait, si le ministère public n’agit pas, ces autorités publiques sont privées du droit de demander réparation de leur préjudice, que ce soit devant le juge civil ou le juge pénal.
Le Conseil constitutionnel en a déduit que la restriction ainsi apportée au droit des autorités publiques dotées de la personnalité morale autres que l’Etat d'exercer un recours devant une juridiction méconnaît les exigences de l'article 16 de la Déclaration de 1789 relatives au droit à un recours effectif.
En conséquence, le Conseil constitutionnel a décidé que « les mots « par les 2°, 3°, 4°, 5°, 6°, 7° et 8° » figurant au dernier alinéa de l'article 48 de la loi du 29 juillet 1881, qui ont pour effet d'exclure les personnes visées au 1° de cet article du droit de mettre en mouvement l'action publique, doivent être déclarés contraires à la Constitution. »
L’exception au monopole des poursuites du ministère public en cas d’infraction de presse concerne désormais l’ensemble des alinéas de l’article 48, y compris l’alinéa 1er.
En définitive, il résulte de la présente décision que les collectivités territoriales peuvent désormais prendre l’initiative de déclencher l’action publique lorsqu’elles sont victimes d’injure ou de diffamation publique en déposant une plainte pénale ou en se constituant partie civile auprès du doyen des juges d'instruction.
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Anthony Bem
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