Diffamation sur internet : nouveau calcul du délai de prescription et nouvelles règles de preuve

Publié le 06/01/2013 Vu 5 079 fois 0
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Le 15 novembre 2012, le Tribunal de grande instance de Bobigny a rendu une décision intéressante en matière de diffamation publique à l’encontre de l’auteur d’un faux profil créé sur le réseau social professionnel Viadeo (Tribunal de grande instance de Bobigny, 14ème chambre correctionnelle, 15 novembre 2012, M. L / M. R. et MMA Vie).

Le 15 novembre 2012, le Tribunal de grande instance de Bobigny a rendu une décision intéressante en matière

Diffamation sur internet : nouveau calcul du délai de prescription et nouvelles règles de preuve

Pour mémoire, la diffamation est prévue par l’article 29 alinea 1 de la loi du 29 juillet 1881 et réprimée par l’article 32 alinea 1 de cette même loi.

En l’espèce, Monsieur X a comparu devant le Tribunal de grande instance de Bobigny pour avoir publié sur le site internet viadeo.com une fiche de membre créée au nom d'Eric R. contenant des imputations portant atteinte à l'honneur et à la réputation de la société MMA Vie et de Monsieur R en raison des passages suivants :

Titre : “broute cul, mma”

sous lequel figure un paragraphe intitulé "Présentation” contenant le passage suivant :

“je suis un gros con, un lâche, un broute cul, pour arriver à mon poste, je me suis soumis aux ardeurs de tous mes patrons, les PD”.

sous un paragraphe intitulé “Etudes” figure le passage suivant :

“je n'ai pas d'amis car je suis le seul à accepter la sodomie comme ascenseur social".

sous un paragraphe intitulé “expériences”, il est écrit :

“broute cul, mma”.

puis dans une colonne figurant sur la droite de l'écran contenant la rubrique “Sa société”, il est écrit :

“mma (...). Une entreprise pourrie dans laquelle je m'épanouie car les patrons recrute des collaborateurs moins compétents qu'eux et qui acceptent la sodomie. J'y suis heureux car je peux harceler à ma guise. De la merde”.

En défense, plusieurs arguments ont été invoqués, mais en vain.

1) Sagissant de la prescription de l'action en diffamation :

L’action en diffamation se prescrit au bout de 3 mois.

En matière de publication sur internet, le point de départ du délai de prescription est la date de publication des propos litigieux.

La jurisprudence retient de manière constante la date de publication des propos litigieux pour le calcul du délai de prescription.

La question qui se posait était donc de savoir si la fiche modifiée fait partir un nouveau délai de 3 mois de prescription pour l’ensemble des propos contenus dans la fiche ou pour les seuls propos modifiés.

Cette question a une réelle importance compte tenu que la prescription permet très souvent d’annuler l’action en diffamation, tel qu’en l’espèce.

En effet, la fausse fiche créée sur Viadeo a donné lieu à plusieurs modifications dans le temps.

Ainsi, en principe, les juges auraient du prendre en considération les dates de publication de chacun des propos litigieux pour calculer le délai de prescription pour chacun des propos litigieux.

Cependant, de manière novatrice, le tribunal a considéré que :

« Toutefois si le délit de diffamation constitue un délit instantané, et si la première version de la fausse fiche de Monsieur R. a été mise en ligne le 3 mars 2010, la version modifiée de ce texte en date du 17 mais 2010 est assimilée à une nouvelle publication, sans qu'il faille distinguer les parties rajoutées et le texte d'origine. Le point de départ de la prescription de 3 mois de l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 est donc le 17 mars 2010.

Au moment de la plainte avec constitution de partie civile le 16 juin 2010, les faits n'étaient donc pas prescrits. »

En conséquence, les propos diffamatoires insérés dans un profil de réseau social peuvent donnés lieu à un délai de prescription rallongé à chaque modification du profil litigieux.

Au cas d'espèce, les juges ont estimé que les modifications du profil ont entrainé le report du point de départ de la prescription des diffamations antérieures (non modifiées) à une date ultérieure à leur publication initiale.

Compte tenu de l’absurdité juridique d’une telle solution, la Cour d’appel de Paris actuellement saisie du recours ne manquera certainement pas de censurer le jugement sur ce point.

2) Sur le délit de diffamation publique

Monsieur X excipait l'absence de force probante du constat d'huissier dressé à la demande des parties civiles.

En effet, l'huissier ne décrivait pas avec suffisamment de précisions son cheminement pour accéder à la fiche litigieuse.

Toutefois, d’un revers de manche le tribunal a rejeté l’argument en considérant que :

« Au regard des diligences effectuées par l'huissier, il n'y a toutefois pas lieu de mettre en cause la force probante de ce constat, la précision de l'heure de fin de constat n'étant pas nécessaire à la régularité du constat ».

Or, la jurisprudence a eu l’occasion de fixer les conditions dans lesquelles les constats d’huissiers étaient revêtus de force probante ou non.

Le jugement rendu dans cette affaire sonne donc le glas aux pré-requis techniquement posés et imposés par la jurisprudence jusqu’à ce jour en matière de constat sur internet.

De la même manière, Monsieur X a tenté de mettre en cause la force probante de l'impression d'écran opérée par la société Viadeo, en l'absence de description du processus d'obtention de l'impression d'écran.

En vain, de manière tout aussi sommaire et en décalage avec la jurisprudence constante en matière de constat sur internet, le tribunal a jugé que :

« Néanmoins, dans la mesure où la société Viadeo est une société extérieure aux parties et donc neutre, il n'y a pas lieu de mettre en cause la force probante de l'impression d'écran opérée par cette société ».

C’est dans ce contexte que le tribunal a retenu le délit de diffamation en jugeant que :

« il apparaît que Monsieur X est l'auteur des propos contenus dans la fausse fiche de Monsieur R., créée le 3 mars et modifiée plusieurs fois à compter du 17 mars 2010. Ces propos ont été tenus publiquement sur un site consulté par des milliers de professionnels.

 

Ces propos portent manifestement atteinte à l'honneur et à la considération de Monsieur R. et de la société MMA Vie. Ils comportent pour certains l'allégation de faits précis.

Ainsi les termes « broute cul mma », « je suis un gros con, un lâche, un broute cul, pour arriver à mon poste, je me suis soumis aux ardeurs de tous mes patrons les PD », « je n'ai pas d'amis car je suis le seul à accepter la sodomie comme ascenseur social », « une entreprise pourrie dans laquelle je m'épanouis car les patrons recrutent des collaborateurs moins compétents qu'eux et qui acceptent la sodomie » sous entendent que la promotion des salariés au sein de la société MMA Vie serait subordonnée non pas à leurs compétences mais à l'acceptation de certaines faveurs sexuelles.

Ces mêmes termes ainsi que les suivants « J'y suis heureux car je peux harceler à ma guise » contiennent également des imputations de faits précis à l'encontre de Monsieur R., accusé d'avoir obtenu son poste en octroyant à ses supérieurs des faveurs sexuelles et de harceler ses collègues, ce qui constitue un délit pénal ».

Mais compte tenu que l'expert psychiatre a conclu à l'altération de son discernement au moment des faits, en raison de son état de dépression grave la peine est de … 1000 € avec sursis et pour les victimes, Monsieur R et la société MMA : 1 euro au titre du préjudice moral et 600 € en remboursement de leurs frais d’avocat.

La cour d’appel de Paris a été saisie d’un recours contre cette décision.

Et Monsieur X vient d’être à nouveau convoqué devant le juge d’instruction mais cette fois-ci du chef d’usurpation d’identité, pour les mêmes faits, en raison d’une deuxième plainte pénale déposée à l’époque, en même temps, par Monsieur R et la société MMA.

Affaifre à suivre ...

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Anthony Bem
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