Madame Martine Carrillon-Couvreur, députée de la 1ère circonscription de la Nièvre, a assigné l'Union pour un Mouvement Populaire (UMP) devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Nevers pour solliciter notamment la suppression dans leur intégralité de trois articles publiés sur son site “ump58.hautefort.com” sous les titres :
- “Socialiste, mais pas pratiquante…“
- « Si j'étais Mme Carrillon-Couvreur, Député de la Nièvre...”
- La candidate député Mme Martine Carrillon-Couvreur a, dans un acte inédit,...”
Selon la plaignante, ces articles contennaient des affirmations contraires à la réalité, notamment quant aux conditions de perception d'une indemnité de 30.000 € de la part de son employeur à l'occasion de son départ en retraite, quant à l'emploi de son mari et quant à une intervention de sa part pour tenter de faire voter une personne sans pièce d‘identité.
L'association UMP a soulevé la nullité des deux assignations pour :
- défaut de notification au ministère public,
- insuffisance de qualification des faits et de précision de la loi applicable,
- non respect du délai de comparution,
- prescription de l’action.
La liberté d'expression garantie par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des Libertés fondamentales en son article 10 a pour limite la protection de la réputation ou les droits d'autrui, dont la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse assure la mise en œuvre en France, notamment au travers des délits d'injure, diffamation, provocation à la haine, etc ...
Le juge des référés est compétent afin de faire cesser un trouble manifestement illicite au sens de l'article 809 alinéa premier du code de procédure civile.
Ce pouvoir suppose cependant la démonstration du caractère illicite du trouble manifeste et de l'absence de sérieux des contestations opposées ou opposables.
Or la licité ou non du trouble et la valeur de l'obligation ne peuvent être appréciés qu'au regard des dispositions de la loi du 29 juillet 1881 qui fixent les conditions de mise en œuvre de la défense des droits des tiers visés par une publication, notamment en ce qui concerne leur réputation.
Le juge des référés a donc l’obligation d’apprécier si les conditions de fond et de forme fixées par la loi du 29 juillet 1881 ont été respectées.
C’est dans ce contexte que le juge des référés a jugé que :
« Les conditions de rédaction et de délivrance de l'assignation du 8 août 2012 méconnaissent les principes de base définis par l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 puisque l'acte introductif d'instance :
- n'a pas été notifié au ministère public,
- ne précise ni ne qualifie le fait incriminé, se limitant à exposer que certaines affirmations contenues dans les articles sont mensongères,
- n'indique aucun des textes spéciaux applicables.
Il faut rappeler que l'inobservation de chacune de ces formalités est expressément sanctionnée de nullité par le dernier alinéa de l'article 53, sans qu'il soit nécessaire de démontrer l'existence d'un grief, l'atteinte aux droits de la défense étant nécessairement présumée par l'insuffisance de précision sur le débat engagé ».
Par ailleurs, s’agissant de la prescription, il convient de rappeler que l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 fixe à trois mois le délai, pour exercer les actions découlant de cette loi, sauf cas particuliers.
La loi dispose que l'action est prescrite après trois mois révolus à compter du jour où les crimes, délits et contraventions prévus par la loi auront été commis.
En matière de publication sur l'internet, il est de jurisprudence constante que la première mise en ligne de l'article incriminé doit être retenue comme point de départ de la prescription.
Le constat d'huissier dressé ne donne aucune précision sur la date de mise en ligne des propos litigieux puisque l'officier ministériel s'est contenté de faire des captures d'écran sans rechercher la date de mise en ligne.
Aucune diligence n'a été accomplie auprès de l‘hébergeur pour déterminer la date de mise en ligne.
Cependant, le juge des référés a considéré que :
« Il est néanmoins possible de présumer de manière certaine que cet article est antérieur au 24 juin 2012 d'après les constatations de l'huissier, puisque les articles sont insérés dans l'ordre chronologique du blog et que cet article se situait sur la deuxième page plus bas que I'article de tête daté du 24 juin 2012, ce qui signifie qu'il était nécessairement antérieur ».
Le Président du Tribunal de grande instance de Nevers a tenu compte d’« une copie de captures d'écrans du blog répondant à la recherche du terme “ Carrillon-Couvreur.” qui mentionne également l'article avec comme date de d'hyperlien permanent le 14 juin 2012 […] pour établir que la première mise en ligne est intervenue le 14 juin 2012 ».
Ainsi, la prescription de l'action était acquise et la demanderesse a vu ses prétentions rejetées.
Enfin, l’UMP sollicitait du juge l’octroi de dommages et intérêts pour procédure abusive.
En effet, les juges peuvent apprécier le caractère éventuellement abusif d'une procédure et les sanctions à appliquer conformément aux dispositions de l'article 32-1 du code de procédure civile.
Mais l'exercice d'une procédure dégénère en abus lorsqu'elle ne présente pas le moindre caractère sérieux et qu'elle est engagée avec témérité sur des moyens non pertinents.
De manière exceptionnelle, le juge des référés a considéré que :
« S'agissant d'un contentieux dont la technicité juridique est particulièrement élevée, il y avait témérité caractérisée à faire délivrer une assignation qui était frappée de plusieurs moyens péremptoires de nullité.
En outre, avertie par des conclusions détaillées que le droit applicable était manifestement violé, une nouvelle assignation a été délivrée sans vérifier si l'élémentaire question de la prescription ne se posait pas, sachant qu'en la matière, si la défenderesse ne l'avait pas soulevée, le juge aurait été tenu de le faire puisqu'elle présente un caractère d'ordre public.
L'action de Mme Martine C. épouse C. engagée sous cette forme dépourvue de sérieux par deux assignations consécutives doit donc être qualifiée d'abusive.
La défenderesse subit un préjudice très faible compte tenu de l'absence de publicité donnée à cette affaire, de sorte que la juste indemnisation de son préjudice sera fixée à 1 €.
Il n'apparaît pas qu'une amende civile soit nécessaire en l'espèce, le simple octroi des dommages et intérêts étant suffisant pour sanctionner l'abus de procédure ».
Cette décision est donc l'occasion de rappeler que notamment les actions en diffamation ou injure sur internet sont des " contentieux dont la technicité juridique est particulièrement élevée " qui supposent de faire appel aux services d'un avocat spécialisé à la fois en droit de la presse et des médias mais aussi en droit de l'internet.
Je suis à votre disposition pour toute action ou information (en cliquant ici).
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Anthony Bem
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