En l’espèce, Monsieur Vellutini est le Président de l’Union syndicale professionnelle des policiers municipaux (USPPM) et Monsieur Michel en est le secrétaire général.
Une fonctionnaire de police, adhérente de ce syndicat, eut un litige avec le Maire de la commune de Vendays-Montalivet, où elle travaillait.
Elle fut sanctionnée par le Maire qui lui reprocha une attitude injurieuse et des menaces proférées à l'adresse de ses collègues de travail.
Assistée de l’un des deux requérants, la fonctionnaire de police exerça un recours contre ces deux décisions devant le tribunal administratif de Bordeaux, et déposa une plainte à l’encontre de plusieurs agents municipaux pour violences volontaires, injures et menaces et dénonciation calomnieuse.
Par la suite, le Maire la mit expressément en cause dans deux numéros du bulletin municipal.
Elle porta plainte contre le Maire pour injures publiques et subornation de témoin.
Messieurs Vellutini et Michel distribuèrent à des habitants de la commune un tract intitulé « communiqué à la population de Vendays-Montalivet », comportant les extraits suivants :
« Votre maire, premier magistrat, dont la volonté est de jeter le discrédit sur la policière municipale, » (...)
« il est impossible de laisser votre maire s’acharner publiquement sur son agent, la discréditer, raconter n’importe quoi, sans laisser à celle-ci aucune chance ni moyen de s’exprimer et de se défendre, » (...)
« votre premier magistrat bafoue la loi, » (...)
« votre élu présente les choses à sa façon en ne disant que ce qui l’arrange... votre maire dirige sa commune tel un dictateur cultivant le culte de la personnalité, » (...)
« votre maire insulte publiquement votre policière en prétendant qu’elle serait malade mentale, » (...)
« allez vous permettre que votre maire s’acharne et détruise cette mère de famille sur la place publique, telle l’Inquisition brûlait et lapidait les sorcières ? » (...)
« Il a déclaré publiquement lors d’une instance de la fonction publique être au courant d’un certain nombre de ces délits réprimés par la loi, mais qu’il ne les a pas dénoncés à la justice et qu’il n’a ni sanctionné ni diligenté d’enquête administrative contre les agents mis en cause, » (...)
« au rang des personnes qui ont témoigné contre la policière, figurent certaines personnes mises en cause dans ces infractions financières que le maire n’a pas sanctionnées, » (...)
« celui-ci reste poursuivi par le syndicat devant le juge administratif pour avoir illégalement sanctionné la policière alors que celle-ci a osé témoigner contre ces infractions financières, » (...)
« votre maire prétend que le policier placier ne peut être sanctionné, celui-ci bénéficiant de la présomption d’innocence, votre maire raconte n’importe quoi. » (...)
« Votre maire a su s’entourer de témoins douteux contre la policière et a su les protéger en ne les dénonçant pas à la justice. » (...)
« Sa communication n’a qu’un seul but, servir ses intérêts politiques et non pas vous tenir informés des vérités dont (sic) vous êtes en droit d’attendre. »
Selon le Maire, ce tract omportait des propos diffamatoires qui le visaient en tant qu’élu, dans le but de le discréditer aux yeux de la population de sa commune.
Le Maire cita les deux requérants devant le tribunal correctionnel de Bordeaux qui les condamna chacun au paiement d’une amende de 1.000 € après avoir déclaré irrecevable leur offre de preuve.
En outre, ils furent condamnés à payer chacun 2 500 EUR de dommages-intérêts à la partie civile, le tribunal ordonnant par ailleurs la publication du jugement par extraits dans la presse locale et dans son entier sur le site internet du syndicat.
Pour mémoire, l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse dispose que :
« Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés.
Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure. »
De plus, l’article 30 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse dispose que :
« La diffamation commise par l’un des moyens énoncés en l’article 23 envers les cours, les tribunaux, les armées de terre, de mer ou de l’air, les corps constitués et les administrations publiques, sera punie d’une amende de 45.000 euros. »
L’article 23 énonce à cet égard les discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, ainsi que les écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l’écrit, de la parole ou de l’image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, ou encore les placards ou les affiches exposés au regard du public, ainsi que tout moyen de communication au public par voie électronique.
Les requérants firent appel du jugement et maintinrent leur offre de preuve.
Ils alléguèrent avoir agi de bonne foi, dans un but légitime, sans animosité personnelle, avec prudence et mesure, après avoir vérifié la qualité et la fiabilité de leurs informations.
La cour d'appel de Bordeaux confirma le jugement du tribunal correctionnel, jugeant qu'ils avaient abusé de la liberté d'expression que leur conférait leur qualité de syndicaliste pour dénoncer des faits particulièrement graves sans les étayer par une démonstration appropriée et en les assortissant de qualificatifs déplacés.
Le 9 décembre 2008, la Cour de cassation déclara les pourvois des requérants non admis.
Invoquant les articles 10 (liberté d'expression) et 11 (liberté de réunion et d'association), les requérants se plaignent d’avoir été condamnés pour diffamation publique envers un citoyen chargé d’un mandat public au titre de propos tenus dans le cadre d’un mandat syndical.
L’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme dispose que :
« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.
2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »
L’article 11 de la Convention européenne des droits de l’Homme dispose que :
« 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.
2. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’Etat. »
La Cour européenne des droits de l’homme a jugé qu'il fallait tenir compte du fait que les requérants ont fait leurs déclarations en qualité de responsables d'un syndicat et en rapport avec la situation professionnelle d'un de ses adhérents.
La CEDH a considéré que les requérants ne critiquaient pas une politique municipale de manière générale mais mettaient en cause le rôle d'un élu en sa qualité d'employeur et qu’aucune allégation d'ordre privé ne venait le toucher.
Ainsi, pour la CEDH, ces propos litigieux trouvent leur place dans un débat d'intérêt public, domaine dans lequel la Convention ne laisse guère de place à des restrictions au droit à la liberté d'expression. Ainsi, il est permis à toute personne qui s'engage dans un débat public de recourir à une certaine exagération, voire provocation, c'est-à-dire d'être quelque peu immodéré dans ses propos.
La CEDH a rappelé que les critiques admissibles à l'égard d'un homme politique sont plus larges que celles d'un simple particulier. Exposé inévitablement et consciemment à un contrôle tant des journalistes que de la masse des citoyens, l'homme politique doit faire montre d'une plus grande tolérance à la critique.
La CEDH a donc estimé que les propos litigieux n'ont pas revêtu un caractère vexatoire ou blessant qui aurait excédé le cadre de la polémique syndicale de sorte que « l’ingérence dans l’exercice par les requérants de leur droit à la liberté d’expression en leur qualité de représentants syndicaux n’était pas nécessaire dans une société démocratique, au sens de l’article 10 » précité.
Dans ce contexte, la CEDH a jugé que la condamnation, de par la nature et la lourdeur des peines infligées à Messieurs Vellutini et Michel, à savoir une amende de 1.000 € chacun et 5.000 € de dommages-intérêts à titre solidaire, est disproportionnée au vu des faits reprochés.
Par voie de conséquence, la Cour a condamné la France à verser à chacun des requérants 4.000 euros pour dommage matériel, outre 6.338,80 € conjointement pour frais et dépens.
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Anthony Bem
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