Le journal Ouest France, dont le directeur de publication est Monsieur François Régis Hutin, a publié un article intitulé « Deux responsables d’association routière en examen », sous la signature de Monsieur Serge Le Luyer, journaliste.
Cet article de presse a également été relayé sur internet, dont notamment sur le site web de Ouest France, qui est le premier quotidien national en terme de diffusion.
L’article litigieux relate la mise en examen de Madame Y en qualité de Président d’association de victimes de la route, et celle de Monsieur X présenté de manière erronée comme son vice-président.
On pouvait y lire en titre que :
« La présidente et le vice président de l’association des victimes de la route ont été mis en examen pour exercice illégal de la profession d’avocat et escroquerie ».
ou encore dans le corps de l’article :
« Parmi les intervenants bénévoles figurait [Monsieur X], le gérant de la société Z, qui se présentait comme un conseiller juridique alors qu’il ne l’est pas. »
« La présidente de l’Association des Victimes de la route de … , basée à ..., est soupçonnée de complicité d’exercice illégal de la profession d’avocat ».
Or, Madame Y n’a jamais été mise en examen pour exercice illégal de la profession d’avocat, ou même complicité d’une telle infraction, comme le constatera le tribunal à la lecture de l’ordonnance de placement sous contrôle judiciaire dont elle a fait l’objet.
Pour mémoire, la diffamation est définie par l’article 29 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et dispose que :
« Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés. »
Ce délit de presse est réprimé par l’article 32 alinéa 1 de cette même loi qui dispose que :
« La diffamation commise envers les particuliers par l'un des moyens énoncés en l'article 23 sera punie d'une amende de 12000 euros. »
De plus, l’article 23 alinéa 1er de cette même loi dispose que :
« Seront punis comme complices d'une action qualifiée crime ou délit ceux qui, soit par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l'écrit, de la parole ou de l'image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique, auront directement provoqué l'auteur ou les auteurs à commettre ladite action, si la provocation a été suivie d'effet »
Dans une affaire similaire, la diffamation a été retenue à l’encontre d’un journaliste pour des accusations imprudentes à l’encontre d’un président d’association. La chambre criminelle de la Cour de cassation a notamment relevé que :
« le faible nombre de pièces dont disposait Joseph X (journaliste) montrait l'insuffisance et l'approximation de l'enquête à laquelle il s'était livré ; que l'imputation d'extorsion de fonds sur la base de ces seuls documents démontrait une absence totale de mesure compte tenu du caractère péremptoire des propos ; que les termes dépassaient les limites admissibles en matière de liberté d'expression » (Cass. Crim., 11 mars 2008, n° de pourvoi : 07-83547).
Bien que le fait de divulguer le nom d'une personne mise en examen ne soit pas interdit, encore faut-il que l’article de presse ne communique pas d’informations fausses susceptibles de porter atteinte à l’honneur et à la considération de cette même personne.
Une information fausse est un fait diffamatoire dans la mesure où elle est « de nature à être sans difficulté, l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire » (Cass. Crim., 14 févr. 2006, no 05-82.475).
Le tribunal de grande instance de Nanterre a jugé, le 6 janvier 2011, que :
« en se dispensant de toute investigation, alors qu'aucune urgence ne légitimait une telle précipitation avant de publier et de soumettre à la rumeur publique une information de nature à porter atteinte à l'honneur et à la considération de David Douillet, les auteurs des propos diffamatoires ont manqué de bonne foi et se sont rendus coupables in solidum de diffamation »
Or en l’espèce, l’article affirmait sans prudence que Madame Y est mise en examen pour exercice illégal de la profession d’avocat.
Outre cette allégation complètement fausse concernant Madame Y, d’autres éléments démontrent que les journalistes n’ont mené aucune enquête.
En effet, Monsieur X est présenté à tort comme « vice-Président » de l’association des victimes de la route, à la fois dans le chapeau de l’article litigieux, mais également dans le corps de celui-ci alors qu'il n’y travaillait en réalité qu’en simple consultant et ne disposait d’aucun statut de dirigeant dans cette association.
Le simple contrôle de la liste des membres du bureau de l’association, déclarée en Préfecture, n’avait donc manifestement pas été réalisé, ce qui témoignait de l’absence fautive de vérification des informations relayées par l’article.
De plus, il ne pouvait être sérieusement contesté que la large diffusion de cet article et sa mise en première page sur les nombreuses éditions du Journal Ouest-France ainsi que sur internet accentuent inéluctablement le préjudice moral subi par Monsieur X et Madame Y.
Ainsi, Monsieur X et Madame Y ont fait citer devant la 17ème chambre correctionnelle, chambre de la presse, du tribunal de grande instance de Paris, le directeur de la publication du quotidien Ouest France, le journaliste et la société Ouest France pour y répondre respectivement comme auteur, complice et civilement responsable, du délit de diffamation publique envers un particulier.
Le jugement rendu par le tribunal est intéressant à plusieurs égards :
1) Les conditions du délit de diffamation
Tout d’abord, les juges ont estimé qu'il était légitime pour le journal Ouest France d’informer ses lecteurs sur une affaire pénale en cours intéressant une association locale de défense des victimes de la route et que rien ne permet de penser que le journaliste aurait été mû par une animosité de nature personnelle envers les parties civiles.
Puis, le tribunal précise de manière extremement détaillée la nature des propos constitutifs du délit de diffamation :
« il doit s’agir d’un fait précis, susceptible de faire l’objet d’un débat contradictoire sur la preuve de sa vérité, ce qui distingue ainsi la diffamation, d’une part, de l’injure -caractérisée, selon le deuxième alinéa de l’article 29, par “toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l‘imputation d’aucun fait”- et, d’autre part, de l’expression d’une opinion ou d’un jugement de valeur, autorisée par le libre droit de critique, celui-ci ne cessant que devant des attaques personnelles.
L’honneur et la considération de la personne ne doivent pas s’apprécier selon les conceptions personnelles et subjectives de celle-ci, mais en fonction de critères objectifs et de la réprobation générale provoquée par l’allégation litigieuse, que le fait imputé soit pénalement répréhensible ou manifestement contraire aux règles morales communément admises ;
La diffamation, qui peut se présenter sous forme d’allusion ou d’insinuation, doit être appréciée en tenant compte des éléments intrinsèques et extrinsèques au support en cause, à savoir, en l’espèce, tant du contenu même des propos que du contexte dans lequel ils s’inscrivent ».
L'analyse des passages litigieux a conduit le tribunal à juger que « il s’agit de faits précis, qui sont attentatoires à l’honneur et à la considération, dès lors qu’ils sont pénalement répréhensibles et tendent à tromper les victimes de la route. Les propos seront donc retenus comme diffamatoires ».
2) L’obligation de justification de la réalisation d’une d’enquête sérieuse de la part des journalistes
Il n’y a pas de diffamation si les propos sont vrais et révélés de bonne foi.
S’agissant des journalistes, cette bonne foi se traduit par la réalisation d’une « enquête sérieuse » et d’un travail d’enquête que le professionnel doit pouvoir justifier en cas de procédure judiciaire initiée à son encontre.
Sur la bonne foi, le tribunal rappelle ainsi que « les imputations diffamatoires sont réputées, de droit, faites avec intention de nuire, mais elles peuvent être justifiées lorsque leur auteur établit sa bonne foi, en prouvant qu’il a poursuivi un but légitime, étranger à toute animosité personnelle, et qu’il s’est conformé à un certain nombre d’exigences, en particulier de sérieux de l’enquête, ainsi que de prudence dans l’expression, étant précisé que la bonne foi ne peut être déduite de faits postérieurs à la diffusion des propos ».
En revanche, selon le tribunal ni Ouest France ni son journaliste n'ont justifié d’une enquête sérieuse.
En effet, dans son article Ouest France indiquait à plusieurs reprises et de manière erronée que Monsieur X était vice-président de l’association, ce qui a conduit le tribunal à déclarer « ce qui est manifestement faux. Les prévenus [Ouest France et le journaliste] produisent d’ailleurs eux-mêmes un document montrant qu’il n’avait pas cette qualité ».
Les journalistes doivent donc préparer les actions en diffamation initiées par une personne citée dans leurs articles de presse en constituant des preuves permettant de justifier « qu’il aurait cherché à la contacter pour recueillir personnellement ses observations et assurer ainsi de façon plus efficace le caractère contradictoire de son enquête ».
3) L’indemnisation des propos diffamatoires diffusés sur internet
Aux termes des deux jugements rendus, le tribunal a expressément déclaré que la diffusion sur internet a été prise en considération pour l’indemnisation des préjudices subis par les victimes comme une circonstance particulière voir aggravante de la faute :
« Compte tenu de l’ensemble des éléments de la cause, en particulier du fait que l’article a été diffusé sur internet …».
Cependant, les montants des dommages-intérêts respectivement accordées à Monsieur X et Madame Y de 2.000 et 2.500 € en réparation du préjudice moral subi et la mesure de publication judiciaire ordonnée dans le quotidien Ouest France n’indemniseront qu'inparfaitement les préjudices réellement subis.
Tant que la philosophie indemnitaire des dommages et intérêts en France prévaudra sur celle des indemnités punitives en cours aux Etats Unis, les indemnisations pécunaires des personnes n’auront pas réellement de valeur réparatrice pour les victimes.
Je suis à votre disposition pour toute information ou action.
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Anthony Bem
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