Le 8 avril 2014, la Cour de cassation a jugé que les propos qui sous-tendent qu'une société aurait sciemment distribué des produits dangereux pour la santé serait responsable de maladies, d'empoisonnement et d'assassinat portent atteinte à l'honneur et à la considération de cette société et revêtent un caractère diffamatoire. (Cass. Crim., 8 avril 2014, N° de pourvoi: 12-88412)
Pour mémoire, l'article 29 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse dispose que :
« Toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation ».
Parallèlement, la jurisprudence récente tend à considérer que la critique de produits ou services d'une entreprise n'entre pas dans le cadre de la diffamation publique mais du dénigrement commercial.
La bonne qualification juridique des propos entre la diffamation et le dénigrement est primordiale car le régime de responsabilité est totalement différent, en commençant par exemple par le délai de prescription des actions en justice respectivement de 3 mois et de 5 ans à compter de la date de publication des écrits litigieux.
Surtout, toutes les causes de nullité de l'action en diffamation, garantes de la liberté d'expression, sont étrangères à la poursuite des propos dénigrants.
Or, en cas d'atteinte à la réputation, un mauvais choix de fondement juridique de la part des victimes risque d'anéantir toute chance d'indemnisation et de sanction des auteurs des propos litigieux.
En l'espèce, la société Blédina, spécialisée dans l'alimentation infantile, a fait citer devant le tribunal correctionnel, du chef de diffamation publique envers un particulier, l'auteur d'un livre de plus de 200 pages intitulé : "Maman Blédina ! Pourquoi tu m'empoisonnes ?".
En substance, cet ouvrage développait la thèse selon laquelle les tétines commercialisées par la société Blédina seraient fabriquées en utilisant sciemment une substance prétendument cancérigène, en l'occurrence l'oxyde d'éthylène.
Pour la précision des raisons de l'incrimination, les passages litigieux sont repris ci-après :
"Blédina s'est rendue coupable d'empoisonnement alors même qu'elle était avertie de la dangerosité de la substance utilisée pour ses biberons de lait artificiel. Une révélation d'empoisonnement silencieux des nouveau-nés depuis 30 ans, à aujourd'hui, dans les maternités françaises" ;
"Cet ouvrage a pour dessein dans un premier temps d'alerter les parents et de leur donner les moyens de comprendre et de repérer les nourettes de lait empoisonnées, de protéger leur nouveau-né" ;
"Toutes les sociétés qui se sont rendues coupables d'empoisonnement en cette matière et continueraient encore aujourd'hui sont toutes aussi blâmables que Blédina" ;
"Un gaz cancérigène et mutagène. Cadeau! Qu'est-ce que ce poison? Comment les marques de lait Blédina en tête, empoisonnent-elles les nouveau-nés?" ;
"Si l'on vous avait dit qu'en donnant cette tétine, vous donnez à votre bébé la pomme empoisonnée de Blanche Neige? Vous ne l'auriez pas donnée? ... Pour nettoyer les tétines , les marques de lait font stériliser depuis des années avec un gaz cancérigène et mutagène. Contrairement à la pomme empoisonnée, ici le poison porte un nom : l'oxyde d'éthylène" ;
"Ils se moquent du monde, comment les tétines de Blédina peuvent-elles encore contenir de l'oxyde d'éthylène ? C'est NUK qui les fabriquerait. Mais comment ont-ils accepté que NUK les fasse stériliser à l'oxyde d'éthylène ? Ils le savent pourtant que c'est cancérigène" ;
"Blédina, en quête de moyens de promotion de son lait, NUK, de ses tétines... Combien de millions d'enfants concernés, combien de générations ? Combien de pays comme la France ?
Ainsi, 700 000 nourrissons non nourris au sein qui arrivaient au monde et dès les prémices de la vie ouvraient la bouche pour absorber un gaz, incolore, toxique, cancérigène et mutagène.
Ces maladies orphelines, pourquoi ne seraient-elles pas liées à cette substance, entre autres... L'augmentation du nombre de cancers ? Il est montré, on le sait, que les plus jeunes sont cinquante fois plus sensibles aux substances cancérogènes que les adultes" ;"Comment aurais-je pu supposer que Blédina, du côté des mamans, puisse donner un poison aux bébés ?
Comment averti du danger, si tant est que le leader de l'alimentation infantile en France ait besoin d'être averti par une personne de l'extérieur, de la non-conformité de ses tétines, quant à leur composition et leur contenu... Blédina a continué durant dix années supplémentaires à utiliser la même technique dangereuse, parce qu'un gaz ne se voit pas..." ;"Comment Blédina a t-elle continué à utiliser une méthode toxique durant 10 ans, en toute connaissance de cause ?" ;
"Lorsque nous savons la dangerosité d'une chose, que celle-ci est avérée, démontrée, reconnue, comment pouvons-nous nous permettre de la distribuer, à moins d'être assassin" ;
"Toutes les sociétés qui se sont rendues coupables d'empoisonnement en cette matière et continueraient encore aujourd'hui, sont toutes aussi blâmables que Blédina...".
Le tribunal correctionnel et la cour d'appel ont retenu le délit de diffamation publique envers un particulier et condamné l'auteur de ces propos à une amende avec sursis outre d'avoir à verser à la société Bledina des dommages et intérêts en indemnisation des préjudices subis.
La Cour de cassation a confirmé l'arrêt d'appel en jugeant que :
« les écrits en cause, même s'ils concernaient un sujet d'intérêt général relatif à une question de santé publique, étaient dépourvus de base factuelle suffisante et constituaient une attaque personnelle excédant les limites admissibles de la liberté d'expression ».
Par conséquent, les propos qui sous-tendent qu'une société aurait sciemment distribué des produits dangereux pour la santé, serait responsable de maladies et d'empoisonnement voire même d'assassinat portent atteinte à l'honneur et à la considération de cette société et revêtent un caractère diffamatoire.
Dans de telles circonstances, les juges ont considéré que des appréciations touchant des produits ne constituaient pas un dénigrement commercial mais des propos diffamatoires sanctionnés par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
De plus, contrairement à l'argument soutenu en défense, la liberté d'expression des lanceurs d'alerte n'autorise pas des mises en cause avec une dose d'exagération et même de provocation qui exclut toute condamnation pour injure ou diffamation publique.
Par ailleurs, l'excuse de bonne foi a été refusée compte tenu de l'absence de sérieux de l'enquête préalable, de la virulence des termes employés et de l'animosité personnelle des propos diffamatoires mais surtout car les documents relatifs aux enquêtes et avis ne contiennent aucun élément de nature à mettre en cause la qualité des produits.
La Cour de cassation a considéré sur ce point que :
« pour refuser à la prévenue le bénéfice de la bonne foi, l'arrêt, par motifs propres et adoptés, relève, notamment, que Mme X, en conflit avec la partie civile, a été guidée dans sa démarche par son animosité personnelle, qu'elle a manqué de rigueur scientifique et de sérieux dans sa démonstration ainsi que de prudence dans l'expression en employant des termes virulents tels qu' "empoisonnement" et "assassin" dénotant une outrance et un dénigrement à l'endroit de la plaignante ;
... les écrits en cause, même s'ils concernaient un sujet d'intérêt général relatif à une question de santé publique, étaient dépourvus de base factuelle suffisante et constituaient une attaque personnelle excédant les limites admissibles de la liberté d'expression, a justifié sa décision ».
Il ressort expressément des termes de cette décision que la Cour de cassation utilise la notion de "dénigrement" alors même que l'on se trouve en matière de diffamation et que ces deux notions juridiques ne sont pas cumulatives mais alternatives.
Surtout, cette décision conduit à sanctionner les propos dénigrants sur la qualité des produits d'une entreprise sur le fondement de la diffamation et non sur celui du dénigrement commercial.
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Anthony Bem
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