La distinction entre l'injure publique et l'injure privée et le droit d'agir des associations

Publié le 08/12/2012 Vu 9 645 fois 0
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Le 27 novembre 2012, la Cour de cassation a jugé que l’injure publique suppose que les propos litigieux aient été proférés dans un lieu ou une réunion public et que leur auteur ait souhaité qu’il soient entendus au-delà d'un cercle de personnes unies entre elles par une communauté d'intérêts, laquelle est exclusive de toute publicité (Cass. Crim., 27 novembre 2012, N° de pourvoi: 11-86982).

Le 27 novembre 2012, la Cour de cassation a jugé que l’injure publique suppose que les propos litigieux aie

La distinction entre l'injure publique et l'injure privée et le droit d'agir des associations

En l'espèce, l'association Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP) a déposé une plainte avec constitution de partie civile contre Monsieur Brice Hortefeux du chef d'injures publiques envers un groupe de personnes à raison de leur origine.

Pour mémoire, Monsieur Brice Hortefeux a été ministre de l'Immigration (2007-2009), du Travail (2009) puis de l'Intérieur (2009-2011).

Il a été reproché à Monsieur Brice Hortefeux d'avoir, lors de l'université d'été du parti UMP, le 5 septembre 2009 à Seignosse (Landes), tenu les propos suivants, enregistrés et diffusés par les médias, en se référant à l'origine arabe prêtée à l'un de ses interlocuteurs :

"Ah mais ça ne va pas du tout, alors, il ne correspond pas du tout au prototype alors. C'est pas du tout ça" ;

"Il en faut toujours un. Quand il y en a un ça va. C'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes".

Cependant, la 17e chambre correctionnelle du Tribunal de grande instance de Paris a relaxé, en 2010, Monsieur Brice Hortefeux pour le premier propos, requalifié le second propos en contravention d'injure raciale non publique et l'a condamné de ce chef.

Les juges d'appel ont considéré que le premier propos n'était pas injurieux et que, s'agissant du second propos, bien qu'injurieux à l'égard d'un groupe de personnes à raison de leur origine, l'élément de publicité faisait défaut.

En effet, selon la cour d'appel « si la réunion au cours de laquelle les paroles litigieuses ont été prononcées était ouverte à la presse, la présence de cette dernière, à elle seule, n'enlevait pas à cette manifestation, réservée aux militants de l'UMP, son caractère privé, et que les images traduisent le "caractère quasi familial" de la rencontre, rien ne venant attester la présence de tiers étrangers à la communauté d'intérêts constituée par les membres de ce groupe de personnes liées par des aspirations communes ... Monsieur Hortefeux, qui ne voit pas l'objectif de la caméra, s'exprime sur le ton de la confidence, et que son attitude démontre qu'il n'entend pas s'adresser au-delà du cercle restreint formé par les militants qui l'entourent, au point qu'il a été nécessaire de recourir, avant diffusion, au procédé du sous-titrage pour rendre la conversation compréhensible ».

Or l'injure raciale non publique ne figure pas dans l'énumération des infractions pour lesquelles les associations habilitées peuvent agir en justice en tant que partie civile.

En effet, seules les associations régulièrement déclarées depuis au moins cinq ans à la date des faits, se proposant, par leurs statuts, de défendre la mémoire des esclaves et l'honneur de leurs descendants, de combattre le racisme ou d'assister les victimes de discrimination fondée sur leur origine nationale, ethnique, raciale ou religieuse, peuvent déposer une plainte et se constituer partie civile en ce qui concerne une liste limitative d'infractions prévues par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

Il en ira ainsi de :

- La provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée (article 24, alinéa 8) ;

- La diffamation publique envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle ou de leur handicap
(article 32, alinéa 2) ;

- L'injure publique envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée (article 33, alinéa 3) ;

- La provocation à commettre les atteintes volontaires à la vie, les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne et les agressions sexuelles, dans le cas où cette provocation n'aurait pas été suivie d'effet et lorsque la provocation concerne des crimes ou délits commis à raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, c'est à dire lorsque l'infraction est précédée, accompagnée ou suivie de propos, écrits, images, objets ou actes de toute nature portant atteinte à l'honneur ou à la considération de la victime ou d'un groupe de personnes dont fait partie la victime à raison de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.

L'injure privée prive donc la possibilité aux associations d'initier une procédure sur ce fondement et de se constituer partie civile afin d'obtenir le versement de dommages et intérêt à l'encontre de leur auteur.

C'est au regard de ces conditions que le MRAP a été déclaré irrecevable en sa constitution de partie civile et Monsieur Monsieur Brice Hortefeux a donc été mis hors de cause.

L'échec de cette action résulte du fait que l'élément de publicité de l'injure faisait défaut.

Il n'est d'injure publique, aux termes de l'article 23 de la loi du 29 juillet 1881, que si les propos ont été « "proférés dans les lieux ou réunions publics" et si la preuve est rapportée de l'intention de leur auteur qu'ils soient entendus au-delà d'un cercle de personnes unies entre elles par une communauté d'intérêts, laquelle est exclusive de toute publicité ».

Pour considérer que l'injure était privée, les juges d'appel ont pris en compte le fait que « les propos retenus comme injurieux ont été tenus en marge d'une manifestation réservée aux seuls militants de l'UMP mais ouverte à la presse, la présence de cette dernière n'ôtant pas, à elle seule, à la réunion, ni au lieu où elle se tenait, leur caractère privé ; que les images produites à l'appui des poursuites montrent le ministre et M. Z... entourés par un groupe d'une quinzaine de militants qui manifestement se connaissent, plaisantent et prennent des photographies, tous éléments donnant à la rencontre un caractère quasi familial ; que rien ne vient attester la présence de tiers étrangers à cette communauté d'intérêts constituée par les membres de ce groupe de personnes liées par des aspirations communes ; que de dos, et parfois de trois-quarts dos, par rapport à l'objectif de la caméra qu'il ne voit pas, M. Hortefeux s'exprime sur le ton de la confidence, son attitude démontrant, notamment lorsqu'il prononce les propos retenus comme injurieux, qu'il n'entend pas s'adresser au-delà du cercle restreint formé par les militants qui l'entourent, les paroles captées par le caméraman de Public Sénat étant d'ailleurs si peu audibles que la chaîne de télévision a dû recourir, avant diffusion, au procédé du sous-titrage afin de rendre la conversation compréhensible ».

L'élément de publicité faisant défaut, les propos retenus comme injurieux constituent la contravention d'injure non publique envers un groupe de personnes à raison de leur origine, infraction prévue et réprimée par les articles R. 624-4 et 624-5 du code pénal.

La contravention d'injure raciale non publique ne fait pas partie de la liste des infractions précitées, pour lesquelles une association, telle que le MRAP, peut engager une procédure pénale.

La cour de cassation a donc validé l’arrêt d’appel en jugeant que :

« d'une part, un propos injurieux, même tenu dans une réunion ou un lieu publics, ne constitue le délit d'injure que s'il a été "proféré", au sens de l'article 23 de la loi sur la presse, c'est-à-dire tenu à haute voix dans des circonstances traduisant une volonté de le rendre public

d'autre part, le droit d'agir reconnu aux associations habilitées par l'article 48 -1 de la même loi n'est prévu que pour les délits limitativement énumérés par ce texte ».

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Anthony Bem
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