Distribution sélective : l’interdiction de vendre sur Internet est-elle valable ?

Publié le Modifié le 12/04/2012 Vu 6 695 fois 0
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L’épopée judiciaire de la société Pierre Fabre Dermo-Cosmétique (Klorane, Avène, Ducray, Galénic) permet légitimement de conclure que les contrats de distribution sélective ne peuvent comprendre des clauses interdisant de vente sur internet. Or, pour la société Pierre Fabre la technologie internet ne permet pas de répondre efficacement aux conseils sollicités quant au choix des produits adaptés aux besoins du consommateur, lequel rend indispensable une présence physique permettant une appréciation directe du problème d'hygiène ou de soins posé.

L’épopée judiciaire de la société Pierre Fabre Dermo-Cosmétique (Klorane, Avène, Ducray, Galénic) per

Distribution sélective : l’interdiction de vendre sur Internet est-elle valable ?

La distribution sélective est un mode de distribution qui repose sur un processus de sélection des points de vente par la marque distribuée afin de garantir le respect de l’image de marque par les marques de produits de luxe ou haut de gamme.

La structure de ce type réseau repose sur son étanchéité qui vise à éviter l'approvisionnement de revendeurs non agréés.

Pour être légale, la distribution sélective doit reposer sur des critères de sélection objectifs et prédéfinis tels que la qualité de l’équipe de vente (formation, effectifs,..), la place et visibilité accordée aux produits de la marque et aux caractéristiques des points de vente (surface, décoration,..) etc ….

Le commerce électronique apparait comme un danger pour les réseaux de distribution sélective puisque la commercialisation des produits du promoteur de réseau sur Internet peut conduire au non respect des critères qualitatifs du réseau de distribution.

La problématique n’est pas nouvelle puisque déjà en 1999, la société de vente de parfums Sephora avait dû renoncer à son site Internet en France, sous la pression des fabricants auxquels elle était liée par des accords de distribution sélective.

La même année, le Président du Tribunal de Commerce de Pontoise avait rendu une ordonnance de référé, concernant la société Pierre Fabre qui interdisait à l’un de ses distributeurs de vendre ses produits sur le réseau Internet, aux termes de laquelle la vente sur Internet « s'ajoute aux modalités traditionnelles mises en place par Monsieur Alain B. dans son officine et conformes aux exigences de la société Pierre Fabre Dermo-Cosmétiques relatives à la matérialité du lieu de vente » (Ordonnance de référé du Tribunal de Commerce de Pontoise, 15 avril 1999,  Pierre Fabre Dermo-Cosmétiques c/ Alain B.

Cependant, la Cour d'Appel de Versailles a infirmé l'ordonnance précitée en considérant que la vente des produits par Internet n'était pas compatible avec les conditions générales du contrat :

« … il n’est pas contesté que le distributeur s’engage à ne délivrer les produits que dans un point de vente répondant à des conditions correspondant à la technicité et à l’image de santé et de sécurité des produits et que le lieu de vente doit matériellement être constitué d’une surface nettement individualisée et isolée dont la superficie doit permettre au distributeur agréé d’offrir, outre un agencement spécifique susceptible de recevoir la totalité des référencements de la marque, un emplacement suffisant pour que le consommateur puisse y visualiser les produits dans les meilleures conditions sur les plans esthétiques et informatifs ; (…) qu’il est en outre exigé, pour assurer la qualité des réponses aux questions que pourraient poser les clients, qu’un diplômé en pharmacie soit attaché au point de vente ; (…) la commercialisation sur Internet ne permet pas d’obtenir les mêmes résultats ; que les conseils ne peuvent être donnés immédiatement, mais nécessitent un délai de réponse ; qu’ils ne peuvent être donnés que sur les indications du client, sans qu’il soit praticable de demander à ce dernier les précisions nécessaires pour apprécier ses besoins réels ; que le contact avec le vendeur n’est pas personnel, mais passe par le truchement des images fixes d’un écran d’ordinateur ; qu’en l’espèce, le site présente les produits par leurs marques et leurs descriptions, sans qu’apparaisse la moindre recherche esthétique ; qu’aucune vitrine " virtuelle " n’est mise en place ; que l’aspect visuel du produit et de son emballage n’apparaît pas ».

Plus récemment, la société Pierre Fabre est à nouveau partie en croisade contre la revente de ses produits sur Internet suite à un avis du Conseil de la concurrence du 29 octobre 2008 la sanctionnant pour avoir interdit contractuellement à ses distributeurs de vendre ses produits sur internet.

Aussi, le Conseil de la concurrence lui a fait obligation « de supprimer, dans ses contrats de distribution sélective, toutes les mentions équivalent à une interdiction de vente sur internet de ses produits cosmétiques et d'hygiène corporelle et de prévoir expressément la possibilité pour ses distributeurs de recourir à ce mode de distribution, dans un délai de 3 mois, à compter de la notification de la décision » (Conseil de la concurrence, du 29 octobre 2008, décision 08-D-25).

La société Pierre Fabre a contesté cette décision devant la Cour d'appel de Paris.

Le 29 octobre 2009, les juges d’appel ont posé une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne, nouvelle appellation de la Cour de justice des communautés européennes depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le 1er décembre 2009, afin de savoir « si l'interdiction générale et absolue de vendre sur Internet les produits contractuels aux utilisateurs finals imposée aux distributeurs agréés dans le cadre d'un réseau de distribution sélective constitue effectivement une restriction caractérisée de la concurrence par objet au sens de l'article 81§1 du Traité CE échappant à l'exemption par catégorie prévue par le Règlement n° 2790/1999 mais pouvant éventuellement bénéficier d'une exemption individuelle en application de l'article 81§3 du Traité CE ».

Le 3 mars 2011, l'avocat général Jan Mazák a conclu qu'une interdiction générale et absolue de vendre sur Internet, imposée dans le contexte d'un réseau de distribution sélective, qui va au-delà de ce qui est nécessaire pour distribuer les produits de manière appropriée au regard de leurs qualités matérielles, de leur aura et de leur image, a pour objet de restreindre la concurrence et tombe sous le coup de l'article 81, § 1, du traité instituant la Communauté européenne [ci-aprés dénommé le traité CE].

Pour mémoire, l'article 81, § 1 du Traité CE, interdit tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et ayant pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence.

Selon l'avocat général une interdiction générale et absolue de vendre sur Internet

- élimine un moyen moderne de distribution qui renforcerait la concurrence intra-marque ;

- restreint tant les ventes actives que les ventes passives, en empêchant l'utilisation d'un outil moderne de communication et de commercialisation ;

- ne pourrait être proportionnée que dans des circonstances très exceptionnelles.

Elle constitue donc une restriction caractérisée au sens du règlement relatif à l'exemption par catégorie des accords verticaux et ne peut, en tant que telle, prétendre au bénéfice de l'exemption prévue par ce règlement, mais pourrait, sous certaines conditions, bénéficier d'une exemption individuelle au titre de l'article 81, § 3, du Traité CE.

En effet, selon l'article 81, § 3, du Traité CE, les dispositions de l'article 81, § 1 précitées peuvent être inapplicables à tout accord de distribution sélective qui :

- contribue à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique,

- tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte,

- sans imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs,

- sans donner à des entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d'éliminer la concurrence.

L'avocat général suggère donc que la juridiction nationale recherche si des informations et des conseils peuvent être fournis de façon satisfaisante via Internet.

En effet, bien que certains produits requièrent un lien physique avec le consommateur, la technique permet une distribution en ligne dans des conditions acceptables pour le fabricant : conseils personnalisés en direct par l’intermédiaire de webcams, reproduction de senteurs, présentation en trois dimensions etc ...

La Cour de justice de l'Union européenne aura donc à trancher la question de savoir si les nouveaux modes de consommation et de commercialisation du e-commerce sont susceptibles de modifier ou non le droit de la distribution sélective et d'interdire définitivement la rédaction de clauses contractuels interdisant la revente de produits sur Internet.

Je suis à votre disposition pour toute information ou action.

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Anthony Bem
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