Le 24 septembre 2014, la Cour de cassation a jugé que l'époux marié sous le régime de la séparation de biens qui revendique le bénéfice d'une créance pour avoir financé seul un bien indivis doit prouver, pour pouvoir en être déclaré bénéficiaire, que ce financement a dépassé les limites de son obligation de contribution aux charges du mariage.
Cet arrêt est l’occasion d’envisager les questions de :
- l’obligation légale de contribution aux charges du mariage des époux (1) ;
- l’étendue et le champ de l’obligation de contribution aux charges du mariage des époux (2) ;
- l’appréciation de la disparité de revenus des époux pour fixer le montant de leur contribution aux charges du mariage (3).
- L’obligation légale de contribution aux charges du mariage des époux
Pour mémoire, l’article 1537 du code civil dispose que :
« Les époux contribuent aux charges du mariage suivant les conventions contenues en leur contrat ; et, s'il n'en existe point à cet égard, dans la proportion déterminée à l'article 214. »
De plus, l’article 214 du code civil dispose que :
« Si les conventions matrimoniales ne règlent pas la contribution des époux aux charges du mariage, ils y contribuent à proportion de leurs facultés respectives.
Si l'un des époux ne remplit pas ses obligations, il peut y être contraint par l'autre dans les formes prévues au code de procédure civile.»
Indépendamment du choix ou non d’un régime matrimonial (communauté, séparation de biens, communauté universelle, participation aux acquêts), les époux sont tenus l'un envers l'autre de contribuer aux charges du mariage et réciproquement.
- L’étendue et le champ de l’obligation de contribution aux charges du mariage des époux
Les charges du mariage sont les dépenses relatives à l'entretien du ménage, l'éducation des enfants et l'ensemble des dépenses nécessaires aux besoins de la vie familiale.
A cet égard, la Cour de cassation juge que la contribution aux charges du mariage relève de la liberté des conventions matrimoniales. (Cass., civ. I, 14 mars 2006, n° 05-15.980)
Toutefois, le contrat de mariage ne peut aller jusqu'à exonérer l'un des conjoints de toute contribution aux charges du mariage.
Cependant, les époux n’ont pas la possibilité de « déroger ni aux devoirs ni aux droits résultant pour eux du mariage » (article 1388 du code civil).
Par ailleurs, la notion de contribution aux charges du mariage est susceptible d’englober beaucoup de frais et charges supportés par les époux.
En effet, la jurisprudence et la doctrine juridique ont une conception large de la notion de charges du mariage.
Concrètement, il s’agit :
- d’une part, des dépenses ménagères au sens habituel du terme (frais et charges de logement, nourriture, habillement, santé, éducation des enfants, etc ... ;
- et, d’autre part de toutes les dépenses d'agrément et de loisir (frais de vacances et de loisirs, dépenses d'aménagement de l'habitation familiale ou l'acquisition d'une résidence secondaire. (Cass. civ. I, 20 mai 1981, no 79-17.171).
En revanche, il a été jugé que l'impôt sur le revenu ne figure pas au nombre des charges du mariage au sens de l'article 214 du Code civil (Cass. civ. I, 22 février 1978 ; CA Paris, 4 octobre 1996 ; Cass. civ. I, 19 mars 2002, n° 00-11.238 ; Cass. civ. I, 25 juin 2002, n° 98-22.882 ; Cass, civ I, 06 juillet 2011, n° 10-19.283).
- L’appréciation de la disparité de revenus des époux pour fixer le montant de leurs contributions aux charges du mariage
Les époux doivent participer à ces dépenses, quelle que soient leurs situations financières respectives.
La règle est que chacun y participe selon ses facultés, soit en argent, soit en nature, c'est-à-dire par une participation personnelle.
Lorsque cette collaboration dépasse la simple exécution de l'obligation de contribuer aux charges du mariage, les services rendus justifient, pour le surplus, la réclamation d'une rémunération ou indemnité.
En cas de refus d'un époux de contribuer aux charges du mariage, son conjoint peut en réclamer le paiement en justice et exercer les voies d'exécution forcées habituelles (Civ. 2e, 4 oct. 1974)
L'époux qui ne satisfait pas à son obligation de contribuer aux charges du mariage peut être condamné à verser périodiquement à son conjoint une somme représentative de sa contribution. (article 214 al. 2 du code civil)
En cas de contestation, il appartient à l'époux qui prétend avoir contribué aux charges du mariage d'en rapporter la preuve par tous moyens.
Le 24 septembre 2014, la Cour de cassation a jugé le cas où deux époux mariés sous le régime de la séparation de biens avaient acquis en indivision, chacun pour moitié, un bien immobilier composé d’une parcelle avec maison et d’une parcelle de terrain.
Cette acquisition a été financée au moyen de fonds personnels des époux et de deux prêts bancaires souscrits conjointement.
À la suite du prononcé du divorce, l'époux a invoqué le bénéfice d'une créance qui lui serait due par l'indivision en raison du fait qu'il avait remboursé quasiment seul les échéances des emprunts bancaires ayant servi au financement de l'acquisition des immobiliers en indivision.
Les juges du fond avaient déclaré l’époux titulaire d'une créance envers l'indivision au titre du remboursement des mensualités des crédits réalisé durant le mariage.
Pour se défendre, l’épouse soulignait que les dépenses relatives au logement de famille entrent dans la notion de charges du mariage au sens de l'article 214 du code civil.
La Cour de cassation a censurant la décision d'appel et donné droit à l’épouse en jugeant que :
« Les juges du fond ne pouvaient accorder une telle créance au bénéfice de l'un des époux sans rechercher si le règlement, par l'époux revendiquant cette créance, des échéances d'un emprunt ayant financé l'acquisition d'un immeuble indivis, participait de l'exécution de son obligation de contribuer aux charges du mariage ».
Ainsi, la Cour de cassation inclut dans la notion de « charges du mariage » les dépenses liées à l'acquisition du logement familial, de sorte que les frais de logement de la famille tels que les loyers et les échéances de remboursement de prêts immobiliers constituent des charges du mariage.
Les juges doivent donc rechercher si le paiement des échéances d'emprunts nécessaires à l'acquisition du logement familial par l'un des époux ne participait pas de l’exécution de son obligation de contribuer aux charges du mariage à proportion de ses facultés.
Cette décision s’inscrit dans la lignée des décisions rendues par la Cour de cassation aux termes desquelles :
- les époux étant présumés avoir participé aux charges matrimoniales à proportion de leurs facultés respectives, il incombe à l'époux qui invoque le bénéfice d’une créance envers l’indivision de démontrer qu'il s'est appauvri plus fortement que ne l'exigeaient ses obligations matrimoniales alors que son conjoint ou l'indivision entre époux se sont enrichis corrélativement (Civ. I, 9 janv. 1979, n° 77-12.99) ;
- le paiement par le mari d'un emprunt ayant financé partiellement l'acquisition par l'épouse du logement de la famille participe de son obligation de contribuer aux charges du mariage (Civ. I, 14 mars 2006, n° 05-15.980) ;
- le fait qu'un des époux finance seul le logement de la famille, ou encore que ce logement soit financé de manière inégalitaire entre les conjoints, n'est pas, à lui seul, de nature à faire naître une créance au profit du contributeur principal (Cass. Civ. I, 12 juin 2013, n° 11-26.748) ;
- sous le régime de la séparation de biens, le financement, par un époux, d'un immeuble indivis dans lequel la famille a son logement ne peut donner lieu à créance contre l'indivision que si cette contribution excède ce qui est dû au titre de l'obligation de contribuer aux charges du mariage (Cass. Civ. I, 12 juin 2013, n° 11-26.748).
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Anthony Bem
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