En l'espèce, Mademoiselle X a découvert que 24 sites internet reproduisaient son image au moyen d'œuvres “photoréalistes” réalisées par Monsieur Juan Francisco Casas à partir de clichés photographiques pris lors de leur vie commune entre 2002 et 2004, parmi lesquels figurent des clichés particulièrement intimes.
En effet, durant leur relation sentimentale, Monsieur Juan Francisco Casas pris plusieurs clichés photographiques de Mademoiselle X, lui promettant de ne pas en faire usage.
Monsieur Juan Francisco Casas est un artiste peintre qui utilise une technique particulière au moyen d'un stylo “Bic” produisant une image qualifiée de “photoréaliste”.
Monsieur Juan Francisco Casas n'était pas aussi renommé durant cette période qu'il ne l'est aujourd'hui.
Il est devenu un artiste peintre mondialement connu depuis plusieurs années dans le secteur de l'art contemporain.
Dans ce contexte, Mademoiselle X considérait que ces cinq des œuvres de l’artiste portaient atteinte tant à son droit à l'image qu'à sa vie privée et en a vainement demandé la restitution auprès de dernier de manière amiable :
- une pour laquelle le défendeur a reçu un prix et qui la représente assise vêtue d'une robe noire,
- une représentant la demanderesse dans des ébats amoureux intitulée “Autoretratoconvirginie2” ;
- une où elle apparaît dénudée les mains sur les seins, ;
- une autre le visage recouvert d'un masque cosmétique embrassant un homme ;
- une dernière où elle apparaît courbée, deux personnes étant accroupies à ses cotés.
En vain, l'artiste a soutenu que Mademoiselle X avait consenti tant à la création des tableaux qu'à leur diffusion dans la sphère publique, elle n'était pas reconnaissable et s'agissant d'œuvres d'art le consentement de la personne représentée n'était pas nécessaire dès lors que lesdites œuvres ne portent pas atteinte à sa dignité.
La décision rendue est intéressante à plusieurs égards et notamment s’agissant de :
- la possible violation du droit à l'image par un tableau photoréaliste ou utilisant la technique du photoréalisme ;
- les modalités d’expression du consentement préalable à la diffusion publique d'une représentation, image, photographie par l’intéressé ;
- la conciliation du droit à l'image et le principe de la liberté d'expression.
Pour sa défense, l'artiste invoquait le fait que Mademoiselle X avait manifesté son accord à l'utilisation des clichés photographiques pris avec son consentement compte tenu que :
- elle l'avait accompagné dans ses réalisations artistiques,
- elle était notamment présente, en février 2004, lors de la cérémonie de remise par le ministre espagnol de la culture, du prix attribué par le journal ABC récompensant son œuvre intitulée “Retrato de Virginie “,
- ses correspondances électroniques démontraient qu'elle avait suivi l'évolution de ses productions.
Cependant, le Président du tribunal de grande instance de Paris a rappelé qu'il résulte des dispositions de l'article 9 du code civil que toute personne, quelle que soit sa notoriété, a droit au respect de sa vie privée et est fondée, à ce titre, à obtenir réparation d'une révélation au public de faits relatifs à sa vie personnelle et familiale, et dispose sur son image et sur l'utilisation qui en est faite d'un droit exclusif qui lui permet de s'opposer à la publication de celle-ci sans son autorisation.
De plus, ces droits sont consacrés par l‘article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui crée une obligation positive pour les Etats signataires de cette convention de les faire respecter.
Ainsi, la juge s'est aussi penché sur la question de « l'autorisation qui aurait été donnée par Mademoiselle X, de reproduire les clichés photographiques la représentant et de rendre publiques ces reproductions ».
Elle a considéré que cet argument pouvait effectivement constituer une contestation sérieuse faisant obstacle à la compétence du juge des référés.
Ormis l'œuvre primée par le journal ABC “Retrato de Virginie“ pour laquelle la demanderesse a participé à la cérémonie de remise de ce prix, le juge a considéré qu´il n'existait aucun élément permettant d'établir le consentement de Mlle X à la diffusion des autres représentations de son image, qui portent également atteinte à la vie privée :
« la reproduction des clichés photographiques litigieux, que son accord pour la diffusion du “Retrato de Virginie“, voire d'autres portraits comme cela est prétendu (pièces n°25 et 29 du défendeur), ne saurait être interprété comme une autorisation générale de reproduction et d'exposition publique de tous les clichés photographiques pris, même avec son consentement, par son ancien compagnon et notamment ceux la représentant dans la sphère la plus intime de sa vie privée ; que les échanges de courriels produits aux débats, et contestés en demande ne sauraient non plus constituer une contestation sérieuse des atteintes alléguées dès lors que, et abstraction faite de la contestation de leur réalité, ils sont trop imprécis pour établir l'accord de la demanderesse à la diffusion des images visées par la présente assignation ».
La cession du droit à l'image est donc conditionnée à :
- Un consentement éclairé sur l'objet de la cession ;
- Une autorisation expresse, écrite et précise.
A cet égard, les échanges d'email donnent lieu à une analyse de la part des juges qui vérifient, le cas échéant, la précision des termes employés et des intentions des parties.
La preuve de l'existence du consentement donné pour la cession du droit à l'image est donc une affaire d'appréciation in concreto et selon les situations de chaque dossier.
Au cas présent, le juge a estimé que : « le droit pour Mademoiselle X de ne pas voir rendre publiques des images la représentant dans des scènes relevant de la sphère de sa vie privée, parfois la plus intime, doit prévaloir sur la liberté d'expression » (Ordonnance de référé, Tribunal de grande instance de Paris, 10 janvier 2013).
En guise de sanction, la demanderesse sollicitait que soit ordonné à l'artiste de s'abstenir à l‘avenir de diffuser par quelques moyens que ce soit des images, portraits, dessins photographies et peintures la représentant et obtenues a son insu.
Mais le juge a estimé que cette demande était trop générale et absolue pour qu'il y soit fait droit.
Il a toutefois jugé « qu'il peut seulement être relevé que de nouvelles publications et diffusions de ces images, sans l'autorisation de la demanderesse, se feraient aux risques et périls de Juan F.».
Surtout en matière de diffusion sur internet, le juge a posé un nouveau principe très intéressant : l'artiste est juridiquement responsable de la diffusion illicites de ses oeuvres, portant atteinte à la vie privée ou au droit à l'image, sur des sites internet dont il n'a pas forcément le contrôle.
L'artiste soutenait que la référence à des sites internet dont il n'avait pas le contrôle rendait l'assignation irrecevable.
Afin de débouter l'artiste de son argument, il a été jugé :
« Qu'il convient par ailleurs de relever que le moyen d'irrecevabilité de la demande concernant les sites internet cités par Virginie G. dans son assignation et dont Juan F. n'a pas le contrôle, est sans objet dès lors que n'est formulée aucune demande de suppression des images litigieuses sur quelque support que ce soit et que le défendeur, auteur de ces œuvres et dont il ne conteste pas être à l'origine de leur diffusion publique, est responsable de celle-ci ».
Enfin, sur l'aspect financier, la provision indemnitaire a été évaluée en tenant compte de la nature des images en cause, des relations entre les parties ainsi que du fait que le demandeur a accepté de supprimer de ses sites internet les représentations de la demanderesse.
Il été alloué à Mademoiselle X la somme de 5.000 € à titre de provision indemnitaire outre celle de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, somme qui inclut les frais de constat d'huissier.
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Anthony Bem
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