Cet arrêt se fonde sur les dispositions de l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme qui dispose que :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)
2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
3. Tout accusé a droit notamment à : (...)
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;
c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;
d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;
e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience. »
La cour rappelle aux termes de cet arrêt que :
1 - Dès la notification de la garde à vue, celui qui en est l’objet peut se prévaloir des garanties de l’article 6 § 3 de la Convention.
La notion de « personne accusée » est autonome et indépendante des qualifications du droit interne à savoir les notions de témoin, gardé à vue ou mis en examen.
En droit interne français, selon le statut pénal de la personne concernée, les droits ainsi que la notification des droits divergent.
Le témoin est celui sur lequel ne pèse aucun soupçon d’avoir commis une infraction. S’il peut être entendu par les services de police, il ne peut être gardé à vue. Parce qu’aucun soupçon ne pèse sur lui, il prête serment.
Le gardé à vue est celui sur lequel pèse « une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner » d’avoir commis une infraction.
Le mis en examen est celui sur lequel pèse des « indices graves et concordants » d’avoir commis une infraction.
La hiérarchie dans le soupçon de la commission de l’infraction détermine le statut accordé à l’intéressé au cours de l’enquête et de l’instruction et donc le degré de coercition et d’atteinte à la liberté auquel il est susceptible d’être soumis.
En l’espèce, la Cour relève que dès l’interpellation et le placement en garde à vue, les autorités avaient des raisons plausibles de soupçonner que le requérant était impliqué dans la commission de l’infraction qui faisait l’objet de l’enquête ouverte par le juge d’instruction.
L’argument selon lequel le requérant n’a été entendu que comme témoin est inopérant, comme étant purement formel, dès lors que les autorités judiciaires et policières disposaient d’éléments de nature à le suspecter d’avoir participé à l’infraction.
D’ailleurs, c’est précisément à la suite de la garde à vue décidée en raison d’éléments de l’enquête le désignant comme suspect, qu’il a été mis en examen et placé en détention provisoire.
Dans ces circonstances, la Cour estime que lorsque le requérant a été placé en garde à vue et a dû prêter serment « de dire toute la vérité, rien que la vérité », celui-ci faisait l’objet d’une « accusation en matière pénale » et bénéficiait du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et de garder le silence garanti par l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention.
2 - Le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et le droit de garder le silence sont des normes internationales généralement reconnues qui sont au cœur de la notion de procès équitable.
Ils ont notamment pour finalité de protéger l’accusé contre une coercition abusive de la part des autorités et, ainsi, d’éviter les erreurs judiciaires et d’atteindre les buts de l’article 6 de la Convention ».
Ce droit a déjà été jugé notamment dans les affaires Bykov c. Russie [GC], no 4378/02, § 92, 10 mars 2009, et John Murray c. Royaume-Uni, 8 février 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-I, § 45 et Serves, précité, § 45.
Le droit de ne pas s’incriminer soi-même concerne le respect de la détermination d’un accusé à garder le silence et présuppose que, dans une affaire pénale, l’accusation cherche à fonder son argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou des pressions, au mépris de la volonté de l’accusé (voir, notamment, Saunders c. Royaume-Uni, 17 décembre 1996, §§ 68-69, Recueil 1996-VI, Allan c. Royaume-Uni, no 48539/99, § 44, CEDH 2002-IX, Jalloh c. Allemagne [GC], no 54810/00, §§ 94-117, CEDH 2006-IX, et O’Halloran et Francis c. Royaume-Uni [GC] nos 15809/02 et 25624/02, §§ 53-63, CEDH 2007-VIII).
La Cour constate également qu’il ne ressort ni du dossier ni des procès-verbaux des dépositions que le requérant ait été informé au début de son interrogatoire du droit de se taire, de ne pas répondre aux questions posées, ou encore de ne répondre qu’aux questions qu’il souhaitait.
3 - La personne placée en garde à vue a le droit d’être assistée d’un avocat dès le début de cette mesure ainsi que pendant les interrogatoires, et ce a fortiori lorsqu’elle n’a pas été informée par les autorités de son droit de se taire
Ce droit a déjà été jugé notamment dans les affaires Salduz c. Turquie [GC], no 36391/02, §§ 50-62, 27 novembre 2008, Dayanan c. Turquie, no 7377/03, §§ 30-34, 13 octobre 2009, Boz c. Turquie, no 2039/04, §§ 33-36, 9 février 2010, et Adamkiewicz c. Pologne, no 54729/00 §§ 82-92, 2 mars 2010.
En l'espèce, la Cour relève que le requérant n’a pu être assisté d’un avocat que vingt heures après le début de la garde à vue, délai prévu à l’article 63-4 du code de procédure pénale.
L’avocat n’a donc été en mesure ni de l’informer sur son droit à garder le silence et de ne pas s’auto-incriminer avant son premier interrogatoire ni de l’assister lors de cette déposition et lors de celles qui suivirent, comme l’exige l’article 6 de la Convention.
La Cour a donc condamné la France pour violation de l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention s’agissant du droit du requérant de ne pas contribuer à sa propre incrimination et de garder le silence.
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Cette décision a notamment pour effet de s’opposer à une audition libre prévue par le projet de loi relatif à la garde à vue, qui ne prévoit ni le droit au silence ni l’assistance effective par un avocat pendant cette mesure de sorte que le Parlement et le Gouvernement devront tirer les conséquences de cette décision.
Les droits des personnes en garde à vue et le rôle de l'avocat durant cette mesure privative de liberté restent donc à établir à la lumière de cette décision.
Le 15 avril 2011, la loi réformant la garde à vue a été publiée au Journal officiel.
Son entrée en vigueur est prévue au 1er juin 2011.
Or, l’assemblée plénière de la Cour de cassation s'est prononcée le même jour sur l’application immédiate de la réforme :
« les États adhérents à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaquées devant elles ni d’avoir modifié leur législation ».
Ainsi, en application de l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme, toute personne placée en garde à vue pourra désormais bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le début de la mesure et pendant ses interrogatoires.
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Anthony Bem
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