L’avènement de l’internet et des réseaux sociaux donne lieu à de nouvelles problématiques.
Mais, pour la première fois, les juges de cassation ont eu à trancher la question du caractère publique ou non des propos injurieux diffusés sur les réseaux sociaux, tels que MSN et Facebook.
En effet, bien que la liberté d’expression soit un principe à la valeur constitutionnelle, elle connait des limites telles que le dénigrement, la diffamation et l’injure publiques ou privées.
Pour mémoire, l’injure publique est prévue à l’article 29 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881, sur la liberté de la presse, selon lequel :
« Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait est une injure. »
La sanction attachée à cette infraction est une amende de 12.000 euros maximum.
L’injure privée est prévue et réprimée par l’article R. 621 2 du code pénal, à savoir une contravention de 1ère classe, soit une amende d’un montant de 38 €.
Le caractère privé ou public des propos injurieux ou diffamatoires dépend de l’existence ou non d’une communauté d’intérêts entre les personnes destinatrices de ces propos.
La communauté d’intérêts est ainsi utilisée par les juges pour établir la frontière entre les injures ou diffamation publiques et privées (CA Paris, 11e ch. corr., sect. B, 15 décembre 2005 ; CA Paris, 11e ch., 7 octobre 2004 ; CA Douai, 6e ch. corr., 13 octobre 2005).
En l’espèce, un employeur a assigné son ancienne salariée en justice en paiement de dommages intérêts au titre des injures diffusées sur Internet contre sa hiérarchie telles que :
- « sarko devrait voter une loi pour exterminer les directrices chieuses comme la mienne !!! ( site MSN)
- extermination des directrices chieuses " (Facebook)
- éliminons nos patrons et surtout nos patronnes (mal baisées) qui nous pourrissent la vie !!!" (Facebook)
- Rose Marie motivée plus que jamais à ne pas me laisser faire. Y’en a marre des connes »
Le profil Facebook n'était accessible qu'à un nombre limité de personnes choisies par le titulaire du profil.
Selon les juges d’appel, les propos injurieux avaient un caractère privé et non public car ils ont été diffusés à des membres choisis par la salariée en raison de leurs affinités amicales ou sociales et compte tenu du « nombre très restreint » de personnes.
La cour de cassation a confirmé l’arrêt d’appel et posé le principe selon lequel :
« après avoir constaté que les propos litigieux avaient été diffusés sur les comptes ouverts par Mme Y... tant sur le site Facebook que sur le site MSN, lesquels n’étaient en l’espèce accessibles qu’aux seules personnes agréées par l’intéressée, en nombre très restreint, la cour d’appel a retenu, par un motif adopté exempt de caractère hypothétique, que celles ci formaient une communauté d’intérêts ; qu’elle en a exactement déduit que ces propos ne constituaient pas des injures publiques ».
Cependant, la cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt d’appel sur le fondement de l’article R. 621 2 du code pénal relatif à la contravention d’injure non publique :
« Attendu que pour rejeter les prétentions de Mme X..., la cour d’appel s’est bornée à constater que les propos litigieux ne constituaient pas des injures publiques ;
Qu’en statuant ainsi sans rechercher, comme il lui incombait de le faire, si les propos litigieux pouvaient être qualifiés d’injures non publiques, la cour d’appel a violé par refus d’application le texte susvisé ».
Il résulte de cette décision que :
- Les membres des sites internet de réseau social tels que Facebook et MSN forment entre eux une communauté d’intérêt quand ils sont choisis et en nombre très restreint ;
- Les propos publiés sur des sites internet accessibles aux différents « amis » ou « contacts » choisis n’ont pas un caractère public mais privé.
Cependant, bien que les juges de cassation ont estimé qu’il existait une communauté d’intérêts entre les « amis » Facebook et les « contacts » MSN par le simple fait de leur sélection par le titulaire du profil et du nombre très restreint de personnes, ils n’ont pas cru devoir apprécier la réalité de l’appartenance commune, des aspirations, des objectifs partagés ou des affinités amicales ou sociales entre les différents membres choisis, ni jusqu'à combien de personnes destinatrices des propos litigieux peut-on considérer qu'il existe une restriction d'accès.
Or, un nombre important de profils sur les réseaux sociaux comprennent des contacts avec qui les auteurs de ces profils n’ont aucun lien ni aucune affinité réelle.
Ainsi, pour ma part, le simple fait que les « amis » Facebook ou contact MSN aient été sélectionnés et soient en nombre restreint ne suffit pas à former une « communauté d’intérêts » rendant les propos tenus et accessibles par cette communauté d’intérêts comme privés.
Certains "contacts" sur tel réseau social et "amis" sur Facebook ne sont-ils choisis uniquement car la "photo est bonne" ? (en référence à l'intitulé d'une magnifique chanson de Barbara)
Il est regrettable que la Haute Cour n'ait pas saisi l'occasion de préciser d'avantage la notion de communauté d'intérêt sous le prisme des réseaux sociaux ou de fixer un nombre précis de contacts permettant de qualifier juridiquement, de manière objective, les limites à la liberté d'expression que constituent l'injure et la diffamation publiques et privées.
En tout état de cause, cet arrêt conserve toute son importance car :
- la Cour de cassation est la plus haute instance judiciaire française dont les décisions s’imposent aux autres juridictions inférieures (cours d’appel, tribunaux de grande instance, tribunal de commerce, conseil des prud’hommes, tribunaux correctionnels, etc …) ;
- pour la première fois, la cour de cassation se prononce sur les « licenciements Facebook » et la problématique des propos injurieux diffusés sur les réseaux sociaux ;
- l’arrêt pose « un attendu de principe » qui sera applicable à toutes les affaires et pas seulement au cas d’espèce ;
- indépendamment du caractère public ou privé des propos injurieux ou diffamatoires diffusés sur internet, et du fondement juridique de l'action pour injure ou diffamation, les salariés engagent leur responsabilité et peuvent, le cas échéant, faire l’objet d’un licenciement pour faute.
Je suis à votre disposition pour toute information ou action.
PS : Pour une recherche facile et rapide des articles rédigés sur ces thèmes, vous pouvez taper vos "mots clés" dans la barre de recherche du blog en haut à droite, au dessus de la photographie.
Anthony Bem
Avocat à la Cour
27 bd Malesherbes - 75008 Paris
Tel : 01 40 26 25 01
Email : abem@cabinetbem.com