Pour mémoire, la distribution sélective est un mode de distribution qui repose sur un processus de sélection des points de vente par la marque distribuée afin de garantir le respect de l’image de marque.
De ce fait, la vente en ligne peut apparaitre comme un danger pour les réseaux de distribution sélective, dans la mesure où la commercialisation des produits du promoteur de réseau sur Internet peut conduire au non respect des critères qualitatifs du réseau de distribution.
Ainsi, des sociétés comme Pierre Fabre ont tendance à insérer dans les contrats conclus avec leurs distributeurs agréés une clause interdisant à ces derniers de vendre leurs produits sur internet.
Pour faire accepter une telle clause par les distributeurs agréés, le fournisseur peut par exemple soutenir qu’internet ne permet pas de répondre efficacement aux conseils sollicités quant au choix des produits adaptés aux besoins du consommateur, lequel rend indispensable une présence physique d’un conseiller vendeur.
Cependant, l’interdiction faite par le fournisseur à ses distributeurs agréés de vendre sur internet peut constituer une restriction de concurrence interdite par l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).
C’est ainsi que, répondant à une question préjudicielle posée à l’occasion d’une affaire concernant justement la société Pierre Fabre, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a jugé :
« qu'une clause contractuelle, dans le cadre d'un système de distribution sélective, exigeant que les ventes de produits cosmétiques et d'hygiène corporelle soient effectuées dans un espace physique en présence obligatoire d'un pharmacien diplômé, ayant pour conséquence l'interdiction de l'utilisation d'internet pour ces ventes, constitue une restriction par objet au sens de l'article 101 § 1 TFUE si, à la suite d'un examen individuel et concret de la teneur et de l'objectif de cette clause contractuelle et du contexte juridique et économique dans lequel elle s'inscrit, il apparaît que, eu égard aux propriétés des produits en cause, cette clause n'est pas objectivement justifiée. » (CJUE, 13 octobre 2011, aff. C-439/ 09)
L’arrêt du 24 septembre 2013 s’inscrit dans la droite ligne de cette décision.
En l’espèce, trois sociétés exploitant chacune une parapharmacie sont distributeurs agréés des produits cosmétiques fabriqués par d’autres sociétés faisant partie d’un même Groupe.
Par la suite, les sociétés du Groupe ont retiré leur agrément aux trois sociétés en invoquant le non-respect de leur obligation de ne vendre les produits que sur le conseil d'un diplômé en pharmacie physiquement présent sur le lieu de vente.
Les trois sociétés ont alors assigné les sociétés du Groupe pour voir constater la nullité de la clause invoquée ainsi que le caractère abusif de la rupture des relations commerciales, et d'en voir ordonner la reprise, sous astreinte.
La cour d’appel a accueilli ces demandes en condamnant solidairement les sociétés du Groupe à payer différentes sommes à titre de dommages-intérêts.
Pour ce faire, les juges du fond se sont référés à la décision de la CJUE précitée et ont relevé que :
- les produits dermo-cosmétiques n'entrent pas dans le monopole des pharmaciens ;
- il n'est pas établi que les produits litigieux nécessitent sur le plan de la santé des utilisateurs des conseils particuliers ;
- le conseil d'utilisation sollicité, le cas échéant, par le consommateur peut être dispensé par toute personne ayant bénéficié d'une formation adéquate, en dermatologie ou cosmétologie par exemple.
Cette argumentation est accueillie par la Cour de cassation qui a considéré « qu'en ce qu'elle exige la présence sur le lieu de vente d'un diplômé en pharmacie, la clause a un caractère disproportionné et est illicite ».
En d’autres termes, une clause contractuelle exigeant la présence d’un diplômé en pharmacie pour la vente de produits dermo-cosmétiques est illicite, dans la mesure où elle a pour conséquence d’interdire l’utilisation d’internet pour la vente et constitue donc une restriction de concurrence par objet.
En outre, la jurisprudence précise qu’une restriction par objet peut néanmoins bénéficier d'une exemption individuelle, à la condition que la pratique restrictive de concurrence contribue à un progrès économique et soit indispensable à la réalisation de ce progrès.
Or, dans le cas présent, il n’était pas démontré que l’exigence de la présence d’un diplômé en pharmacie pour la vente contribuait à un progrès économique et était indispensable à la réalisation de ce progrès.
Il résulte donc de cette décision que dans les contrats de distribution sélective les clauses empêchant la vente des produits sur internet ne sauraient être valablement opposées aux distributeurs pour justifier la rupture des relations contractuelles.
Une telle rupture des relations commerciales pourrait être considérée comme abusive, de sorte qu’avec l’assistance d’un avocat spécialisé, les distributeurs agréés pourraient engager la responsabilité du fournisseur afin d’obtenir des dommages et intérêts en réparation des préjudices subis.
Au travers de cette décision, le droit de la distribution s’offre, de manière positive, de nouvelles règles en matière de vente en ligne et de limitation de la revente des produits sur internet.
Je suis à votre disposition pour toute action ou information (en cliquant ici).
PS : Pour une recherche facile et rapide des articles rédigés sur ces thèmes, vous pouvez taper vos "mots clés" dans la barre de recherche du blog en haut à droite, au dessus de la photographie.
Anthony Bem
Avocat à la Cour
27 bd Malesherbes - 75008 Paris
Tel : 01 40 26 25 01
Email : abem@cabinetbem.com