La CJUE a ainsi posé le principe selon lequel la vente et la distribution de produits par Internet ne peut être interdite par un fournisseur à leurs distributeurs.
En l'espèce, la société Pierre Fabre interdisait à ses distributeurs de "points de vente physique" de vendre leurs produits par internet en prétextant que cela nuisait aux produits, aux consommateurs et à l'image de la marque.
L’épopée judiciaire de la société Pierre Fabre Dermo-Cosmétique (Klorane, Avène, Ducray, Galénic) permet légitimement de conclure que les contrats de distribution sélective ne peuvent comprendre des clauses interdisant de vente sur internet.
Or, pour la société Pierre Fabre la technologie internet ne permet pas de répondre efficacement aux conseils sollicités quant au choix des produits adaptés aux besoins du consommateur, lequel rend indispensable une présence physique permettant une appréciation directe du problème d'hygiène ou de soins posé.
Cependant, selon l'article 101 du traité fondateur de l'union européenne, la législation européenne prohibe tous les accords ayant pour objet de restreindre la concurrence, sauf si l’accord bénéficie d’une dérogation "exemption individuelle" et qu'il ait pour effet d’améliorer la distribution des produits ou contribue à promouvoir le progrès économique. En matière d'e-commerce, le fournisseur devra démontrer que l’interdiction faite aux distributeurs de vendre sur Internet contribue à l’amélioration de la distribution des produits et est bénéfique pour le progrès économique.
La distribution sélective est un mode de distribution qui repose sur un processus de sélection des points de vente par la marque distribuée afin de garantir le respect de l’image de marque par les marques de produits de luxe ou haut de gamme.
La structure de ce type réseau repose sur son étanchéité qui vise à éviter l'approvisionnement de revendeurs non agréés.
Pour être légale, la distribution sélective doit reposer sur des critères de sélection objectifs et prédéfinis tels que la qualité de l’équipe de vente (formation, effectifs,..), la place et visibilité accordée aux produits de la marque et aux caractéristiques des points de vente (surface, décoration,..) etc ….
Le commerce électronique apparait comme un danger pour les réseaux de distribution sélective puisque la commercialisation des produits du promoteur de réseau sur Internet peut conduire au non respect des critères qualitatifs du réseau de distribution.
La problématique n’est pas nouvelle puisque déjà en 1999, la société de vente de parfums Sephora avait dû renoncer à son site Internet en France, sous la pression des fabricants auxquels elle était liée par des accords de distribution sélective.
La même année, le Président du Tribunal de Commerce de Pontoise avait rendu une ordonnance de référé, concernant la société Pierre Fabre qui interdisait à l’un de ses distributeurs de vendre ses produits sur le réseau Internet, aux termes de laquelle la vente sur Internet « s'ajoute aux modalités traditionnelles mises en place par Monsieur Alain B. dans son officine et conformes aux exigences de la société Pierre Fabre Dermo-Cosmétiques relatives à la matérialité du lieu de vente » (Ordonnance de référé du Tribunal de Commerce de Pontoise, 15 avril 1999, Pierre Fabre Dermo-Cosmétiques c/ Alain B.
Cependant, la Cour d'Appel de Versailles a infirmé l'ordonnance précitée en considérant que la vente des produits par Internet n'était pas compatible avec les conditions générales du contrat :
« … il n’est pas contesté que le distributeur s’engage à ne délivrer les produits que dans un point de vente répondant à des conditions correspondant à la technicité et à l’image de santé et de sécurité des produits et que le lieu de vente doit matériellement être constitué d’une surface nettement individualisée et isolée dont la superficie doit permettre au distributeur agréé d’offrir, outre un agencement spécifique susceptible de recevoir la totalité des référencements de la marque, un emplacement suffisant pour que le consommateur puisse y visualiser les produits dans les meilleures conditions sur les plans esthétiques et informatifs ; (…) qu’il est en outre exigé, pour assurer la qualité des réponses aux questions que pourraient poser les clients, qu’un diplômé en pharmacie soit attaché au point de vente ; (…) la commercialisation sur Internet ne permet pas d’obtenir les mêmes résultats ; que les conseils ne peuvent être donnés immédiatement, mais nécessitent un délai de réponse ; qu’ils ne peuvent être donnés que sur les indications du client, sans qu’il soit praticable de demander à ce dernier les précisions nécessaires pour apprécier ses besoins réels ; que le contact avec le vendeur n’est pas personnel, mais passe par le truchement des images fixes d’un écran d’ordinateur ; qu’en l’espèce, le site présente les produits par leurs marques et leurs descriptions, sans qu’apparaisse la moindre recherche esthétique ; qu’aucune vitrine " virtuelle " n’est mise en place ; que l’aspect visuel du produit et de son emballage n’apparaît pas ».
Plus récemment, la société Pierre Fabre est à nouveau partie en croisade contre la revente de ses produits sur Internet suite à un avis du Conseil de la concurrence du 29 octobre 2008 la sanctionnant pour avoir interdit contractuellement à ses distributeurs de vendre ses produits sur internet.
Aussi, le Conseil de la concurrence lui a fait obligation « de supprimer, dans ses contrats de distribution sélective, toutes les mentions équivalent à une interdiction de vente sur internet de ses produits cosmétiques et d'hygiène corporelle et de prévoir expressément la possibilité pour ses distributeurs de recourir à ce mode de distribution, dans un délai de 3 mois, à compter de la notification de la décision » (Conseil de la concurrence, du 29 octobre 2008, décision 08-D-25).
La société Pierre Fabre a contesté cette décision devant la Cour d'appel de Paris.
Le 29 octobre 2009, les juges d’appel ont posé une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne, nouvelle appellation de la Cour de justice des communautés européennes depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le 1er décembre 2009, afin de savoir « si l'interdiction générale et absolue de vendre sur Internet les produits contractuels aux utilisateurs finals imposée aux distributeurs agréés dans le cadre d'un réseau de distribution sélective constitue effectivement une restriction caractérisée de la concurrence par objet au sens de l'article 81§1 du Traité CE échappant à l'exemption par catégorie prévue par le Règlement n° 2790/1999 mais pouvant éventuellement bénéficier d'une exemption individuelle en application de l'article 81§3 du Traité CE ».
La CJUE a considéré que les accords de distribution sélectifs influencent le jeu de la concurrence et s’analysent en une restriction par objet de sorte qu'ils doivent pouvoir être justifiés objectivement et qualitativement.
Les juges français en charge de régler l'affaire sur le fonds dans les mois à venir vérifieront concrètement que l’interdiction de vendre par Internet peut être justifiée par un objectif légitime.
Ces derniers juges vérifieront si les éléments suivants sont de nature à justifier une interdiction de vente par Internet et ainsi une restriction de la concurrence :
- l’exigence d’une assistance adaptée au client ;
- le souci de garantir sa sécurité contre une utilisation impropre du produit ;
- la nécessité de préserver l’image de marque.
Une partie du E-commerce français est donc concernée par la décision des juges à venir et je ne manquerai pas de la commenter le moment venu.
Je suis à votre disposition pour toute information ou action.
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Anthony Bem
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