Avant d’aborder la question de l’avenir de notre identité numérique post mortem, il convient d’abord de définir la notion d’identité numérique et ses enjeux.
I) L’identité numérique et ses enjeux
L’identité numérique est l'ensemble des renseignements et des données qui se rapportent à une personne sur Internet.
Ainsi, elle impacte sur la représentation que les internautes se font d’une personne sur Internet, ce que l'on nomme aussi E-réputation, réputation en ligne, cyber réputation ou réputation numérique.
Cette identité numérique est entretenue par tout ce qui concerne une personne et qui est mis en ligne sur les réseaux sociaux, les forums, les blogs ou les plateformes de partage de vidéos.
On peut regrouper les éléments composant l’identité numérique en quatre grandes catégories.
Il y a d’abord les éléments d’authentification qui correspondent aux pseudonyme, nom, prénom, adresse IP, adresse email, mot de passe et numéro d’identification d’un internaute.
Ensuite, il y a les données personnelles, administratives, bancaires, professionnelles et sociales qu’un internaute peut être amené à fournir pour accéder à certains services sur Internet.
Puis, il y a les signes de reconnaissance tels que les photos, avatars, logos, et images.
Enfin, il y a les traces numériques qui sont les contributions à des blogs, les opinions émises sur des forums et les vidéos publiées sur des plateformes de partage.
L’importance prise par la question de l’identité numérique est telle qu’aujourd’hui «googliser» quelqu’un est désormais monnaie courante ; ce néologisme voulant dire rechercher des informations sur une personne sur Internet afin d’appréhender sa personnalité.
En effet, les sites internet sont de plus en plus consultés afin de rechercher des informations sur les individus, que ce soit dans un contexte personnel ou professionnel.
Ainsi, des amis, conjoints, employeurs, recruteurs, clients ou fournisseurs ont de plus en plus tendance à pratiquer le « name googling », action qui consiste à saisir dans un moteur de recherche le prénom et le nom d’une personne pour en savoir plus sur elle.
En outre, de nombreux internautes se sont retrouvés victimes d'atteinte à leur e-réputation ou ont vu leur responsabilité civile ou pénale engagée pour des fautes commises sur ou via internet.
En témoignent, les nombreux « licenciements Facebook » et les décisions de justice qui se sont fondées, entre autres, sur l’adresse IP pour condamner des internautes auteurs d’infractions commises sur Internet.
Or, si de notre vivant il est possible d’avoir un certain contrôle sur son identité numérique, qu'adviendra-t-il de notre E-réputation après notre décès ?
En effet, on peut maitriser une partie de son identité numérique en contrôlant ce que l'on met soi-même en ligne : les commentaires laissés sur des réseaux sociaux, les articles publiés sur un blog, les participations sur des forums, les photos ou vidéos mises en ligne.
Pour l’autre partie de notre identité numérique qui ne dépend pas de nous et qui est liée à ce que d'autres personnes publient sur nous, il est également possible de la maitriser.
La loi informatique et libertés de 1978 permet à cette fin à toute personne présentant des motifs légitimes de demander la suppression de données la concernant diffusées sur internet.
Il faut alors demander cette suppression à la personne responsable du site internet à l'origine de la publication des informations.
Si dans un délai légal de 2 mois après l'envoi de la demande, les informations ne sont toujours pas supprimées, il est possible d'adresser un courrier de réclamation à la CNIL pour qu’elle intervienne auprès du responsable du site concerné.
Si, malgré tout, le responsable du site refuse de supprimer les informations, l’internaute pourra s'adresser à la justice.
Dans ce cadre, les dispositions légales relatives à la vie privée et à la protection des données personnelles permettent à chacun d’obtenir la suppression de contenu.
Cependant, si de son vivant l’internaute a la maitrise de son identité numérique, il en va différemment après son décès.
Ainsi, se pose de plus en plus la question de l’avenir de l’identité numérique d’un internaute après son décès.
II) La question du droit à l’oubli numérique en cas de décès d’un internaute
« Verba volant, scripta manent ! » : les paroles s’envolent, les écrits restent ...
A l’heure des blogs, des réseaux sociaux, des forums et des sites de partage de vidéos, cet adage séculaire prend tout son sens.
Le défunt n’est évidemment plus en mesure de gérer son identité numérique, de supprimer ses informations personnelles, de récupérer ses photos ou vidéos mises en ligne, d’effacer ses articles ni de fermer son blog.
Ainsi, même après notre décès, les informations personnelles que nous avons laissées de notre vivant sur Internet et qui ont forgé notre identité numérique y demeurent, comme gravées dans le marbre.
Dans un tel contexte, la question se pose de savoir quels sont les moyens juridiques dont disposent les ayants droit pour faire supprimer les informations personnelles d’un défunt se trouvant sur Internet dans le but de protéger son identité numérique.
Cela revient à se demander si le droit à l’oubli numérique peut s’appliquer en cas de décès.
A l’heure actuelle, le droit à l’oubli numérique n’est consacré en tant que tel par aucun texte, mais il s’appuie sur les dispositions relatives à la limitation de la durée de conservation des données et au droit à l’effacement des données personnelles (articles 6 et 40 de la loi informatique et libertés de 1978).
Le droit à l’oubli numérique pourrait être défini comme le droit dont disposerait une personne à ce que ses informations personnelles soient supprimées ou ne soient plus diffusées sur Internet, après l’écoulement d’un certain laps de temps.
Autrement dit, il s’agit d’éviter que la réputation d’une personne ne soit atteinte par l’utilisation de ses données personnelles figurant sur Internet à son initiative ou à celle d’un tiers.
Le droit à l’oubli numérique devrait être consacré par la proposition de règlement européen relatif à la protection des données personnelles qui a été rendue publique par la Commission européenne le 25 janvier 2012.
L’article 17 de la proposition de règlement prévoit en effet le droit pour chaque personne d’obtenir la suppression de l’intégralité des données la concernant, si le responsable du site internet n’a pas de motif légitime pour les conserver.
Ainsi, un internaute qui voudrait résilier son compte sur un réseau social devrait théoriquement pouvoir obtenir du site qu’il détruise toutes les données personnelles le concernant.
Par ailleurs, le règlement prévoit que le site concerné se doit d’informer les tiers qui traitent les mêmes données de cette demande de suppression, afin « d’effacer tout lien vers ces données à caractère personnel, ou toute copie ou reproduction de celles-ci ».
En attendant l’adoption de ce projet de règlement qui n’est pas envisagée avant mars 2014 selon la CNIL, la question se pose toujours de savoir si les ayants droit peuvent se prévaloir d’un droit à l’oubli numérique pour demander la suppression des informations personnelles d’un défunt.
Le droit à l’oubli constitue ainsi une exigence croissante de la part des citoyens. À titre d’exemple, les plaintes reçues à la CNIL et relatives au droit à l’oubli ont augmenté de 42 % entre 2010 et 2011 et représentent désormais un cinquième des plaintes reçues par la CNIL.
En outre, la jurisprudence prend de plus en plus en considération cette exigence en permettant à chacun de se prévaloir de son droit à l'oubli afin d'obtenir de sites internet la désindexation de ses noms et prénoms de contenus susceptibles de porter atteinte à sa réputation ou à sa vie privée en ligne.
Par exemple, dans l’affaire Diana Z. contre Google du 15 février 2012, le TGI de Paris a considéré que la demanderesse, une ancienne actrice X, entendait bénéficier du droit à l’oubli et a ordonné à Google de supprimer de ses moteurs de recherche tous résultats apparaissant à la suite des requêtes effectuées avec ses nom et prénom et renvoyant directement ou indirectement à des sites à caractère ou tendance pornographique. (Tribunal de grande instance de Paris, Ord. Réf., 15 février 2012, Diana Z. / Google)
Cependant, s’agissant du droit à l’oubli numérique d’une personne défunte, il n’existe pas encore, à notre connaissance, une jurisprudence qui le consacre.
De ce fait, à ce jour, les ayants droit ne sauraient se prévaloir du droit à l’oubli numérique d’un défunt pour faire supprimer des contenus en ligne attentatoires à sa réputation.
On peut reprocher au législateur et à la jurisprudence de ne pas encore avoir apporté de réponse sur ce point, dans la mesure où un défunt ne peut plus gérer son identité numérique et que les atteintes à sa réputation sont de ce fait plus que jamais possibles.
L’incertitude qui entoure ainsi l’avenir de l’identité numérique d’un internaute après son décès a entraîné le développement de nombreux services en ligne permettant à l’internaute de confier les mots de passe de ses divers comptes et les instructions qu’il souhaite voir transmises aux ayants droit après son décès.
Mais pour ces alternatives, la question se pose de savoir dans quelle mesure elles auraient une force obligatoire face aux sites concernés.
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Anthony Bem
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