Internet : violation de la liberté d’expression suite au blocage judiciaire de l'accès à un site

Publié le Modifié le 11/01/2013 Vu 4 594 fois 0
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Le 18 décembre 2012, la Cour européenne des droits de l’homme a sanctionné l’état turc pour avoir bloqué les publications sur le blog Internet d’un internaute et ce faisant violé le droit à la liberté d’expression de ce dernier (CEDH, deuxième section, 18 décembre 2012, affaire Ahmet Yildirim c. Turquie, Requête no 3111/10).

Le 18 décembre 2012, la Cour européenne des droits de l’homme a sanctionné l’état turc pour avoir bloq

Internet : violation de la liberté d’expression suite au blocage judiciaire de l'accès à un site

Monsieur Ahmet Yıldırım a saisi la CEDH d’un recours dirigé contre la République de Turquie suite à la mesure de blocage de l’accès à son site Internet prononcée par les autorités nationales.

Le requérant est propriétaire et utilisateur du site web « http://sites.google.com/a/ahmetyildirim.com.tr/academic/ », où il publie ses travaux académiques et ses points de vue dans différents domaines.

Ce site a été créé en utilisant le service « Google Sites » (http://sites.google.com/), un module Google de création et d’hébergement de sites web.

Le tribunal d’instance pénal de Denizli a rendu une décision ordonnant le blocage de l’accès au site http://sites.google.com/site/kemalizminkarinagrisi/benimhikayem/atauerk-koessi/at comme mesure préventive adoptée dans le cadre d’une procédure pénale dirigée contre son propriétaire, qui était accusé d’outrage à la mémoire d’Atatürk.

Une copie de la décision de blocage fut notifiée pour exécution à la Présidence de la télécommunication et de l’informatique (la « PTI »).

Sur demande de la PTI, le tribunal d’instance pénal de Denizli décida de bloquer totalement l’accès à Google Sites. La PTI avait en effet indiqué que c’était là la seule possibilité de bloquer le site litigieux, son propriétaire n’étant pas titulaire d’un certificat d’hébergement et se trouvant à l’étranger.

La PTI bloqua totalement l’accès à Google Sites.

Ainsi, le requérant se trouva dans l’impossibilité d’accéder à son propre site web, et ses tentatives à cette fin se heurtèrent invariablement à la décision de blocage prononcée par le tribunal.

Le requérant s’est plaint de l’impossibilité d’accéder à son site Internet résultant d’une mesure ordonnée dans le cadre d’une affaire pénale qui n’avait aucun rapport avec son site.

Il voit dans cette mesure une atteinte à son droit à la liberté de recevoir et de communiquer des informations et des idées garanti par l’article 10 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« 1.  Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

2.  L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. » 

Or, le droit d’accès à l’Internet est protégé par les garanties constitutionnelles existantes en matière de liberté d’expression et de liberté de recevoir des idées et des informations.

Ce droit est considéré comme inhérent au droit d’accéder à l’information et à la communication, protégé par les Constitutions nationales.

Il inclut le droit de chacun de participer à la société de l’information, et l’obligation pour les Etats de garantir l’accès des citoyens à Internet.

Ainsi, l’ensemble des garanties générales consacrées à la liberté d’expression constitue une base adéquate pour reconnaître également le droit d’accès, sans entraves, à Internet.

Dans sa décision, du 10 juin 2009, le Conseil constitutionnel français a clairement affirmé que la liberté d’expression doit aujourd’hui se comprendre comme incluant le droit d’accéder à l’Internet (Décision no 2009‑580 DC).

Il a également posé les principes fondamentaux en matière de restriction d’accès à Internet : la restriction au droit de libre accès aux services de communication au public en ligne ne peut être ordonnée que par un juge, à l’issue d’un procès équitable, et en imposant une sanction proportionnée.

Selon le Conseil constitutionnel, « eu égard à la nature de la liberté garantie par l’article 11 de la Déclaration de 1789, le législateur ne pouvait [...] confier les pouvoirs (de restreindre ou d’empêcher l’accès à Internet) à une autorité administrative dans le but de protéger les droits des titulaires du droit d’auteur et de droits voisins ».

Pour cette raison, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les articles de la loi autorisant la coupure de l’accès à l’Internet en cas d’infraction aux droits d’auteur sans une décision judiciaire.

Une suspension d’accès est possible au terme d’une procédure judiciaire contradictoire, comme peine complémentaire.

Des mesures provisoires/injonctions peuvent être ordonnées par un juge des référés, sous réserve, selon le Conseil constitutionnel, d’être « strictement nécessaires à la préservation des droits en cause ».

Selon le droit communautaire, les critères minimaux à remplir par une législation concernant des mesures de blocage de l’Internet pour être compatible avec la Convention sont les suivants :

1)  une définition des catégories de personnes et d’institutions susceptibles de voir leurs publications bloquées, telles que les propriétaires nationaux ou étrangers de contenus, sites ou plates-formes illicites, les utilisateurs de ces sites ou plates-formes ou ceux qui mettent en place des hyperliens vers des sites ou plates-formes illicites et qui en souscrivent au contenu ;

2)  une définition des catégories d’ordonnances de blocage, par exemple celles qui visent le blocage de sites, d’adresses IP, de ports, de protocoles réseaux, ou le blocage de types d’utilisation, comme les réseaux sociaux ;

3)  une disposition sur le champ d’application territoriale de l’ordonnance de blocage, qui peut avoir une portée régionale, nationale, voire mondiale ;

4)  une limite à la durée d’une telle ordonnance de blocage ;

5)  l’indication des « intérêts », au sens de ceux qui sont exposés à l’article 10 § 2 de la Convention, qui peuvent justifier une ordonnance de blocage ;

6)  l’observation d’un critère de proportionnalité, qui prévoit un juste équilibre entre la liberté d’expression et les intérêts concurrents poursuivis, tout en assurant le respect de l’essence (ou du noyau dur) de la liberté d’expression ;

7)  le respect du principe de nécessité, qui permet d’apprécier si l’ingérence dans la liberté d’expression promeut de façon adéquate les intérêts poursuivis et ne va pas au-delà que ce qui est nécessaire pour réaliser ledit « besoin social » ;

8)  la détermination des autorités compétentes pour émettre une ordonnance de blocage motivée ;

9)  une procédure à suivre pour l’émission de cette ordonnance, comprenant l’examen par l’autorité compétente du dossier à l’appui de la demande d’ordonnance et l’audition de la personne ou institution lésée, sauf si cette audition est impossible ou se heurte aux « intérêts » poursuivis ;

10)  la notification de l’ordonnance de blocage et de sa motivation à la personne ou à l’institution lésée ;

11)  une procédure de recours de nature judiciaire contre l’ordonnance de blocage.

Cependant, « la Cour rappelle que l’article 10 n’interdit pas en tant que telle toute restriction préalable à la publication ».

La Cour considère que :

« quelle qu’en ait été la base légale, pareille mesure avait vocation à influer sur l’accessibilité de l’Internet et, dès lors, engageait la responsabilité de l’Etat défendeur au titre de l’article 10.

 […] la mesure en cause est constitutive d’une « ingérence d’autorités publiques » dans le droit de l’intéressé à la liberté d’expression, dont fait partie intégrante la liberté de recevoir et de communiquer des informations ou des idées.

Pareille ingérence enfreint l’article 10 si elle n’est pas « prévue par la loi », inspirée par un ou des buts légitimes au regard de l’article 10 § 2 et « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre ce ou ces buts.

[…] la mesure en cause a eu des effets arbitraires et ne saurait être considérée comme visant uniquement à bloquer l’accès au site litigieux car elle consistait en un blocage général de tous les sites hébergés par Google Sites.

En outre, le contrôle juridictionnel du blocage de l’accès aux sites Internet ne réunit pas les conditions suffisantes pour éviter les abus : le droit interne ne prévoit aucune garantie pour éviter qu’une mesure de blocage visant un site précis ne soit utilisée comme moyen de blocage général.

Il y a donc eu violation de l’article 10 de la Convention ».

La cour a alloué la somme de 7.500 EUR au titre du préjudice moral subi par le requérant.

Il résulte de cette décision que la validité du blocage d'un site internet suppose que celui-ci ne soit pas général et absolu pour ne pas enfreindre la liberté d'expression.

Je suis à votre disposition pour toute action ou information (en cliquant ici).

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Anthony Bem
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