Il existe plusieurs méthodes pour évaluer la valeur d'un fonds de commerce et droit au bail.
Chacune des parties va choisir la méthode la plus favorable à ses intérêts, la fixation du prix définitif résultant de la négociation.
Or si le calcul de ces notions juridiques trouve sa raison d'être en cas de cession, il se justifie aussi en cas de refus de renouvellement du bail commercial par le bailleur.
Avant d'envisager les différentes méthodes de calcul (II), il convient de préciser la différence entre entre les notions de « fonds de commerce » et du « droit au bail » (I).
I - Définition du « fonds de commerce » et du « droit au bail »
1.1 - Définition du « fonds de commerce »
Le fonds de commerce est un bien meuble qui se compose à la fois d’éléments corporels (le mobilier, le matériel et l’outillage, les marchandises) et incorporels (la clientèle, le droit au bail, le nom commercial, l’enseigne ou le nom commercial, les brevets et marques de fabrique, etc.).
Cependant, le stock n’est généralement pas compris dans la valeur du fonds et doit faire l’objet d’une évaluation distincte lors de la cession. Sont également exclus : les dettes, les créances, les biens immobiliers.
Le Code de commerce organise une protection statutaire du fonds de commerce.
A titre d’exemple, le locataire commerçant exploitant un fonds de commerce dispose d’un droit au renouvellement de son bail commercial de sorte que l’on parte de la "propriété commerciale" du locataire alors même que le locataire ne dispose naturellement d'aucun droit réel sur l'immeuble.
1.2 - Définition du « droit au bail »
Quand un commerçant exploite son fonds dans un immeuble dont il n'est que locataire, le statut des baux commerciaux lui confère un droit de jouissance particulier. Son principal attrait est l'assurance d'obtenir la reconduction du bail, sans limitation du nombre de renouvellements, sauf la faculté pour le bailleur de reprendre son bien en payant au preneur une indemnité d'éviction.
Ce droit au maintien dans les murs est d'une importance capitale s'agissant des commerces dont le gros du chiffre d'affaires est engendré par une clientèle de passage, séduite par la commodité de l'emplacement du fonds.
Il est primordial que le titulaire du bail puisse se substituer un tiers dans les liens du contrat, faute de quoi c'est le fonds de commerce qui serait très souvent incessible, tant l'adresse d'une boutique constitue un appréciable vecteur de clientèle.
Aussi l'article L. 145-16 du code de commerce déclare-t-il nulles les clauses interdisant au locatairela cession du bail à son successeur.
Le droit au bail peut aussi être transmis isolément, sans le fonds. Toutefois, le bailleur a pu insérer une clause prohibitive ou restrictive, auquel cas l'opération nécessite son accord (Cass. 3e civ., 8 févr. 1984).
Quelle que soit son importance, le droit au bail n'est pas de l'essence du fonds de commerce, qui peut exister en dehors de lui (Cass. com., 27 avr. 1993).
Ainsi, est dépourvu de droit au bail le fonds appartenant au propriétaire de l'immeuble d'exploitation. D'où une conséquence fâcheuse pour ce commerçant : n'ayant pas de titre locatif, il perd le fonds quand l'immeuble est saisi, puis vendu aux enchères (CA Limoges, 26 nov. 1990).
Dès lors et paradoxalement, le fonds exploité a davantage de valeur lorsque le commerçant est locataire plutôt que propriétaire des murs.
En fin de bail, le bailleur dispose d'une option lui permettant, soit d'offrir le renouvellement du bail à son locataire, soit de lui refuser le renouvellement et ce, de manière totalement discrétionnaire, à charge cependant en telle hypothèse, de lui payer une indemnité d'éviction, destinée à compenser le préjudice subi du fait du non-renouvellement du bail.
L’intérêt du calcul de la valeur de ces deux notions juridiques apparaît tant en cas de cession du fonds de commerce qu’en cas de cession du droit au bail et enfin en cas de refus de renouvellement du bail commercial par le bailleur.
Or, ces deux notions juridiques connaissent des méthodes particulières pour l'évaluation de leur valeur.
II - Méthodes d'évaluation du « fonds de commerce » et du « droit au bail »
2.1 - Méthodes d'évaluation du « fonds de commerce »
L'article L. 145-14 du Code de commerce dispose expressément que :
“le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur devra, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement”.
Or l'article L. 145-14 renvoie expressément à “la valeur marchande du fonds de commerce” qui est “déterminée suivant les usages de la profession”.
Les tribunaux retiennent donc généralement, pour l'évaluation du fonds, un chiffre d'affaires moyen réalisé au cours des trois dernières années, souvent TTC, affecté d'un pourcentage variable selon la branche d'activité
Il s’agit de considérer le bénéfice annuel moyen tel qu’il résulte des bénéfices comptabilisés dans les trois dernières années et à le multiplier par un coefficient déduit d’une observation objective du marché. Ce coefficient peut varier entre 1 et 8 selon la localisation et la nature du fonds de commerce à vendre. Néanmoins, il est quasiment toujours compris entre 3 et 5.
Le bénéfice retenu correspond, en principe, à celui déclaré fiscalement. Il peut être réévalué en intégrant des éléments déductibles comptablement (notamment la rémunération du dirigeant et les charges sociales, les amortissements, les intérêts et agios d’emprunts).
Cette méthode ne tient pas compte de la valeur des marchandises qui doivent faire l’objet d’une évaluation distincte.
Cependant, lorsque l'on est en présence d'un fonds qui ne comporte aucune valeur de droit au bail, parce que le bail a été conclu à prix de marché, la jurisprudence tient « compte de la valeur réduite du droit au bail et de l'incidence de cette valeur sur celle du fonds de commerce [...] les premiers juges ont avec raison arbitré la valeur de celui-ci à une somme correspondant à 35 % du montant du chiffre d'affaires » (CA Paris, 12 févr. 1991)
Sous la pression de certains experts qui militent en faveur d'une plus juste prise en compte de la rentabilité de l'exploitation, on tient comte de plus en plus de la rentabilité d'une part, et du chiffre d'affaires d'autre part.
Certaines décisions ont ainsi retenu un chiffre résultant de l'application de la moyenne des deux méthodes :
- pour un fonds de brasserie : TGI Paris 18e ch., 1re sect., 7 mars 1995,
- pour un fonds de vente de carrelages et matériaux : TGI Créteil, 7 oct. 1995,
- pour un fonds de boulangerie-pâtisserie : TGI Paris 18e ch., 2e sect., 24 juill. 1998, retenant une valeur correspondant à 70 % du chiffre d'affaires annuel net – moyenne sur trois ans – et à quatre fois le bénéfice annuel, avec réintégration de la rémunération du gérant et des amortissements – moyenne sur trois ans
- pour un fonds de confection féminine et pour enfant : CA Paris, 16e B, 7 nov. 1997, qui a retenu une valeur de fonds correspondant à la moyenne entre 65 % du chiffre d'affaires annuel – moyenne sur trois ans – et dix fois la marge brute d'autofinancement
- pour un fonds de café, bar, restaurant : CA Paris, 16e ch. A, 21 févr. 2001, TGI Paris, 18e ch., 1re sect., 25 janv. 2000, TGI Paris, 18e ch., 1re sect., 16 oct. 2001.
Ainsi certains experts proposent dans leurs rapports, une évaluation du fonds en fonction d'une méthode généralement qualifiée de "méthode de rentabilité", consistant à affecter un résultat "retraité", – c'est-à-dire intégrant les dotations aux amortissements et le cas échéant, pour les fonds en nom personnel ou les sociétés familiales, la rémunération des dirigeants.
Si la méthode consistant à privilégier la prise en compte du résultat financier de l'exploitation, sur la prise en compte du seul chiffre d'affaires réalisé, apparaît économiquement plus juste, on est cependant confronté, en ce qui concerne le choix du coefficient multiplicateur de la MBA (marge brute d'autofinancement) ou de l'EBE (excédent brut d'exploitation) aux mêmes difficultés que celles qui s'attachent au choix du pourcentage du chiffre d'affaires dans le cadre de l'application de la méthode traditionnelle précitée.
Dans chaque hypothèse, il doit être tenu compte des spécificités du fonds concrètement considéré, qu'il s'agisse de la qualité des agencements et aménagements, des modalités particulières de l'exploitation (commerçant particulièrement dynamique, "surinvesti" dans son exploitation ou au contraire commerçant âgé n'utilisant que partiellement le potentiel du fonds ; commerce indépendant ou enseigne nationale ou internationale, etc.) et enfin de la valeur du droit au bail.
2.2 - Méthodes d'évaluation du « droit au bail »
Généralement, la valeur du droit au bail, qui sera le poste principal d'une indemnité de transfert, ou de remplacement, lorsque la valeur du fonds sera réduite à ladite valeur de droit au bail, correspond à la capitalisation de la différence qui existe entre la valeur locative de marché, c'est-à-dire le loyer libre sans pas de porte et, ce qu'aurait été le loyer en cas de renouvellement du bail.
La détermination de la valeur du droit au bail suppose en toute hypothèse que soient identifiés trois paramètres : la valeur locative de marché, le montant du loyer théorique de renouvellement, ce qui impose de vérifier si le loyer de renouvellement aurait été plafonné ou déplafonné, et le multiple qui va être appliqué à la différence annuelle.
La jurisprudence exclut naturellement, pour le calcul de la valeur du droit au bail, la prise en compte des “propositions d'achat du droit au bail reçues par le locataire” (Cass. 3e civ., 24 mars 1993 – CA Paris, 16e ch. A, 15 févr. 1994).
Depuis les années 1990, la plupart des experts, suivis par les juridictions parisiennes, ont préconisé une méthode d'actualisation financière et la prise en compte d'un coefficient dit "de capitalisation", correspondant à l'époque à 5,75 (coefficient d'actualisation sur neuf ans d'une somme placée à 10 %).
Ce système qui s'est généralisée depuis plusieurs années, toute la difficulté consistant cependant, compte tenu de la variabilité dans le temps et dans l'espace des multiples, à faire choix du plus adéquat.
Pour l’expert Monsieur Michel Marx :
“l'observation du marché des cessions de droit au bail conduit actuellement aux coefficients” suivants : "– 0 dans les mauvaises situations ; 3 à 5 dans les emplacements n° 3, c'est-à-dire dans les petites situations ; 6 à 7 dans les emplacements n° 2 (bonnes situations) ; 7 à 8 dans les emplacements n° 1bis (très bonnes situations) ; 8 à 10 dans les emplacements n° 1 (à Paris rue de Rennes, quartier Haussmann – grands magasins, rue de Rivoli, Saint-Germain-des-Prés) ; 12 dans les emplacements n° 1 “top” (à Paris Champs-Élysées)".
Ce dernier expert relevant que dans certains cas que "la notion de coefficient n'a plus de sens"
Il faut souligner d'autre part que les coefficients cités ci-dessus concernent exclusivement le marché des boutiques.
Pour les bureaux, sauf cas exceptionnels, il n'y a pas de valeur de droit au bail, dès lors que d'une part, le loyer de renouvellement de ces locaux est fixé hors plafonnement, par application des articles L. 145-36 du Code de commerce et 23-9 du décret du 30 septembre 1953, mais que d'autre part, a disparu depuis déjà plusieurs années sur ce marché, la distorsion entre valeur locative de marché et valeur locative judiciaire déplafonnée.
Si la méthode évoquée ci-dessus, dite "du différentiel" ou de "l'économie de loyer" a l'avantage d'une certaine simplicité d'application, elle n'est pas universelle et doit donc faire l'objet d'une application nuancée dans certains cas, dès lors que l'on doit toujours raisonner en fonction de la règle posée par l'article L. 145-14, d'après laquelle l'indemnité ne doit réparer que le préjudice causé par le défaut de renouvellement.
Tout d'abord, le droit au bail ne doit être évalué qu'en tenant compte des avantages réels offerts par la convention dont s'agit.
Cela signifie que l'on doit tenir compte notamment, de la destination autorisée par le bail et de son adéquation au secteur.
C'est ainsi, à titre d'exemple, que le droit au bail d'un droguiste portant sur des locaux situés à Paris avenue Montaigne ou rue du Faubourg-Saint-Honoré et dont le bail ne permettrait que l'exploitation d'une activité de droguerie, n'aurait aucune valeur, alors que le droit au bail portant sur la boutique voisine permettant l'exploitation d'une activité de prêt-à-porter féminin pourrait valoir extrêmement cher.
La situation est la même lorsque le bail comporte une clause de destination "tous commerces", ou autorise une très large gamme d'activités, si corrélativement, comme c'est le cas la plupart du temps, le bail interdit au preneur de céder son droit au bail, sauf à l'acquéreur de son fonds de commerce.
En effet, l'acquisition du fonds de commerce pour exploiter une activité différente implique des risques de requalification de la cession de fonds de commerce, en cession de droit au bail que l'acquéreur répugnera généralement à courir ; il en est d'autant plus ainsi que généralement, le changement d'activité impose des travaux de transformation que la plupart des conventions subordonnent à l'agrément préalable du bailleur.
On voit donc que dans les cas de figure de ce type, le calcul de la valeur du droit au bail en fonction de la méthode de "l'économie de loyer" ne se justifie pas, le droit au bail étant en réalité concrètement dépourvu de toute valeur sur le marché.
Sous un autre angle, il existe des situations dans lesquelles la valeur du droit au bail est totalement distincte d'une quelconque économie de loyer et l’expert Monsieur Robine en cite notamment le cas :
- des locaux recevant du public, l'avantage pour un acquéreur, constitutif d'une valeur de droit au bail, pouvant résulter de la possibilité de profiter d'une situation préexistante à laquelle les anciennes normes demeurent applicables aussi longtemps que de nouveaux travaux ne sont pas effectués ;
- du gain de temps susceptible d'être réalisé par rapport à la nécessité d'obtenir une autorisation de la Commission départementale d'équipement commercial (CDEC), qui pourra là aussi justifier le règlement d'un droit au bail étranger à une économie de loyer ;
- d'un droit au bail bien plus élevé que la seule économie de loyer ne le justifierait, qu'une enseigne acceptera néanmoins de régler parce qu'il lui permet d'étendre son exploitation sur un local contigu.
Enfin, si les coefficients permettant le calcul de la valeur du droit au bail, évoqués ci-dessus reflètent les constatations que les experts peuvent effectuer par l'analyse des prix de cession et correspondent à l'état du marché, ils trouvent leurs limites en matière d'indemnité d'éviction.
En effet, dans les situations dans lesquelles le marché fait apparaître des coefficients très faibles, voire inexistants, on ne peut pas pour autant systématiquement en déduire que le preneur n'aurait droit à aucune valeur de droit au bail ou à une valeur symbolique.
Dès lors qu'il s'agit en effet d'évaluer le préjudice que va subir le preneur évincé, s'il est établi qu'il ne pourra se réinstaller qu'en prenant à bail de nouveaux locaux à un prix de marché supérieur à celui dont il aurait bénéficié dans le cadre d'un renouvellement, son préjudice ne serait pas réparé, s'il n'était pas tenu compte de l'indemnisation d'un surcoût locatif annuel, dont on voit mal comment l'évaluer autrement que par l'application à la différence annuelle entre loyer de marché et loyer théorique de renouvellement d'un coefficient financier d'actualisation.
Par conséquent, chaque éviction et chaque cession doit faire l'objet d'une analyse particulière pour laquelle le rôle de l'expert sera bien évidemment essentiel.
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