Avec l’évolution des mœurs et des nouvelles technologies, les juges ont eu à se prononcer sur la question de savoir quels actes de cyber surveillance de la part de partenaires intimes jaloux ou en cours de séparation sont susceptibles de constituer des actes de violence répréhensibles pénalement.
Ainsi, le 11 février 2020, la Cour européenne des droits de l'homme, (ci-après « la CEDH ») a rendu une décision qui répond à la nécessité d’appréhender de manière globale le phénomène de violence conjugale, c’est à dire dans toutes ses formes expression ou de manifestation.
En effet, la CEDH a jugé, le 11 février 2020, que la cybersurveillance ou la cyberviolence est une forme de violence domestique.
Plus précisément, elle considère que les violations informatiques de la vie privée telles que l’intrusion dans un ordinateur ou le partage et la manipulation des données et des images, y compris de données intimes constituent des actes de cyberviolence assimilée à de la violence. (CEDH, Quatrième Section, Affaire Buturugă contre Roumanie, 11 février 2020, requête numéro 56867/15)
Pour mémoire, la CEDH est chargée de veiller au respect de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales par les 47 États qui l'ont ratifiée.
En l’espèce, une ressortissante roumaine a déposé plusieurs plaintes pénales auprès des autorités en Roumanie à l’encontre de son mari pour des faits de violences et de menaces de mort.
Le couple a divorcé et la plaignante a déposé une troisième plainte pour violation du secret des correspondances de la part de son ex-époux.
La violation du secret de la correspondance est constituée par le fait, de manière illicite, d’ouvrir la correspondance d’un tiers ou d’intercepter ses conversations, ses communications téléphoniques, ou ses communications réalisées par tout autre moyen.
L’épouse a vainement demandé la perquisition de l’ordinateur de la famille pour établir que son ex-époux avait abusivement consulté et copié les données de ses comptes de messagerie électronique et Facebook.
Le parquet a classé toutes les plaintes.
Il a en effet estimé que les menaces de l’ex-époux n’étaient pas suffisamment graves pour être qualifiées d’infraction et que la violation du secret des correspondance était prescrite.
De plus, s’agissant de la plainte de la requérante relative à la violation du secret de la correspondance, le tribunal roumain jugea qu’elle était sans rapport avec l’objet de l’affaire et que les données publiées sur les réseaux de socialisation étaient publiques.
Selon la Cour, les autorités roumaines n’ont pas pris en compte les spécificités des faits de violences domestiques telles que reconnues dans la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique.
Pour mémoire, ce traité envisage « avec une profonde préoccupation » le fait que les femmes et les filles sont souvent exposées à des formes graves de violence qui constituent une violation grave des droits humains des femmes et des filles, ainsi qu’un obstacle majeur à la réalisation de l’égalité entre les femmes et les hommes.
Or, les autorités de l’enquête se sont limitées à entendre comme témoins les proches de la plaignante.
Aucun élément de preuve n’a été recueilli afin d’identifier l’origine des lésions subies ni éclaircir les circonstances de la cause.
Les juges ont aussi reproché aux autorités nationales d’enquête de ne pas avoir pris en compte des actes tels que surveiller, accéder à ou sauvegarder sans droit la correspondance du conjoint.
La Cour explique que « tant en droit interne qu’en droit international, le phénomène de la violence domestique n’est pas perçu comme étant limité aux seuls faits de violence physique mais il inclut, entre autres, la violence psychologique ou le harcèlement. De plus, la cyberviolence est actuellement reconnue comme un aspect de la violence à l’encontre des femmes et des filles et peut se présenter sous diverses formes, dont les violations informatiques de la vie privée, l’intrusion dans l’ordinateur de la victime et la prise, le partage et la manipulation des données et des images, y compris des données intimes. Dans le contexte de la violence domestique, la cybersurveillance est souvent le fait des partenaires intimes. La Cour accepte donc que des actes tels que surveiller, accéder à ou sauvegarder sans droit la correspondance du conjoint peuvent être pris en compte lorsque les autorités nationales enquêtent sur des faits de violence domestique. De telles allégations de violation de la correspondance appellent de la part des autorités un examen sur le fond afin de pouvoir appréhender de manière globale le phénomène de violence conjugale dans toutes ses formes.
La Cour poursuit et relève que « l’examen sur le fond n’a pas eu lieu en l’espèce. Les autorités nationales n’ont pas procédé à des actes de procédure afin de recueillir des preuves permettant d’établir la réalité des faits ou leur qualification juridique. Elles ont fait preuve d’un formalisme excessif en écartant tout rapport avec les faits de violence conjugale que la requérante avait déjà portés à leur attention, et elles ont ainsi failli à prendre en considération les diverses formes que peut prendre la violence conjugale ».
Il résulte de cette décision que tous les actes d’espionnage de la part d’un conjoint ou partenaire intime sont susceptibles, le cas échéant, d’être qualifiés par la Cour Européenne des Droits de l’Homme de violences conjugales.
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Anthony Bem
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