La lettre de change ou la « traite » est un acte de commerce couramment utilisé dans le domaine des affaires.
La lettre de change est un instrument de paiement ou de crédit par lequel une personne, le tireur, donne un ordre écrit à une autre personne, le tiré, de payer à une troisième personne, le bénéficiaire, ou à lui-même, une somme d'argent à une date déterminée.
La traite est un instrument de crédit, car elle peut prévoir une date d'échéance pour le paiement.
Or, le paiement d’une lettre de change peut être garanti pour tout ou partie de son montant par un aval.
Cette garantie est fournie par un tiers ou même par le signataire de la lettre de change.
L’aval est exprimé par les mots « bon pour aval » ou par toute autre formule équivalente et de la signature du donneur d’aval.
Le donneur d’aval est tenu de la même manière que celui dont il s’est porté garant.
Cependant, il peut efficacement faire annuler son engagement eu au défaut de respect par la banque de son obligation d’information légale à son égard.
Ainsi, le 24 mai 2022, la Cour d’appel de Reims a annulé les avals consentis par le dirigeant d’une société auprès de la Banque Populaire pour trois crédits de trésorerie donnés par billets à ordre (Cour d'appel de Reims, 1ère chambre sect. civile, 24 mai 2022, n° 21/00320).
En l’espèce, la Banque Populaire a consenti 3 billets à ordre auprès d’une société en trois dates successives sur une période s’écoulant sur près d’un an.
Ces billets à ordre ont été avalisés par le dirigeant de la société bénéficiaire.
A la suite de l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire à l’encontre de la société, la banque a vainement mis en demeure le dirigeant en sa qualité d’avaliste de régler les dettes.
La banque a engagé des poursuites envers l’avaliste mais ce dernier a invoqué utilement la nullité pour dol des avals souscrits sur les trois billets à ordre consentis par la banque à la société dont il était le dirigeant.
En effet, depuis la réforme du 10 octobre 2016 portant réforme du droit des contrats, la loi prévoit de manière générale que celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.
Les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties ont une importance déterminante selon la loi.
Ainsi, il incombe à celui qui prétend qu'une information lui était due de prouver que l'autre partie la lui devait, à charge pour cette dernière de prouver qu'elle l'a bel et bien fournie.
Il convient de souligner que ces mesures sont d’ordre public de sorte que les parties à un contrat ne peuvent ni limiter, ni exclure cette obligation d’information précontractuelle.
Outre la responsabilité de celui qui était tenu au respect de cette obligation précontractuelle d’information, le manquement à cette obligation peut entraîner l'annulation du contrat.
Par ailleurs, aux termes de l’article 1137 du Code civil, le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges.
Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie.
Le cas échéant, le dol constitue un vice du consentement qui entraîne la nullité relative du contrat.
Au cas présent, le dirigeant reprochait à la banque de l’avoir trompé par sa réticence dolosive tant sur le régime de l’aval et sa différence avec le cautionnement que sur ses véritables intentions quant aux concours qu’elle apportait à la société lors de la conclusion des avals.
Les juges ont rappelé que l’obligation légale d’information est de portée générale et est applicable à tous les contrats de quelque nature que ce soit.
Autrement dit, l’obligation légale d’information s’applique au billet à ordre et à l’aval.
Les juges imposent donc aussi aux banques qui apportent leur concours financier aux sociétés d’informer de manière précise leurs clients-dirigeants sur l’étendue des engagements qu’ils leur font prendre.
Les juges ont aussi relevé qu’à la différence du cautionnement, l’aval portant sur un effet de commerce et constituant un engagement cambiaire, les règles protectrices du droit de la consommation, tel le principe de proportionnalité ne lui sont pas applicables, et ce, alors que cette garantie, au formalisme excessivement allégé, résulte d’une simple signature apposée sur un effet de commerce qui engage son auteur sur l’ensemble de ses biens.
La cour d’appel s’est donc intéressée à la question de savoir si l’objectif de la banque n’était pas avant tout de se prémunir de la défaillance imminente de la société en faisant souscrire des avals à son dirigeant, garant de cette société, en jouant sur l’espoir de ce dernier de la remettre à flot, et ce, en contournant la législation protectrice du cautionnement.
La banque connaissait les difficultés financières récurrentes de cette société qui était sa cliente et qui accumulait les incidents de paiement.
Au moment où l’aval a été porté sur les trois billets à ordre, les comptes de la société faisaient apparaître des pertes avec des capitaux propres négatifs.
L’aval avait donc pour but de permettre à la banque de résorber le découvert de la société et d’obtenir une garantie par le dirigeant qu’elle ne détenait pas auparavant.
Or, bien que le dirigeant ne pût ignorer la situation financière désastreuse de sa société, la banque ne l’a jamais informé de l’exacte portée des engagements qu’il signait en tant qu’avaliste et en particulier du fait qu’il engageait ses biens personnels en souscrivant cette sûreté pour un montant garanti important.
Les juges ont rappelé le principe jurisprudentiel selon lequel le dirigeant de plusieurs sociétés n’a pas par cette seule qualité celle de dirigeant averti en matière de finance.
Par conséquent, en cas d’aval, les banques doivent toujours pouvoir être en mesure de rapporter la preuve que leurs clients sont au fait du fonctionnement d’un aval, notamment quant à l’absence de protection que cette sûreté génère.
La cour considère que :
« S’agissant d’un mécanisme de financement qui n’est assorti d’aucune garantie pour celui qui appose sa signature sur un billet à ordre en qualité d’avaliste, la banque, qui est le professionnel en matière de financement, a tu volontairement à M. X une information efficiente et a privé ce dernier de la possibilité de ne pas contracter ou de contracter à des conditions substantiellement différentes.
Le caractère déterminant de cette réticence est constitutif d’un dol et implique la nullité de l’aval ».
Il en résulte que lorsque la situation financière d’une société est compromise, la banque ne peut valablement se garantir contre le risque de ne pas recouvrer sa créance sur un découvert par un aval, sans informer explicitement au préalable l’avaliste sur les conséquences juridiques et patrimoniales de son engagement et sans pouvoir en justifier.
À défaut de preuve du respect de cette nouvelle obligation jurisprudentielle particulière d’information à la charge des professionnels du crédit, l’avaliste pourra obtenir l’annulation de son engagement de garantie et ainsi échapper au paiement de la dette.
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Anthony Bem
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