Le 8 février 2021, la Cour d’appel de Basse-Terre a annulé pour dol des cautionnements bancaires donnés par des cautions en raison des manœuvres dolosives de la banque ayant affecté leur consentement (Cour d'appel de Basse-Terre, 2ème chambre, 8 février 2021, n°18/01468).
Sous les tropiques, il se passe souvent des choses exotiques.
Le droit n’y est pas en reste.
Pour preuve, la Société Martiniquaise de Financement (la Somafi) a conclu avec une société d’achat-revente de véhicules automobiles une convention de collaboration.
Aux termes de ce contrat, la Somafi finançait l’achat de véhicules d’occasion acquis par la société automobile et dispensait des crédits aux particuliers et aux entreprises pour financer l’achat des véhicules vendus par cette société.
La Somafi était donc le principal partenaire financier de la société automobile.
Cependant, quelques mois plus tard, la Somafi a notifié à la société la résiliation de cette convention avec effet immédiat.
Un protocole transactionnel a été signé entre d’une part la Somafi, d’autre part la société et de troisième part, en qualité de cautions, les associés de cette dernière société ainsi que leurs épouses.
La société a été mise en redressement judiciaire puis en liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif.
Ainsi, la Somafi a cru devoir assigner devant la juridiction martiniquaise les cautions afin d’obtenir leur condamnation solidaire au paiement d’une somme supérieure à 400.000 euros.
La Somafi a perdu en première instance puis gagné en appel.
Cependant, la Cour de cassation a cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Fort-de-France en faveur de la banque, et remis en conséquence la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et pour être fait droit les a renvoyées devant la Cour d’appel de Basse-Terre.
Sur renvoi, la Cour d’appel de Basse-Terre a constaté que le consentement des cautions à leur acte de cautionnement a été vicié par les manœuvres dolosives dont la Somafi s’est rendue coupable.
En effet, selon l’article 1116 du Code civil, le dol est une cause de nullité des contrats lorsque les manœuvres pratiquées par l’une des parties sont telles qu’il est évident que, sans ces manœuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté.
Sur le fondement de ce texte, les cautions ont invoqué le fait que leur consentement a été surpris par dol car ils se sont portés caution sur la base d’un protocole d’accord signé entre la société débitrice et la banque le même jour, qu’ils pensaient pouvoir être respecté par la société et à défaut de quoi ils n’auraient pas consenti à s’engager.
Pour cause, la situation de la société débitrice était irrémédiablement compromise à la conclusion de celui-ci puisqu’elle était déjà comptablement en cessation des paiements, ce que les cautions ignoraient mais que la Somafi, en revanche, savait pertinemment puisqu’elle avait mis fin à leur convention de collaboration précisément pour cette raison, en lui retirant son agrément.
Or, les cautions n’auraient pas souscrit leur engagement de caution s’ils avaient su qu’il ne s’agissait pas de donner à la société débitrice des chances de poursuivre son activité grâce à une nouvelle convention de collaboration avec la Somafi, qui devait par ailleurs lui permettre de bénéficier à nouveau de l’agrément qui venait de lui être retiré.
En réalité, les cautionnements obtenus par la banque n’avaient pour seule finalité que de lui permettre de s’adjoindre de nouveaux débiteurs en lieu et place de la société débitrice en état de cessation des paiements, sans l’intention de conclure une nouvelle convention de collaboration prévue dans ledit protocole transactionnel.
Surtout, la Somafi connaissait les difficultés financières de la société automobile puisqu’elle avait mis fin au contrat de collaboration en raison des difficultés financières rencontrées par la société.
Or, moins de deux mois après la résiliation de leur convention de collaboration, la banque a cru devoir faire signer un protocole transactionnel reprenant l’ensemble des dettes de la société automobile à son égard, dans lequel la banque s’est engagée à conclure une nouvelle convention de collaboration avec la société en échange de l’engagement d’un remboursement échelonné de ces dettes.
Néanmoins, la Somafi n’a jamais signé de nouvelle convention de collaboration avec la société automobile alors qu’il n’est pas contestable, au regard de la nature des relations qui liaient les parties depuis des années, que seule la signature d’une nouvelle convention de collaboration pouvait permettre à la société de poursuivre son activité et de se redresser financièrement afin de payer ses dettes.
La banque a même cru devoir indiqué aux juges, sous forme d’aveux, qu’elle ne pouvait pas envisager la conclusion d’un nouveau contrat avant le règlement complet de la créance.
La cour d’appel a donc considéré qu’il résultait du propre aveu de la Somafi que, informée des difficultés de la société, elle savait lors du recueil des cautionnements qu’elle ne signerait pas la nouvelle convention en contrepartie des engagements de caution mais qu’elle souhaitait seulement se faire consentir des sûretés en garantie des dettes antérieures, dont le montant total s’élevait à plus de 400.000 euros.
Selon les juges d’appel :
« la signature de cette nouvelle convention de collaboration n’est pas présentée comme secondaire par rapport aux autres engagements et, dès lors qu’aucune date n’est prévue pour sa signature, elle n’avait pas vocation à être différée ou soumise au règlement complet de la créance comme le soutient à tort la Somafi.
Au regard de l’absence de signature d’une nouvelle convention de collaboration avec la société B, force est de constater que les cautionnements ont en réalité été donnés en contrepartie d’un simple échéancier d’apurement d’une dette échue et non d’un nouveau crédit accordé au débiteur.
Dès lors, en laissant croire aux cautions, aux termes du protocole signé le 12 mai 2006, qu’elle signerait simultanément aux cautionnements une nouvelle convention, sans en avoir nullement l’intention, la cause de l’engagement de caution était présentée de manière trompeuse.
En conséquence la Somafi, qui connaissait parfaitement la situation financière dégradée de la société B, a commis des manoeuvres frauduleuses, caractérisées par la signature d’une convention portant un engagement qu’elle n’avait nullement l’intention de tenir, pour obtenir des consorts X un engagement de caution donné dans son intérêt exclusif de se constituer d’autres débiteurs d’une dette échue ».
En conséquence, la Cour d’appel de Basse-Terre a prononcé la nullité pour dol des contrats de cautionnement consentis et condamné la Somafi à payer aux cautions des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.
Cette affaire illustre les comportements et mensonges utilisés parfois par les banques vis à vis de leurs clients et cautions afin de leur faire signer des engagements conclus de manière périlleuse et toujours à leur seul avantage.
Il résulte de cette décision que les cautions peuvent facilement se désengager de leur garantie s’ils prouvent que la banque connaissait la situation financière dégradée de la société débitrice et l’existence de manœuvres tendant à obtenir des cautions un engagement donné dans son intérêt exclusif.
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Anthony Bem
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