Régulièrement réaffirmé depuis le 19ème siècle, le principe jurisprudentiel de l’autorité absolue de la chose jugée au pénal sur le civil veut que ce qui a été définitivement jugé par le juge répressif quant à l’existence du fait incriminé, sa qualification, la culpabilité ou l’innocence de ceux auxquels le fait est imputé s’impose au juge civil et ait effet à l’égard de tous(Cass. Civ., 7 mars 1855 ; Cass. Civ. I, 2 mai 1984, pourvoi n° 83-10.264 ; Cass. Civ. II, 3 mai 2006, pourvoi n° 05-11.339 ; Cass. Com., 5 novembre 1991 ; Cass. Soc., 13 juillet 1994).
ce principe a pour but d’éviter que le juge pénal, qui a statué sur la culpabilité d’un individu, ne soit démenti par le juge civil.
En raison des atteintes qu’une telle autorité est susceptible de porter au principe de la contradiction, la jurisprudence veille à limiter son application.
En l'espèce, par testament olographe, Madame X a, notamment, institué l'une de ses nièces, Madame Z en qualité de légataire universelle.
Mais Madame X a vendu aux époux A, un immeuble d'habitation dont l'épouse avait aussi été rendue par Madame X légataire universelle par voie testamentaire.
Les époux A avaient ainsi entendu dépouiller Madame X de tous ses biens.
Par la suite, Madame X a été placée sous le régime de la tutelle puis est décédée, en laissant pour lui succéder les enfants de sa sœur prédécédée.
Parallèlement, les époux A ont revendu l'immeuble aux époux B.
Le tribunal de grande instance d'Arras, statuant en matière correctionnelle, a déclaré les époux A coupables d'avoir frauduleusement abusé de l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse de Madame X, personne majeure qu'ils savaient particulièrement vulnérable en raison de son âge, d'une maladie, d'une infirmité, d'une déficience physique ou psychique, en l'espèce en conduisant la victime à faire de multiples dons de biens immobiliers, en la conduisant à procéder au paiement de frais de travaux, en se faisant offrir un véhicule automobile, en se faisant légataires universels, en se procurant un bien mobilier, dans des proportions dépassant la simple intention libérale, sur une personne ne pouvant manifester sa volonté selon expertise.
L'un des héritiers a donc demandé devant le juge civil la nullité du testament, de la vente et en restitution des sommes détournées par les époux A.
Cependant, la cour d'appel n'a pas fait droit à ces demandes et a jugé que l'autorité de la chose jugée au pénal s'attache aux éléments constitutifs de l'infraction, à savoir la particulière vulnérabilité de la victime, du fait de son état psychique ou physique.
Elle a considéré que la vulnérabilité de Madame X à l'époque à laquelle elle a rédigé son testament ne signifie pas que son intelligence était obnubilée ou sa faculté de discernement déréglée.
De plus, la cour d’appel a jugé qu’en l'absence d'identité entre la question de la vulnérabilité soumise au juge pénal et celle de l'insanité d'esprit au moment de la rédaction du testament soumise au juge civil, l'autorité de la chose jugée par le tribunal correctionnel d'Arras ne s'imposait pas à la juridiction civile.
La cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt d’appel en considérant :
« Qu'en statuant ainsi, après avoir constaté que, pour déclarer les époux A coupables du délit d'abus de faiblesse, la juridiction pénale avait retenu, par un motif qui en était le soutien nécessaire, que Madame X ne pouvait manifester sa volonté, caractérisant ainsi son insanité d'esprit lors de la rédaction du testament, la cour d'appel a violé le principe susvisé ».
La haute juridiction a surtout précisé que :
« le principe de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil s'attache à ce qui a été définitivement, nécessairement et certainement décidé par le juge pénal sur l'existence du fait qui forme la base commune de l'action civile et de l'action pénale, sur sa qualification ainsi que sur la culpabilité de celui à qui le fait est imputé ».
Pour mémoire, le trouble mental se caractérise par une altération des facultés mentales entraînant la suppression de la faculté de discernement.
Le médecin psychiatre désigné par le juge des tutelles a conclu qu'elle présentait une altération de ses facultés mentales profonde, globale, progressive et irréversible et également une altération de ses facultés physiques, importante et irréversible, empêchant l'expression de sa volonté et qu'en raison des troubles importants de la compréhension, de l'expression et de la mémoire.
L'examen clinique de Madame X avait mis en évidence un état démentiel patent et important, se manifestant par des troubles mnésiques très marqués concernant les faits anciens, les faits récents, la mémoire immédiate, une désorientation temporelle et spatiale complète, une inconscience des situations, une perte du synchronisme vécu, des troubles importants du jugement et du raisonnement, des troubles du comportement et du caractère ; qu'elle présentait un état physique général précaire et une perte d'autonomie avec dépendance vis-à-vis de l'entourage pour tous les actes essentiels de la vie courante.
Dans son jugement, le tribunal correctionnel d'ARRAS a jugé qu'il résultait des éléments du dossier et des débats que les faits étaient établis à l'encontre des deux prévenus et les a condamnés chacun à une peine d'un an d'emprisonnement avec sursis.
Le tribunal correctionnel a jugé que les époux A avaient tous deux commis le délit d'abus de faiblesse au préjudice de Madame X, au motif, notamment que les prévenus s'étaient institués légataires universels.
L'autorité de la chose jugée au pénal s'attache aux éléments constitutifs de l'infraction pour laquelle les époux A ont été condamnés, à savoir la particulière vulnérabilité de la victime, du fait de son état psychique ou physique.
La vulnérabilité de Madame X à l'époque à laquelle elle a rédigé son testament signifie que son intelligence était obnubilée ou sa faculté de discernement déréglée.
Malgré l'absence d'identité entre la question de la vulnérabilité soumise au juge pénal et celle de l'insanité d'esprit au moment de la rédaction du testament soumise au juge civil, l'autorité de la chose jugée par le tribunal correctionnel s'impose à la juridiction civile.
Le juge civil n’avait donc pas le choix que de retenir l’insanité d'esprit et d’annuler le testament rédigé par Madame X instituant Madame A légataire universelle.
Il résulte de cette décision que si, en principe, les notions juridiques de « particulière vulnérabilité de la victime » et d’« insanité d’esprit » sont distinctes, le juge civil doit tenir compte de l’impossibilité d’exprimer le consentement à un acte afin d’en prononcer la nullité.
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Anthony Bem
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