Pour mémoire, la détention provisoire vise à emprisonner une personne jusqu'à la fin de son procès, notamment lorsqu'il y a de forts indices de culpabilité ou que la liberté de l'accusé risque d'empêcher le bon déroulement de la justice, par sa fuite, la destruction de preuves, des pressions sur les témoins ou les victimes, et si l'accusé est poursuivi pour une infraction passible d'emprisonnement ferme ou encore lorsque la sécurité de l'accusé est menacée.
En 1970, il fallait démontrer un "préjudice anormal et d'une particulière gravité" pour espérer obtenir réparation d’un préjudice résultant d’une détention provisoire injustifiée.
Mais avec la loi du 30 décembre 1996, puis celles du 15 juin et du 30 décembre 2000, le régime de la réparation des détentions provisoires injustifiées va être profondément modifié, dans le but de faciliter l’indemnisation des personnes ayant subi un préjudice à raison d’une détention provisoire injustifiée.
En ce sens, les articles 149 et suivants du code de procédure pénale ont institué un régime de réparation obligatoire du préjudice tant matériel que moral subi par une personne ayant bénéficié d'un jugement de non-lieu, d'une relaxe ou d'un acquittement devenus définitifs, après avoir été détenue provisoirement en prison.
Ce principe de réparation des préjudices subis à raison de détentions provisoires injustifiées suppose la réunion de certaines conditions et le respect d’une procédure qu’il importe de bien connaitre.
1-) Conditions de fond de la réparation du préjudice subi suite à une détention provisoire injustifiée
a-) Les conditions d’exercice du droit à réparation d’une détention provisoire injustifiée
Pour mémoire, l’article 149 du code de procédure pénale dispose que :
« Sans préjudice de l'application des dispositions des articles L. 141-2 et L. 141-3 du code de l'organisation judiciaire, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention. »
En d’autres termes, une détention provisoire subie par une personne au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive ouvre droit à réparation du préjudice résultant de cette détention.
Ainsi, la première condition d’exercice de ce droit à réparation est que le requérant doit avoir subi une mesure de détention provisoire.
La deuxième condition est que la procédure doit être terminée à l'égard de la personne par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive.
b-) Les trois cas d’exclusion de la réparation
Ces trois cas d’exclusion de toute réparation du préjudice subi à raison d’une détention provisoire sont prévus par l’article 149 du code de procédure pénale.
Premièrement, cet article dispose qu’aucune réparation n’est due lorsque le non-lieu, la relaxe ou l’acquittement a pour seul fondement :
- la reconnaissance de l’irresponsabilité du demandeur pour trouble psychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes,
- une amnistie postérieure à la mise en détention provisoire,
- la prescription de l’action publique intervenue après la libération de la personne.
Ainsi, la commission nationale de réparation des détentions a jugé qu’« il suffit, pour que la réparation soit exclue, que la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement, ait pour seul fondement la prescription de l'action publique intervenue après la libération de l'intéressé. » (Cass. CNRD ,14 avril 2008, n° 07-CRD094).
Deuxièmement, la réparation est exclue lorsque la personne était dans le même temps détenue pour une autre cause.
C’est ainsi qu’il a été jugé par la commission nationale de réparation des détentions qu’aucune réparation n’est due à une personne qui, pendant le temps de la détention provisoire, était détenue pour autre cause, car elle exécutait une peine d’emprisonnement sous le régime du placement sous surveillance électronique. (Cass. CNRD, 20 septembre 2010, n° 09-CRD070).
Troisièmement, la réparation est exclue lorsque la personne a fait l'objet d'une détention provisoire pour s'être librement et volontairement accusée ou laissée accuser à tort en vue de faire échapper l'auteur des faits aux poursuites.
La demande en réparation formée par une personne placée sous mandat de dépôt pour s’être librement accusée d’un meurtre en vue de faire échapper le véritable auteur du crime aux poursuites, est en principe rejetée par la commission nationale de réparation des détentions, même si elle a ultérieurement rétracté ses aveux. (Cass. CNRD, 10 janvier 2006, n° 05-CRD013).
Enfin, la commission nationale de réparation des détentions considère que dans la mesure où le législateur a limitativement prévu ces cas d'exclusion, la personne a droit à réparation dans tous les autres cas, notamment en cas d'annulation de la procédure ou de violation des obligations du contrôle judiciaire. (Cass. CNRD, 12 juillet 2006, n° 06-CRD015).
2-) L’évaluation du préjudice
a-) Nécessité de prouver un lien de causalité entre la détention provisoire et le préjudice subi
La demande en réparation doit être justifiée et être en lien direct avec la privation de liberté subie.
Ainsi, il a été jugé que le préjudice résultant de la perte de l’emploi du requérant, licencié pour un abandon de poste dû à son incarcération, doit être réparé dès lors que la détention provisoire en est la cause exclusive et directe. (Cass. CNRD, 21 octobre 2005, n°05-CRD005)
Dans la mesure où seuls les préjudices personnels directement liés à la privation de liberté sont susceptibles d’être réparés, les préjudices subis par les proches du requérant sont donc exclus, ainsi que les préjudices qui sont la conséquence des poursuites pénales elles-mêmes, du retentissement médiatique de l’affaire et des mesures de sûreté autres que la détention.
La réparation du préjudice résultant d’un contrôle judiciaire ou d’une mise en examen est exclue. Pour un tel préjudice, l’action doit être fondée, non pas sur l’article 149 du code de procédure pénale, mais sur l’article L141-1 du code de l’organisation judiciaire relatif à la réparation des dommages causés par le fonctionnement défectueux du service public de la justice en cas de faute lourde ou de déni de justice.
b-) Les différents chefs de préjudices indemnisables
Il résulte des décisions de la commission nationale de réparation des détentions que le préjudice matériel peut être réparé dans de nombreux cas.
Par exemple, lorsque le requérant a perdu son emploi en raison de l’incarcération, la réparation du préjudice matériel doit couvrir les pertes de salaire subies pendant la durée d’emprisonnement et, après la libération, pendant la période nécessaire à la recherche d’un emploi. (Cass. CNRD, 21 octobre 2005, n°05-CRD005).
En outre, doit être allouée au requérant une indemnité réparant le préjudice résultant du paiement des honoraires d'avocat qui ont été exposés pour obtenir la mise en liberté.
De même, si l’incarcération a entrainé la perte du logement dont le requérant était locataire, les frais de déménagement et de transport qu’il a exposés et qui sont directement liés à la détention, doivent être réparés. (Cass. CNRD, 14 décembre 2005, n° 05-CRD044).
Est également susceptible d’être réparé, le préjudice résultant d’une détention provisoire et consistant en la perte de chance de suivre une scolarité ou une formation ou de réussir un examen, entraînant l’obligation de recommencer une année scolaire (Cass. CNRD, 2 mai 2006, n° 05-CRD071).
De plus, les frais de transport engagés par le requérant pour permettre à son épouse de lui rendre visite en prison constituent des dépenses liées à la détention provisoire et ouvrent droit à réparation. (Cass. CNRD, 14 décembre 2005, n° 05-CRD036).
Par ailleurs, la détention subie causant nécessairement un préjudice moral, celui-ci doit être réparé.
Pour l’appréciation du préjudice moral, la commission de réparation des détentions peut prendre en compte plusieurs éléments qui peuvent faire augmenter l’indemnité :
- l’impact psychologique consécutif à la détention provisoire ;
- l’éloignement de la famille ou la séparation du requérant de ses jeunes enfants ;
- les fonctions d’autorité publique entrainant des réactions d’hostilité des autres détenus (policier, surveillant pénitentiaire, maire, etc…) ;
- la durée très longue de l’instruction ou de la détention
- les conditions de détention liées notamment à des violences et menaces ou au climat de violence subi en détention.
L’ensemble des préjudices étant nombreux et variés, il doit faire l’objet d’une analyse personnelle et individuelle, au cas par cas, selon chaque situation.
3-) Le Premier Président de la Cour d’appel chargé de la procédure d’indemnisation
a-) La demande de réparation devant le premier président de la Cour d’appel
Le Premier Président de la Cour d’appel dans le ressort de laquelle a été prononcée la décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement est saisi par voie d’avocat qui dépose une requête motivée.
La requête doit être déposée dans un délai de six mois à compter de la décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement devenue définitive.
Afin de permettre au demandeur d’exercer effectivement son droit à réparation dans le délai de six mois, le code de procédure pénale prévoit qu’il doit être avisé de son droit de demander une réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1 à 149-3 du code de procédure pénale, qui précisent notamment que la requête doit parvenir au greffe dans le délai de six mois à compter de la date à laquelle cette décision est devenue définitive.
Si cet avis n’est pas effectué lors de la notification de la décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement, le délai de six mois prévu ne commencera pas à courir, ce qui en pratique permettra au requérant de demander une réparation au-delà du délai de six mois de la notification de la décision.
Le Premier Président de la Cour d’appel statue par une décision motivée sur les différents chefs de préjudice invoqués, en distinguant l’indemnité allouée en réparation du préjudice moral de celle allouée au titre du préjudice matériel.
En cas de rejet de sa demande de réparation, le requérant peut former un recours devant la Commission nationale de réparation des détentions.
b-) Le recours exercé devant la Commission nationale de réparation des détentions
L’article 149-3 du code de procédure pénale dispose que :
«Les décisions prises par le premier président de la cour d'appel peuvent, dans les dix jours de leur notification, faire l'objet d'un recours devant une commission nationale de réparation des détentions. Cette commission, placée auprès de la Cour de cassation, statue souverainement et ses décisions ne sont susceptibles d'aucun recours, de quelque nature que ce soit. »
En d’autres termes, le requérant peut former un recours contre la décision du Premier Président de la Cour d’appel devant la Commission nationale de réparation des détentions dans les dix jours de notification de cette décision.
La Commission nationale de réparation des détentions peut accueillir ou rejeter la demande, mais dans l’un ou l’autre cas sa décision n’est susceptible d’aucun recours.
Si la requête est acceptée, la réparation sera à la charge de l’Etat et sera payée comme frais de justice criminelle.
En définitive, il résulte de ce qui précède qu’avec l’assistance d’un avocat spécialisé en droit pénal, les personnes ayant subi un préjudice à raison d’une détention provisoire injustifiée peuvent obtenir réparation de leur préjudice et se voir allouées des indemnités.
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Anthony Bem
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