Les moyens de se défendre lors d’un procès et les différents types de preuve susceptibles d’être produits aux débats diffèrent selon la nature pénale ou civile de l’affaire.
En effet, en matière pénale, le principe est la liberté de la preuve.
Ainsi, l’article 427 du code de procédure pénale dispose que :
« Hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d'après son intime conviction. »
Néanmoins, s’agissant des autorités judiciaires, la Cour de cassation juge que les agents publics, enquêteurs et magistrats ne peuvent pas recourir à des moyens de preuve déloyaux ou illicites ; ce principe se traduit par l’interdiction de recourir à des stratagèmes (Cour de cassation Chambre criminelle, 27 février 1996, n°95-81.366).
Par ailleurs, en matière civile, la Cour de cassation a consacré un principe de loyauté dans l’administration de la preuve, sous peine d’irrecevabilité de cette dernière (Cour de cassation, Deuxième chambre civile, 7 octobre 2004, n°03-12.653).
L'application stricte de ce principe conduit toutefois en pratique à l’impossibilité pour une partie à un procès de disposer de la preuve des faits litigieux.
La Cour européenne des droits de l’homme considère qu’une preuve obtenue de manière déloyale peut être soumise au juge, sous certaines conditions.
Avec l’évolution des technologies et des moyens de preuve offerts aux justiciables, la question de la recevabilité des preuves obtenues de manière déloyale ou illicite vient en opposition avec les risques, d’une part, d’atteintes aux droits au respect de la vie privée, à la protection de l’image, de la parole, d’autre part, de violation du secret professionnel et, enfin, d’introduction illicite dans un système de traitement automatisé de données.
Le 22 décembre 2023, la Cour de cassation a consacré le droit des parties à un procès civil de pouvoir utiliser une preuve obtenue de manière déloyale, sous certaines conditions (Cour de cassation, Assemblée plénière, 22 décembre 2023, n°20-20.648 et 21-11.330).
Cet arrêt est important en ce qu’il provient de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, c’est-à-dire de la réunion de toutes les chambres qui composent la plus Haute Juridiction judiciaire.
Il est aussi important car il procède à un revirement de jurisprudence, c’est-à-dire à une modification de la position de la Cour de cassation sur un point de droit.
En l’espèce, lors d’un litige prud’homal avec l’un de ses salariés, un employeur a utilisé les enregistrements sonores d’un entretien au cours duquel le salarié avait tenu des propos ayant conduit à sa mise à pied.
Il comprenait les transcriptions d'enregistrements qui démontraient que le salarié avait refusé de lui fournir le suivi de son activité commerciale.
Or, cet enregistrement a été réalisé à l’insu du salarié.
Néanmoins, le 22 décembre 2023, la Cour de cassation a jugé que :
« il y a lieu de considérer désormais que, dans un procès civil, l'illicéité ou la déloyauté dans l'obtention ou la production d'un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l'écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ».
Par conséquent, dorénavant, les juges doivent notamment s’assurer qu’une preuve ne porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble.
Concrètement, les juges devront procéder, le cas échéant, à un contrôle de proportionnalité entre les atteintes constituées par la production d’une preuve obtenue de manière illégale, les droits protégés et le but poursuivi.
Cette jurisprudence du 22 décembre 2023 met donc un terme au principe de licéité de la preuve en matière civile tel qu’il s’appliquait avant cette décision.
Ainsi, l’arrêt du 22 décembre 2023 ouvre la voie vers un assouplissement des juridictions pour la recevabilité des preuves obtenues mêmes de manière déloyale.
En pratique, le nouveau principe posé par la cour de cassation permet surtout aux justiciables, lors des procès de nature civile (divorce, succession, prud’hommes, etc…) ou de nature commerciale de produire la preuve de leurs droits, prétentions et/ou préjudices subis ; quand bien même ces preuves ont pu être obtenues de manière déloyale ou par des moyens illicites, tels que des enregistrements clandestins d’entretien comme dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt rendu le 22 décembre 2023.
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Anthony Bem
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