Le 21 février 2019, la Cour de cassation a posé le principe selon lequel les juges du fond saisi d’un litige ayant déjà donné lieu à une décision provisoire du juge des référés ne peuvent pas valablement la remettre en cause en y faisait expressément référence dans le cadre de la motivation de leur jugement (Cour de cassation, troisième chambre civile, 21 février 2019, N. 18-13.543).
En l’espèce, un syndicat des copropriétaires s’est plaint de la transformation par une SCI de son lot en chambres meublées et l’a assignée en référé.
Le juge des référés a rendu une ordonnance aux termes de laquelle il a condamné la SCI à remettre les lieux dans leur état initial et à supprimer un branchement illicite d’eaux usées.
Or, l’ordonnance de référé est une décision de nature provisoire qui en tant que telle n’est pas assortie de l’autorité de chose jugée au principal.
Ainsi, la partie qui a perdu en référé peut saisir le juge du fond pour tenter de remettre en cause l’ordonnance.
En conséquence, la SCI a assigné le syndicat, devant le juge du fond, pour voir déclarer prescrite l’action du syndicat et non fondées les condamnations mises à sa charge.
Les premiers juges du fond ont estimé que l’action en référé du syndicat était prescrite et que le juge des référés a ordonné à tort la suppression matérielle des chambres meublées et la remise en état des lieux.
La cour de cassation a quant à elle rappelé que le principe selon lequel la nullité d’un jugement ne peut être demandée que par les voies de recours prévues par la loi et donc qu’en statuant ainsi, la cour d’appel, qui n’était pas saisie d’une voie de recours contre l’ordonnance de référé irrévocable, a violé ce principe.
Cet arrêt sonne le glas du risque de contradiction des décisions de justice rendues en référé et au fond.
Concrètement, le juge du fond ne peut pas valablement se saisir du contenu d’une ordonnance de référé pour la confirmer ou l’infirmer.
Dans ce contexte, le juge du fond ne doit pas expressément porter d’appréciation sur la décision de référé au travers de sa motivation et se contenter d’appliquer le droit à la lumière des faits et pièces produites aux débats.
Le jugement au fond ne doit pas apparaître comme un recours contre l’ordonnance de référé et ce même si les motivations respectives sont antinomiques.
La présentation formelle du jugement au fond ne doit pas donner l’apparence qu’il critique le juge des référés, à défaut de quoi il risquera d’être annulé.
En l’occurrence, aux termes de son ordonnance, le juge des référés a condamné la SCI à remettre les lieux dans leur état initial et à supprimer les modifications sanitaires.
Or, la SCI n’avait pas invoqué la prescription du délai de l’action du syndicat devant le juge des référés et a cru pouvoir attendre d’être en appel du jugement au fond pour invoquer le dépassement du délai.
C’est donc pour la première fois en appel du jugement sur le fond que cette prescription a été déclarée fondée et que la mesure de remise des lieux en leur état initial a été transformée.
Cependant aux termes de son arrêt, la cour d’appel avait indiqué que « le juge du fond saisi après intervention du juge des référés doit vérifier le bien-fondé de la décision prise par celui-ci […] ».
Toutefois, la cour d’appel ne pouvait pas valablement se constituer expressément comme un censeur du juge des référés.
La cour de cassation a donc censuré l’arrêt d’appel car il faisait expressément référence à l’ordonnance de référé ayant adopté une solution inverse.
Pour qu’une contrariété de décisions de justice entre une ordonnance de référé et un jugement soit possible et que la décision de fond prévale sur la décision de référé, il faut que les juges du fond ne fasse pas référence de manière explicite à l’ordonnance de référé antérieurement rendue.
Il faudra donc bien veiller à ce que les juges du fond ne fassent pas expressément à l’ordonnance référé pour la contredire, afin d’éviter tout risque de censure du jugement au fond.
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Anthony Bem
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