Le 30 juin 2014, le Président du Tribunal de Grande Instance de Bordeaux a condamné en référé une blogueuse pour avoir publié sur son site une critique sur un restaurant intitulée "L’endroit à éviter au Cap-Ferret" et dont le nom de l'établissement était expressément indiqué.
En l'espèce, un restaurant du Cap-Ferret a découvert qu'un commentaire le concernant apparaissait en première page de Google lorsqu'on tapait le nom du restaurant.
Le site sur lequel était diffusé le commentaire négatif était un blog qui traite de sujets culturels en général et dont l'auteur avait cru pouvoir profiter pour publier son "coup de gueule" sur le restaurant en question.
Pour la parfaite information du lecteur le post était rédigé comme suit :
« ... Lorsque nous sommes arrivés, un premier serveur nous a demandé, logiquement, si nous désirions manger en terrasse ou à l’extérieur, et comme il y avait pas mal de vent, nous avons opté pour l’intérieur, et sommes donc allés nous installer à une table.
Immédiatement, une harpie en gilet fluo nous saute sur le paletot pour nous houspiller de nous installer sans autorisation (alors que, et d’une, nous en avions une, d’autorisation, et de deux… j’aime pas trop me faire engueuler par les serveurs, en général — par personne, du reste, mais encore moins lorsque je suis le client). Bref, ça ne commence pas très bien, mais le malentendu levé, elle nous file les menus. Et la, première erreur fatale dont découlera tout le reste : elle ne nous demande pas, comme c’est la coutume, si nous désirons un apéritif. Or, un apéritif, nous en désirions un (comme très peu de clients manifestement, mais enfin, c’est bien notre droit tout de même). Arrive une deuxième serveuse, qui prend notre commande, mais ne nous demande toujours pas si nous désirions l’apéritif (logique : sa collègue était supposée l’avoir fait), que nous sommes donc obligés de réclamer (nous y tenions).
Dix minutes passent, et toujours pas l’ombre ni de notre apéritif, ni de notre bouteille de vin d’ailleurs. Alors qu’immédiatement après avoir pris notre commande, la deuxième serveuse aurait dû nous le préparer et nous le servir : le principe de l’apéritif, c’est de permettre d’attendre sagement son plat. Enfin, il me semble. Donc je hèle un troisième serveur (nous reviendrons plus bas à cette question épineuse de l’enchaînement des serveurs) et lui dis (aimablement !) que ça serait bien de nous servir l’apéro, parce que sinon, nos plats vont arriver avant lui. Et bingo, alors que serveur n°3 nous apporte (enfin ! Nous commencions à nous dessécher) nos tant désirés apéritifs (sans cacahuètes. Fut une époque lointaine, dans ce restaurant, on nous donnait des cacahuètes avec l’apéritif. Ailleurs, on nous donne même des vraies tapas pour pas plus cher. Ta Panta Rei), nos plats arrivent avec serveuse n°1.
Plats que nous renvoyons parce que zut, du coup nous n’en sommes qu’à l’apéro (par leur faute) et que le pastis accompagne mal l’entrecôte-frites. La serveuse bougonne.
Et ça continue. Alors que nous buvions, arrive la patronne, peu aimable malgré ce qu’elle voudra bien affirmer (à côté, les serveurs du café Marly méritent la palme d’or de la courtoisie), vient nous dire de nous signaler quand nous voudrons nos plats, parce qu’ils viennent déjà de jeter une entrecôte et que si ça doit durer 1/2 heure notre histoire, ça serait bien de le dire. Nous essayons donc de lui expliquer notre souci, et de lui faire remarquer ce qui, pour nous et depuis de nombreuses années, est la source du problème dans nombre de restaurants : que les serveurs n’ont plus de tables attitrées et qu’ils vadrouillent au gré du vent, ce qui fait qu’il n’y a plus aucun ordre et que règne la désorganisation la plus totale. Mais là, elle a une excuse (et là, je vous jure que je n’invente rien) : elle ne peut pas faire bosser ses serveurs plus de 44h et il faut qu’elle leur donne des jours de repos, alors comprenez mes braves gens, ça lui ferait trop de personnel à payer.
Stop ! Quoi ? Elle n’a pas le droit de faire bosser ses employés 24/24 7/7 ? Mais franchement, où va le monde !
Bref. On nous apporte notre vin (froid !) et nos plats, réclamés deux fois. L’entrecôte était nouvelle, ok, ce qui n’était pas le cas des pizza, sèche sur les bords. Bon. Nous prenons, quand même, un dessert (ce que n’ont pas fait les gens de la table d’à côté, partis en jurant qu’ils ne reviendraient pas). Bon, ok, les boules de glace étaient grosses. Mais bon.
Ma maman va payer, et essaie de revenir sur l’incident, et se fait envoyer paître par une patronne toujours aussi mal embouchée et dédaigneuse. Et elle a payé les apéros, source du conflit, alors qu’il est d’usage, dans la restauration, de les offrir aux clients lorsqu’il y a un souci (vu la marge qu’il se font dessus, ils peuvent se le permettre).
Conclusion ? Un restaurant où nous n’irons plus parce que la patronne se prend pour une diva (alors que, sérieusement, elle n’est pas la propriétaire de Chez Hortense, non plus), l’une des serveuses serait bien inspirée de ne jamais bosser à Londres parce qu’elle ne risque pas de pouvoir vivre de ses pourboires, et on se fout du client et le sens du commerce est plus qu’approximatif. Je vous engage à le noter dans votre liste noire si vous passez dans le coin !
(tout ça pour deux apéritifs… à quoi tiennent les guerres) ».
Sans mise en demeure préalable d'avoir à supprimer ou modifier l'article litigieux, le propriétaire du restaurant a assigné l'auteur en référé.
La question qui se posait au juge a été de savoir si la critique gastronomique constituait bien une libre appréciation des produits et du service de ce restaurant ou bien au contraire un dénigrement commercial.
La réponse n'est pas évidente puisque la liberté d’expression est une liberté fondamentale et la critique même sévère est admise à condition qu'elle ne soit pas animée par le désir de nuire.
La diffamation envers des produits ou services n'étant pas admise, la jurisprudence récente a tendance à utiliser le dénigrement comme fondement juridique permettant de limiter la liberté d'expression dans ce type de situation.
Si cette décision peut en étonner certains, elle prend néanmoins en considération le fait que derrière la critique se cache en réalité une volonté de nuire et un appel au boycott.
En effet, pour mémoire le titre était : « L’endroit à éviter au Cap-Ferret » (suivi du nom du restaurant) et l'auteur concluait son article en ces termes : « Je vous engage à le noter dans votre liste noire si vous passez dans le coin ! ».
Par ailleurs, il est intéressant de relever que le juge n'a pas estimé que l’usage de propos tels que "harpie", "diva", "mal embouchée et dédaigneuse" constituaient des injures au sens de l’article 29 alinéa 2 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse selon lequel "Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait est une injure."
Enfin, curieusement, la cessation du trouble et la suppression de l'avis litigieux n'ont pas été ordonnées par le juge.
A la lumière des dernières jurisprudences et à l'heure de l'Internet généralisé, la frontière entre la libre critique et le dénigrement devient de plus en plus étroite.
Ce type de décision permet aux professionnels, restaurants, hôtels, site d'E-commerce, etc... d'obtenir plus facilement la suppression des articles, commentaires et avis négatifs publiés par leurs clients sur internet sur le fondement du dénigrement et durant un délai de 5 ans à compter de la date de publication et non de 3 mois applicable aux poursuites des propos injurieux ou diffamatoires.
Je suis à votre disposition pour toute action ou information (en cliquant ici).
PS : Pour une recherche facile et rapide des articles rédigés sur ces thèmes, vous pouvez taper vos "mots clés" dans la barre de recherche du blog en haut à droite, au dessus de la photographie.
Anthony Bem
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