Le droit à la suppression de contenus sur internet n'est pas absolu.
La jurisprudence pose, au grès des affaires jugées, les conditions du droit au déréférencement ou à la desindexation de résultats du moteur de recherche sur internet.
Ainsi, le 10 février 2017, le tribunal de grande instance de Paris a jugé que la personne mise en cause dans le cadre d’un procès public ne peut pas valablement demander à Google de supprimer des résultats du moteur de recherche les articles de presse afférents à cette condamnation s'ils sont récents (Tribunal de grande instance de Paris, ordonnance de référé du 10 février 2017, Monsieur X. / Google France et Google Inc.).
En l'espèce , un médecin a été condamné par le tribunal correctionnel de Grasse à une peine d’emprisonnement et d’amende pour des faits d’escroquerie à l’assurance maladie, avec interdiction définitive d’exercer la médecine.
A la suite de cette condamnation, le quotidien régional Nice Matin a diffusé sur son site internet, une dépêche intitulée « Quatre ans ferme pour le médecin cannois qui avait escroqué la CPAM », sans citer nommément l’identité du demandeur.
En outre, ce même journal a publié sur internet un nouvel article intitulé « Arnaque à la sécu : 4 ans de prison pour le médecin », faisant notamment état de ce que « Monsieur X., 59 ans » avait été condamné à 4 ans de prison, le médecin étant « coupable d’avoir, entre 2012 et 2014, facturé des centaines de consultations fictives ou abusives à la Sécurité sociale ».
Cette information a été reprise par la suite sur d’autres sites.
Par la suite, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a ramené la peine à deux ans d’emprisonnement dont un avec sursis et à une interdiction définitive d’exercer la médecine uniquement à titre libéral.
Cet arrêt fait l’objet d’un pourvoi en cassation actuellement pendant.
Cependant, la recherche sur le moteur de recherche Google à partir des nom et prénom du Médecin aboutie au référencement des liens relatant sa condamnation en première instance.
Dans ce contexte, il a saisi en vain le site Google d’une demande de déréférencement relative à trois URL.
Le Médecin a ainsi cru pouvoir assigner Google devant le juge des référés pour obtenir leur condamnation, sous astreinte, à supprimer ces résultats et à désindexer des images accessibles par le biais de Google Images, lesquelles apparaissent à la suite des recherches effectuées avec les termes « Monsieur X. ».
En effet, aux termes de l’article 809 alinéa 1 du code de procédure civile, le président du tribunal de grande instance peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Selon l’article 38 de la loi du 06 janvier 1978, toute personne physique a le droit de s’opposer pour des motifs légitimes, à ce que des données à caractère personnel la concernant fasse l’objet d’un traitement.
L’article 40 de la même loi dispose aussi que toute personne physique peut exiger du responsable du traitement que soient, selon les cas, rectifiées, complétées, mises à jour, verrouillées ou effacées les données à caractère personnel la concernant, qui sont inexactes, incomplètes, équivoques, périmées, ou dont la collecte, l’utilisation, la communication ou la conservation est interdite.
L’article 6 c) de la directive 95/46/CE, directive notamment transposée dans la loi du 06 janvier 1978 en droit français, précise par ailleurs que les données à caractère personnel doivent être adéquates, pertinentes et non excessives au regard des finalités pour lesquelles elles sont collectées et pour lesquelles elles sont traitées ultérieurement.
Ces dispositions doivent s’interpréter au regard de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, à savoir que :
– chaque traitement de données à caractère personnel doit être légitimé pour toute la durée pendant laquelle il est effectué ;
– le traitement peut devenir incompatible avec la directive lorsque les données ne sont plus nécessaires, au regard des finalités pour lesquelles elles ont été collectées ou traitées, spécialement lorsqu’elles apparaissent inadéquates, qu’elles ne sont pas ou plus pertinentes ou qu’elles sont excessives au regard de ces finalités et du temps qui s’est écoulé ;
– une personne physique peut demander à un moteur de recherche de supprimer de la liste des résultats, affichée à la suite d’une recherche effectuée à partir du nom d’une personne, des liens vers des pages web, publiées par des tiers et contenant des informations relatives à cette personne ;
– les droits à la vie privée et à la protection des données à caractère personnel doivent se concilier avec les droits à la liberté d’expression et d’information, ce dans la recherche d’un juste équilibre entre les droits de la personne concernée et l’intérêt légitime des internautes potentiellement intéressés à avoir accès à une information.
Cependant, s’agissant de la demande de suppression dans Google Images, le juge des référés a relevé que la société Google Inc., prise comme exploitante de moteur de recherche, n’est pas responsable des contenus mis en ligne et ne peut, dès lors, procéder à leur suppression.
A cet égard, la demande de suppression des contenus n'était absolument pas justifiée juridiquement.
Par ailleurs, concernant la demande en déréférencement visant les mêmes résultats, Google n’a jamais été saisie d’une demande en déréférencement, de sorte que le juge des référés a considéré que : « Monsieur X. ne justifie pas d’un trouble manifestement illicite lui permettant d’agir en référé, puisqu’il ne démontre pas que la société Google Inc. aurait, malgré une demande sur ce point, refusé de déréférencer des liens de manière à l’évidence illicite ».
Il aurait été en effet opportun pour le demandeur de mettre d'abord amiablement en demeure le moteur de recherche d'avoir à déréférencer les résultats litigieux pour pouvoir justifier de l'existence d'un trouble manifestement illicite.
Concernant les autres résultats qui ont fait l’objet d’une demande préalable de suppression par Monsieur X et d’un refus de la part de Google, le juge des référés a considéré qu'il n'y avait pas lieu à référé faute de trouble manifestement illicite car les articles de presse concernaient « une information exacte, sur un sujet d’actualité récent, relatif à une fraude à l’assurance-maladie, participant ainsi du droit à l’information du public sur une affaire pénale, ce qui inclut l’identité de la personne ainsi mise en cause dans le cadre d’un procès public ; que, compte tenu de la date récente de la condamnation, le traitement des données n’est, à l’évidence, pas devenu inadéquat ou non pertinent ; que le demandeur ne justifie pas d’un motif légitime supposant d’empêcher l’accès, par le moteur de recherche géré par la société Google Inc., aux informations relatives à sa condamnation de première instance, le préjudice moral allégué résultant en réalité, non pas de l’indexation, mais bien de son implication dans une procédure pénale ayant donné lieu à d’importantes condamnations, que la seule circonstance que les liens en cause ne permettent pas d’accéder à des articles faisant état que la peine a été réduite en appel ou qu’un pourvoi en cassation est en cours n’est pas de nature à justifier de contraindre en référé la société Google Inc. à déréférencer les liens en cause, une telle circonstance ne rendant pas, en elle-même, l’information accessible inexacte ou non pertinente, sauf à préciser au demandeur qu’il lui reste possible d’agir, s’il l’estime nécessaire, contre les fournisseurs de contenu ».
Il résulte de cette décision que le juge limite la possibilité de déréférencement de contenus par le moteur de recherche sur internet aux :
- informations inexactes et aux données devenues inadéquates ou non pertinente,
- sujets qui ne soient pas un sujet d’actualité récent et ne participent pas au droit à l’information du public.
Au cas présent, le juge des référés a particulièrement bien motivé sa décision puisqu'il a même été jusqu'à se prononcer sur le préjudice moral allégué en considérant que celui-ci résultait en réalité, non pas de l’indexation, mais bien de l'implication de l'intéressé dans une procédure pénale ayant donné lieu à des condamnations.
Enfin, le juge a estimé que « la seule circonstance que les liens en cause ne permettent pas d’accéder à des articles faisant état que la peine a été réduite en appel ou qu’un pourvoi en cassation est en cours n’est pas de nature à justifier de contraindre en référé la société Google Inc. à déréférencer les liens en cause, une telle circonstance ne rendant pas, en elle-même, l’information accessible inexacte ou non pertinente, sauf à préciser au demandeur qu’il lui reste possible d’agir, s’il l’estime nécessaire, contre les fournisseurs de contenu ».
Bien qu'il soit regrettable que la procédure de demande de suppression amiable de contenus sur internet n'ait pas été correctement respectée par l'intéressé au départ, les condamnations pénales récentes dont il a fait l'objet ne pouvaient certainement pas permettre d'obtenir du juge une condamnation de Google.
En tout état de cause, cette décision a le mérite de préciser les limites aux atteintes à la réputation en ligne et les modalités des demandes de suppression de contenus auprès du moteur de recherche de Google.
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Anthony Bem
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