E-réputation : limites à la liberté d’expression des consommateurs par leurs avis sur Internet

Publié le Modifié le 09/04/2012 Vu 7 647 fois 0
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Le 7 juillet 2011, la Cour d'appel de Montpellier a précisé les limites à la liberté d'expression des consommateurs quant aux avis ou commentaires diffusés sur internet en condamnant un client au titre de ses propos diffamatoires laissés sur ses blogs (Cour d’appel de Montpellier 2ème chambre B Arrêt du 07 juillet 2011, ALC Villas, Alexandre A. / Jean-Luc G.)

Le 7 juillet 2011, la Cour d'appel de Montpellier a précisé les limites à la liberté d'expression des cons

E-réputation : limites à la liberté d’expression des consommateurs par leurs avis sur Internet

En l'espèce, la société BCA Constructions, dont l'objet était la maçonnerie générale, la rénovation, l'activité de marchand de biens, a été immatriculée en 2001 au registre du commerce et des sociétés de Montpellier.
 
Son gérant était M. Erick G. et M. Ali A. en était le salarié.
 
Les époux G. lui ont confié la réalisation de leur maison d'habitation sur le terrain leur appartenant à Sète.
 
La réalisation est intervenue avec réserves.
 
Se plaignant de désordres, ils ont sollicité en référé la désignation d'un expert qui a été décidée par une ordonnance du Président du Tribunal de grande instance de Montpellier.
 
La société BCA Constructions a fait l'objet d'une liquidation judiciaire.
 
L'expert judiciaire, a conclu dans son rapport à la nécessité de travaux de réparations d'un coût de 96 581,59 € et à un ensemble de préjudices estimés à 23 678,88 €, à imputer, selon lui, en totalité à l'entreprise BCA Constructions.
 
Puis, la société ALC Villas, dont l'activité est la maçonnerie générale et le gérant M. Ali A., a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Montpellier.
 
En janvier 2011, M. Jean-Luc G. a créé des blogs sur le réseau internet pour relater ses mésaventures et difficultés qu'il a rencontrées au cours de la construction de sa maison par la société BCA Constructions, les désordres dont celle-ci est affectée, l'insuffisance de l'assurance souscrite par l'entreprise, le litige et l'expertise judiciaire qui s'en sont suivis, la liquidation du constructeur et la création d'une nouvelle société “ALC Constructions".

Dans ce contexte, la société ALC Villas et M. Ali A. ont fait citer M. G. devant Tribunal de grande instance de Montpellier afin de voir sanctionner et réparer les diffamations, injure et dénigrements qu'ils imputent aux articles publiés par celui-ci sur ses différents blogs.
 
Les propos diffamatoires étant nombreux, ils ne seront volontairement pas repris ci-après.
 
Pour les requérants le propos : « Combien de temps encore, continuera cette fanfaronnade d'une bande d'incapables qui voient ainsi le rêve des propriétaires en le transformant en CAUCHEMAR » étaient constitutifs dune injure publique à l'égard de la société ALC Villas et de Monsieur Ali A., au sens de l'article 29 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881 et réprimés par l'article 33 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881.
 
Les écrits « ALC Villas - BCA Villas à éviter », « Si vous souhaitez construire dans l'Hérault ou l'Aude, je vous déconseille ALC Villas », « ALC Villas, je vous déconseille vivement », « ALC Villas un constructeur à éviter. Le capitaine et les matelots changent de bateau à chaque tempête », « AFIN DE VOUS EVITER TOUT CELA NE CHOISISSEZ PAS ALC Villas à Poussan et Montpellier », « ALC Villas - BCA Villas constructeur à éviter », « NE CHOISISSEZ PAS ALC Villas à Poussan et Montpellier » et « ALC Villas Label : Entrepreneur incompétent ! » étaient considérés par les requérants comme constitutifs de dénigrement à l'égard de la société ALC Villas, au sens de l'article 1382 du Code civil.

S'agissant des propos diffamatoires , pour mémoire, l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 prévoit, en son alinéa 1er que :

« Toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l'identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés ».

On peut cependant échapper à la mise en jeu de sa responsabilité en rapportant la preuve de la vérité des faits à l'origine des propos reprochés : "l'offre de preuve".

Dans un premier temps, aux termes d’une démonstration riche d’enseignement, la Cour d’appel de Montpellier a jugé que :

« M. Jean-Luc G. fait donc la preuve de la vérité des faits qu'il rapporte dans chacun des extraits incriminés par les demandeurs, tenant à la fois aux déboires qu'il a connus à l'occasion de la construction de sa maison individuelle, à la carence du constructeur de celle-ci, tant dans sa prestation technique que dans l'exécution de son obligation légale d'assurance, et à la disparition soudaine de sa cocontractante que les anciens associés de celle-ci ont remplacé par une nouvelle société ayant le même objet.

M. Jean Luc G. n'est pas en mesure de démontrer que la société ALC Villas est elle-même responsable de sinistres survenus à l'occasion des chantiers qu'elle s'est vue confier après sa création.

Cependant, les deux sociétés ont les mêmes associés, des activités identiques, le chef de chantier de celle qui a construit la maison de M. Jean-Luc G. est devenu le gérant de la nouvelle structure, et cette dernière a démarché des clients qui étaient en contact avec la société BCA Constructions.

La société BCA Constructions a disparu soudainement au cours des opérations d'expertise ayant révélé de graves désordres pour lesquels elle n'était que partiellement assurée.

La société ALC Villas lui a immédiatement succédé sans que rien ne permette de supposer qu'elle présente des compétences techniques améliorées, même si tous ses clients ne sont pas mécontents d'elle, ni une surface financière plus importante, le capital étant constitué pour moitié d'apport en nature (matériel) et les 4500 € en numéraire restants n'étant libérés qu'à hauteur de 20%.

Par suite, tirant parti de sa propre expérience malheureuse, et au vu de ces éléments objectifs, M. Jean-Luc G. pouvait légitimement occulter l'écran de la personnalité morale distincte des deux sociétés, considérer qu'il y avait eu transformation d'une structure en une autre ayant eu comme corollaire de le laisser sans recours et de faire courir à d'autres des risques similaires, et finalement de décommander, de façon motivée, les services de la société ALC Villas.
 
En outre, la polémique développée par M. Jean-Luc G. s'inscrit dans le cadre d'un débat plus général sur la satisfaction des clients de constructeurs de maisons, les droits des consommateurs en rapport avec le sérieux et les obligations des entreprises de construction.

II dispose de ce fait d'un large droit d'expression pour faire valoir son opinion dès lors que celle-ci repose sur des arguments sérieux lui donnant du crédit.

Le bénéfice de la bonne foi peut donc être reconnu à M. Jean-Luc G. pour les propos qui ne sont pas couverts par la vérité des faits allégués, à l'exception toutefois des termes de vol, escroquerie, et de leurs déclinaisons, qui sont, de façon quasi-systématique, contenus dans les interventions de M. Jean-Luc G.

En effet, le préjudice dont M. Jean-Luc G. a été la victime et la reprise par les responsables de celui-ci d'une activité dans des conditions voisines de celle qui a généré ce préjudice, ne sont pas nécessairement le résultat de tels procédés frauduleux, et les éléments qu'il a collectés ne lui permettent pas d'arguer d'agissements constitutifs de telles infractions pénales spécifiques.

Il est de même particulièrement excessif d'écrire que “c'est aussi simple que de faire un meurtre et d'avoir une nouvelle identité pour ne pas répondre de ses actes !!!”. En se livrant à de telles qualifications des faits précis, dont la dénonciation ne peut en soi être blâmée, M. Jean-Luc G. a manqué de prudence et de modération dans son discours qui, dans ce contexte, relève de propos diffamatoires ».

S’agissant de l'injure , pour mémoire l'article 29 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881 la défini comme « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait  ».

La Cour d’appel de Montpellier a jugé à cet égard que :

« Le passage incriminé … consiste en deux longues tirades qui ne renferment pas d'expression répondant à la définition de l'injure donnée par ce texte, hormis la formule “... fanfaronnade d'une bande d'incapables“.

Mais celle-ci vient après l'énoncé, un paragraphe plus haut, des nombreuses malfaçons qui ont pu être constatées sur les ouvrages réalisés par la société BCA Constructions.

Considérant que les personnes physiques faisant partie de la société ALC Constructions ainsi visées sont identiques à celles qui animaient la société BCA Constructions, ces propos ne peuvent être considérés comme ayant excédé la liberté d'expression dont jouit M. Jean-Luc G »
 
La demande relative à l'existence d'une injure sera par suite rejetée.
 »

Enfin, s’agissant des dénigrements , les juges montpelliérains ont considéré que :

« Emanant d'un particulier, sur la base déjà évoquée d'un conflit lourd avec une société composée du même personnel, associés ou salariés, lui occasionnant un préjudice incontestable, les invitations publiques de M. Jean-Luc G. à choisir un autre constructeur que la société ALC Villas n'excèdent pas son droit de libre expression et de critique relativement aux services que propose cette entreprise. Il ne peut davantage lui être fait grief d'utiliser, dans ses textes, la dénomination exacte de la société ».

En conséquence, outre le paiement de dommages et intérêts, les juges ont notamment ordonné à M. Jean-Luc G. de cesser d'imputer aux demandeurs tout fait sous la qualification de vol ou escroquerie, ou de faire usage à leur encontre de tout dérivé de ces mots, ainsi que de cesser d'utiliser la photographie du pavillon témoin de la société ALC Villas et la dénomination de celle-ci dans les adresses de ses blogs.

Bien que cette affaire puisse sembler un cas isolé, cette décision se penche sur des problématiques courantes.

Elle a ainsi le mérite de fixer les limites à la liberté d’expression afin que les consommateurs et les entreprises connaissent leurs droits et leurs devoirs en la matière.

Pour les consommateurs / auteurs d'avis en ligne, cette décision permettra, le cas échéant, d’éviter des poursuites judiciaires inutiles.

Pour les entreprises, cet arrêt d'appel permettra de mieux savoir comment protéger leur image de marque sur Internet ou leur E-réputation.

Je suis à votre disposition pour toute information ou action.

PS : Pour une recherche facile et rapide des articles rédigés sur ces thèmes, vous pouvez taper vos "mots clés" dans la barre de recherche du blog en haut à droite, au dessus de la photographie.

Anthony Bem
Avocat à la Cour
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