La société Google Inc a complété, en septembre 2008, son moteur de recherche accessible en France à l'adresse www.google.fr par une fonctionnalité, dite “Google Suggest ”.
Cette fonctionnalité offre aux internautes qui effectuent une recherche, à partir des premières lettres du mot qu'ils saisissent, un menu déroulant de propositions qui comporte une liste de requêtes possibles, un simple “clic” sur la requête proposée les dispensant, le cas échéant, d'avoir à taper le libellé complet de leur recherche.
A la suite de divers contentieux, ce service s'appelle désormais “Prévisions de recherche ”.
Ce service est présenté par Google comme un service de “saisie semi-automatique” qui permet aux utilisateurs du moteur de recherche internet de “profiter de l'expérience des autres utilisateurs”, en portant à leur connaissance les requêtes “les plus populaires déjà tapées par les internautes qui commencent par ces lettres ou mots “.
En l’espèce, Monsieur Bruno L. a constaté que lorsque ses nom et prénom étaient saisis sur le moteur de recherche de Google les expressions “bruno l. escroc” et “bruno l. secte” apparaissaient sur l’écran dans les “suggestions de recherche”.
Ces expressions apparaissaient également dans la rubrique “Recherches associées” figurant sur la première page de résultat du moteur de recherche de Google.
Monsieur Bruno L. a vainement sollicité de Google la suppression de ces suggestions.
Dans ce contexte, Monsieur Bruno L. a assigné la société de droit californien Google Incorporated (ci-après Google Inc.) devant le tribunal de grande instance de Paris pour obtenir :
- la suppression de ces suggestions de recherche litigieuses dans la “fonctionnalité” “Saisie semi-automatique” et dans la rubrique “Recherches associées”, sous astreinte ;
- l’indemnisation des préjudices subis.
Selon Google les deux “fonctionnalités” incriminées, soit celle de “Saisie semi-automatique”, anciennement dénommée “Google suggest“, et celle de “Recherches associées”, sont des fonctionnalités additionnelles ayant pour objet de faciliter la recherche documentaire initiée par un internaute, la première permettant d’afficher en temps réel, et au fur et à mesure que l’internaute tape sa requête, des prédictions de requêtes et la seconde permettant d’afficher sur la page de résultats des recherches connexes à la requête initialement saisie par l’internaute.
Selon la firme américaine, les suggestions, apparaissant directement sous la barre de recherche et au moment où l’internaute saisit sa requête, correspondent aux requêtes les plus pertinentes pour les internautes et qui commencent par ces mêmes lettres ou mots.
Ces termes de recherches ne feraient donc qu’indiquer à l’internaute que d’autres utilisateurs de Google ont précédemment saisi des requêtes commençant par les mêmes lettres ou mots que ceux qu’il a lui-même commencés à saisir.
Ces prédictions de requêtes sont déterminées automatiquement en fonction de critères objectifs.
Google ajoute que les “Prévisions de recherche” et “Recherches associées” sont fournies de manière automatique sur la base des requêtes précédemment saisies par les utilisateurs du moteur de recherche sur internet.
Or, il ressort de la notice d’information figurant sur le site internet google.com, relative aux suggestions de recherche s’affichant sur le “menu déroulant”, notice sur laquelle il est indiqué que “l‘algorithme Google prédit et affiche des requêtes basées sur les activités de recherche des autres internautes.
Ces recherches sont déterminées, par le biais d‘un algorithme, en fonction d’un certain nombre de facteurs purement objectifs (dont la popularité des termes de recherche), sans intervention humaine.
Toutes les requêtes de prédiction affichées ont déjà été saisies par des utilisateurs de Google“, et que Google procède “également aux ajustements nécessaires en fonctions des régions”.
Par conséquent, les requêtes de prédiction présentées sur le site Google Australia ou Google France seront peut être différentes de celles renvoyées sur Google.com.
S’agissant des propositions faites dans la rubrique “Recherches associées“, les juges ont relevé qu’aucune information n’est donnée aux utilisateurs du moteur de recherche sur les conditions dans lesquelles sont choisies les suggestions de recherche proposées dans cette rubrique.
Le tribunal a donc condamné Google pour injure du fait de la négligence sur l’explication de son outil de recherche Google suggest auprès des internautes.
Eu égard à la qualité de l’argumentation du tribunal en matière de droit sur internet, celle-ci sera reprise quasi in extenso ci-après :
« Qu’il s’ensuit :
- que les exploitants du moteur de recherche Google ont délibérément fait le choix de faire apparaître sur l’écran de l’utilisateur, sans que celui-ci ait formulé la moindre demande, des suggestions de requêtes et des “recherches associées”,
- qu’ils ont également fait le choix des algorithmes qui rendront, selon eux, "pertinentes” les suggestions s’inscrivant sur l’écran de l’utilisateur, soit pendant qu’il saisit sa requête soit sur la page de résultats, c’est à dire, selon les affirmations des défendeurs, les recherches les plus fréquentes, entraînant pour les plus accrocheuses un effet “boule de neige” et donnant de l’amplitude à de simples interrogations ou à des rumeurs,
- qu’ils ont fait le choix d’exclure certaines suggestions ;
Attendu que ces décisions et les paramètres utilisés, résultent bien de la volonté humaine, même si les défendeurs affirment, à juste titre, que le mécanisme qui conduit à l’apparition des suggestions est automatique.
Que, du fait du caractère automatique du choix des suggestions qui s’affichent sur l’écran de l’internaute, les défendeurs peuvent être suivis lorsqu’ils affirment qu’ils n’ont pas eu l’intention d’afficher sur l’écran de l’utilisateur les expressions incriminées, “bruno l. escroc” et “bruno l. secte” et, lorsqu’ils en déduisent que l’élément intentionnel du délit d’injure n’est pas caractérisé ;
Que c’est en conséquence à juste titre que les défendeurs affirment que ce processus automatique d’apparition des suggestions litigieuses exclut l’application des dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui a pour objet de protéger la liberté d’expression, laquelle ne s’entend, évidemment, que comme celle d’un être humain et à laquelle ne peut être assimilé le produit de calculs effectués par une machine ; qu’il doit être observé que les stipulations de l’article 10 de la convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ne peuvent non plus être utilement invoquées par les défendeurs, dès lors que ce texte protège la liberté d’expression de “toute personne” et n’est pas destiné à protéger le fonctionnement automatique d’une machine dont le premier des avantages déclarés par son exploitant est le repos des doigts de l’utilisateur ;
Attendu, néanmoins, que le caractère automatique de l’apparition des suggestions incriminées n’implique pas qu’elles soient le fruit du hasard puisque, ainsi que cela a été précédemment constaté,
- ces suggestions apparaissent en raison du choix fait par l’exploitant du moteur de recherche de mettre en place cette fonctionnalité,
- elles sont le résultat des algorithmes choisis par cet exploitant, en fonction de divers paramètres parmi lesquels figurent des critères tenant à la personne qui effectue la recherche, au moins celui de la “région” où il se trouve,
- l’exploitant procède à un filtrage des suggestions issues des résultats automatiques ;
Qu’ainsi, si l’éventuelle responsabilité de l’exploitant ne peut être appréciée en fonction du régime applicable à celui de l’expression de la pensée humaine, cette analyse ne saurait conduire à l’exclusion de toute responsabilité résultant des faits litigieux, notamment selon les régimes de droit commun de la responsabilité civile ; […]
Attendu, en premier lieu, que c’est en vain que les défendeurs invoquent le principe du droit français selon lequel des propos injurieux ne peuvent être réprimés que sur le fondement de la loi sur la liberté de la presse et non sur celui du droit commun de la responsabilité civile ;
Qu’en effet, ce principe, qui trouve sa raison d’être dans la protection de la liberté d’expression, ne saurait être applicable en l’espèce dès lors qu’il a été fait droit à l’argumentation des défendeurs selon laquelle les propos incriminés ne sont pas le fruit de l’expression humaine mais de résultats mathématiques, automatiquement produits par une machine ;
Attendu, ainsi que cela a été précédemment relevé, que les défendeurs reconnaissent qu’aucune information n’est donnée à l’utilisateur du moteur de recherche Google quant au choix des “Recherches associées” figurant sur la page de résultats et aux raisons qui ont conduit à l’apparition des suggestions incriminées plutôt qu’à d’autres ; que, s’agissant de l‘information relative aux suggestions apparaissant lors de la saisie de la requête, il est effectivement proposé à l’internaute un lien “En savoir plus” qui le dirige vers la notice précédemment évoquée, que cependant, comme le font valoir les demandeurs, il résulte d’une étude réalisée par la Sofres, produite en défense (pièce n°4), que 83% des utilisateurs du moteur de recherche ne cliquent pas sur ce lien “En savoir plus” ; qu’ainsi, les suggestions litigieuses sont entendues dans leur sens commun soit, la première, “bruno l. escroc”, comme une invective et, la seconde, “bruno l. secte”, comme évoquant des liens qui pourraient exister entre le demandeur et de tels groupements dont les pratiques sont condamnées ;
Qu’en toute hypothèse, à supposer qu’un internaute prenne le temps d’effectuer cette démarche, les informations données sont particulièrement floues et le qualificatif “pertinent” utilisé sur cette notice d’information donne à penser que les requêtes suggérées conviennent exactement, sont particulièrement topiques, de sorte que l’association du de Bruno avec les mots “escroc” et “secte“ prend une valeur allant au-delà de la simple “popularité” de ces requêtes ; que d’ailleurs, ce simple critère de "popularité” de la requête est en lui-même de nature à laisser croire à l’internaute se renseignant sur Bruno L., que l’honnêteté de celui-ci et ses liens avec des sectes font l’objet d’un large débat sur le réseau internet ;
Qu’ainsi, le défaut d’information de l’utilisateur du moteur de recherche Google quant aux “Recherches associées" et le caractère imparfait de l’information donnée sur la “Saisie semi-automatique“, caractérisent la négligence de l’exploitant, au sens de l’article 1383 du code civil ».
La seconde faute retenue contre Google a consisté dans le fait d’avoir refusé de supprimer ces suggestions litigeuses.
Sur ce point, le tribunal a jugé « Qu’en effet, les défendeurs ne pouvaient refuser de supprimer ces suggestions qui associaient le nom de Bruno L. à une secte et à un qualificatif évoquant une infraction pénale, en se bornant, dans le courrier en date du 15 février 2011 adressé par la société Google France, au nom de la société Google Inc., à invoquer la circonstance que l’apparition de ces “termes de recherche” est “totalement automatique et dépend des requêtes les plus populaires effectuées par les utilisateurs” et qu’il s‘agit simplement d‘un fait statistique que la fonctionnalité “saisie semi-automatique” ne fait que refléter”, dès lors que l’exploitant de ces “fonctionnalités” était à l’initiative de ces suggestions, avait la possibilité de les supprimer et était informé des conséquences préjudiciables pour le demandeur de telles suggestions ; que ce refus, au seul motif du caractère “automatique” et “statistique” de ces suggestions, caractérise la faute commise au sens de l’article 1382 du code civil ; …
Que le préjudice moral de Bruno L. peut être évalué à la somme de 4000 € compte tenu de la durée pendant laquelle ces suggestions ont été affichées, la première demande de suppression datant du mois de janvier 2011, et compte tenu également du fait que les propos litigieux figurent, non seulement sur le système de “Saisie semi-automatique“, mais également sur la page de résultats, dans la rubrique “Recherches associées” ;
Qu’il doit, en outre, être fait droit à la demande de suppression, sous astreinte dans les conditions précisées dans le dispositif, des suggestions litigieuses, mesure qui ne fait nullement obstacle à la possibilité pour les internautes intéressés de saisir comme sujet de recherche les termes “bruno l. escroc” et “bruno l. secte” ».
Bien que cette décision ne soit pas fondamentalement nouvelle, elle aura une portée importante en matière d’atteinte à la réputation par les moteurs de recherches.
En effet, déjà le 15 février 2012, le Tribunal de grande instance de Paris a ordonné à la société Google Inc. de prendre toute mesure pour supprimer des suggestions apparaissant sur le service “Prévisions de recherche” ou “service de saisie semi-automatique" à la saisie sur le moteur de recherche Google par les internautes des lettres “kriss l” ou "kriss laure“, l'expression “kriss laure secte” (Tribunal de grande instance de Paris, 17ème chambre, 15 février 2012, Kriss Laure / Larry P., Google Inc.).
Ce jugement va tout de même plus loin dans la réflexion juridique et les fondements susceptibles de permettre la suppression des référencements attentatoires à la réputation par les moteurs de recherche sur internet en tant que tels.
Pour conclure, concrètement, ce jugement permet d’assurer aux personnes physiques une protection plus large contre les atteintes à la réputation sur internet via les moteurs de recherche et plus particulièrement à cause de leurs outils de recherche tels que les suggestions automatiques, prévisions de recherche, service de saisie semi automatique, recherches associées, etc …
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Anthony Bem
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