I - Les précédents où les réseaux sociaux ont été utilisés par les employeurs contre leurs salariés
- La première affaire est celle, en 2006, de Catherine Sanderson, secrétaire le jour, blogueuse racontant sa vie intime la nuit sur un blog mais qui a été licenciée par son employeur pour avoir terni l’image de l’entreprise en partageant sur la toile ses frustrations intimes et professionnelles. Or, elle tenait ce blog de façon anonyme et n’a jamais cité nommément son entreprise. Elle a finalement été indemnisée par le Conseil des Prud’hommes et a publié un livre.
- En octobre 2006, Stéphanie Gonier, ex salariée de Nissan, a été poursuivie pour injure et diffamation par son ancien employeur pour des propos tenus sur son blog visant à raconter ce qu’elle considère comme une mise au placard, après son retour de congé parental, puis son licenciement et la mise en ligne de courriers échangés avec sa direction sur lesquels des noms apparaissaient. Elle a été condamnée pénalement et a été déboutée de ses demandes par le Conseil des Prud’hommes.
- En octobre 2007, Kevin Colvin, stagiaire à l'Anglo Irish Bank, a été remercié par son employeur suite à l’envoi d’un courriel à son supérieur afin de l’informer d’un "évènement familial" l’empêchant de venir travailler alors que le lendemain ce dernier a découvert sur son profil Facebook des photographies du stagiaire déguisé en fée lors d’une soirée d’Halloween arrosée.
- En novembre 2008, des employés de Michelin qui avaient critiqué leur employeur sur le site de réseau social, Copains-d'avant, ont été licencié pour avoir dit : « Boulot de bagnard », « exploitateur », "Production, production, mais fiche de paie toujours pareil".
- En décembre 2008, trois salariées de la société Alten ont critiqué sur Facebook leur hiérarchie et la direction des ressources humaines. Une “amie” commune sur Facebook et aussi employée de cette société a communiqué leur conversation à la direction qui les a licencié pour « incitation à la rébellion et dénigrement ». Deux des salariées d’Alten ont porté l’affaire devant les prud’hommes qui devrait rendre sa décision courant 2011.
- En 2009, une candidate à un poste chez Cisco qui avait twitté ses doutes sur son futur job n'a pas été recrutée.
- La même année, une utilisatrice de Facebook a été licenciée par son employeur suisse pour avoir posté sur le réseau social du contenu durant son congé maladie alors que celle-ci était en arrêt maladie pour cause de migraine, l'obligeant à rester dans le noir et l'empêchant de travailler sur écran.
- Courant 2010, trois salariées de l’association SOS Femmes en Dordogne ont été licenciées pour faute lourde par leur employeur à la suite de messages laissés sur leur « mur Facebook ». Elles ont saisi le Conseil des prud’hommes, qui se prononcera en mars 2011. L’employeur de son côté a aussi déposé une plainte pour menaces de mort et incitation à la haine auprès du Procureur de la République de Périgueux.
II - Le cadre juridique des contenus mis en ligne par les salariés
Internet n'est pas totalement une zone de non droit où tout serait virtuel et permis.
Bien au contraire, dans l'attente des interventions législtative et jurisprudentielle, le cadre juridique des propos mis en ligne par les internautes et susceptibles d'être utilisés par les employeurs à l’encontre de leurs salariés est notamment fixé par :
Le droit au respect de la vie privée des salariés (2.1)
La liberté d'expression des salariés (2.2)
Le devoir de réserve des salariés à l’égard de leurs employeurs (2.3)
La loyauté de la preuve (sauf en matière pénale) : la violation des correspondances privées par les employeurs (2.4)
Les infractions pénales d'injure et de diffamation commis par les salariés (2.5)
Les modalités de preuve sur internet (2.6)
2.1 - Le droit au respect de la vie privée des salariés
L’article 9 du Code civil dispose que « chacun a droit au respect de sa vie privée ».
L’article 8 de la Convention Européenne de sauvegarde des droits de l’Homme prévoit que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ».
Ainsi, en principe, un fait relevant de la vie privée ne peut jamais faire l'objet d'une sanction.
Cependant, la cour de cassation a jugé que des faits relevant de la vie privée, tels que des conversations privées, peuvent être sanctionnés par l'employeur s'ils ont un lien avec l’activité professionnelle et qu'ils causent un trouble objectif à l'entreprise (Cass. Soc., 16 décembre 1997, N° de pourvoi : 95-41326 ; Cass. Soc., du 16 décembre 1998, N° de pourvoi 96-43540 et Cass. Soc., 6 février 2002. N° de pourvoi : 99-45418)
Pour autant, l’employeur ne peut sanctionner disciplinairement un salaire pour un fait appartenant à sa sphère privée, il peut seulement prendre une mesure permettant de faire cesser le trouble litigieux.
2.2 - La liberté d’expression des salariés
La liberté d’expression est prévue par :
- L'article 19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme qui dispose que :
« Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit. »
- L’article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 selon lequel :
« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. »,
- L'article L. 2281-1 du code du travail garantit la liberté d’expression des salariés concernant « le contenu, les conditions d'exercice et l'organisation de leur travail ».
A ce jour, en France, aucune jurisprudence n’a été rendue concernant les réseaux sociaux de sorte que nous ne connaissons pas les limites de cette liberté.
2.3 -Le devoir de réserve des salariés à l’égard de leurs employeurs
L’article 23 de la loi de 1983 relative à la fonction publique impose un impératif de discrétion professionnelle et d’obéissance hiérarchique.
Cette règle s'applique aussi dans le secteur privé aux salariés des entreprises privées en vertu de l’article 1134 alinéa 3 du code civil.
La cour d'appel de Montpellier a ainsi jugé en janvier 2008 que le grief tenant au non-respect du “devoir de réserve” était caractérisé par le fait que le salarié, pendant ses horaires de travail, avait exposé à des tiers les différends qui l’opposaient à son employeur.
De même, les cadres supérieurs des entreprises sont tenus d’une obligation de loyauté et de réserve envers leurs employeurs qui est appréciées au cas par cas par la juge en fonction de la taille de la société, de la proximité relationnelle entre les dirigeants et les cadres.
2.4 - La loyauté de la preuve et la violation du secret des correspondances privées
Les réseaux sociaux comme Facebook sont des lieux privés ouverts au public.
L’accès aux informations personnelles est en principe restreint aux seules personnes liées entre elles dans cette communauté, et donc liées par une communauté d’intérêt.
Or, la jurisprudence définit les propos publics comme ceux échangés entre des personnes n’étant pas liées entre elles par une communauté d’intérêt (Cass. Crim 24 janvier 1995 ; Cass.civ. 23 septembre 1999)
De plus, la cour d’appel de Paris a jugé qu’une correspondance échangée entre un « nombre restreint de destinataires » connus personnellement par l’auteur ou les auteurs a un caractère privé (CA Paris, 11e ch. Corr., 2 juillet 2008).
Ainsi, si les conversations virtuelles sur les réseaux sociaux tels que Facebook venaient à être considérées comme de nature privée par les juges, les employeurs n’auraient pas le droit de les utiliser à l’encontre de leurs salariés.
A défaut, il pourrait leur être opposé par les salariés la violation du secret des correspondances privée, délit prévu et réprimé par les articles 226-15 et 432-9 du code pénal.
Un problème subsiste concernant les informations mises en ligne sur les réseaux sociaux car celles-ci peuvent être utilisées et diffusées à l’insu de leur auteur par ses contacts et ses « amis d'amis ».
2.5 - Les infractions pénales d'injure et de diffamation commis par les salariés
La diffamation publique est un délit de presse, soumis au régime de la loi sur la Liberté de la presse du 29 juillet 1881 et au juge pénal.
La diffamation est définie par l’article 29 alinéa 1 de la loi sur le Liberté de la Presse du 29 juillet 1881 comme :
"Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé".
Le fait que l'infraction soit commise sur le réseau internet, un blog, un forum de discussion, un réseau social, etc … caractèrise le caractère public de l'infraction et rend donc possible la poursuite en justice de l'auteur des propos diffamatoires.
L'article 32 de la loi sur la Liberté de la presse du 29 juillet 1881 sanctionne la diffamation publique envers les particuliers d'une amende de 12 000 €. L'article R. 621-1 du Code pénal sanctionne la diffamation non publique d’une amende prévue pour les contraventions de la première classe soit 38 € au plus.
Le délai de prescription de l’action en diffamation est en principe de trois mois, peu importe que les propos litigieux soient diffusés sur Internet, dans la presse écrite, à la radio ou à la télévision.
En matière de diffamation sur internet, il importera de rapporter la preuve de la date de diffusion des propos litigieux.
Or, le point de départ du message doit être fixé à la date du premier acte de publication.
Cette date correspond à celle à laquelle le message a été mis à la disposition des utilisateurs du réseau et fait courir le délai de prescription (Cass. Crim., 16 octobre 2001)
Il y a atteinte à l'honneur dès lors que l'on impute à une personne la commission d'une infraction, un acte contraire à la morale, à la probité ou aux bonnes mœurs.
La vérité des faits diffamatoires peut toujours être prouvée, sauf :
- Lorsque l'imputation concerne la vie privée de la personne ;
- Lorsque l'imputation se réfère à des faits qui remontent à plus de dix années ;
- Lorsque l'imputation se réfère à un fait constituant une infraction amnistiée ou prescrite, ou qui a donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la revision.
Si la preuve de la vérité est rapportée, les poursuites seront irrecevables.
2.6 - Les modalités de preuve sur internet
La liste des formalités techniques à réaliser avant de constater des faits ou du contenu litigieux sur internet nécessite de véritable connaissance en informatique.
Les pré-requis techniques à respecter avant de procéder à des constatations en ligne sont :
Mentionner l’adresse IP de l’ordinateur ayant servi aux constatations.
En effet, l’adresse IP « permet en cas de litige de vérifier au moyen du journal de connexion du serveur interrogé les pages réellement consultées pendant les opérations de constat ».
Vider le système de cache du logiciel de navigation utilisé entre chaque connexion à un nouveau site internet.
En effet, le non-respect de cette procédure ne permet pas d’écarter « l’hypothèse selon laquelle ce sont des pages web situées dans les caches de l’ordinateur qui ont, en fait, été consultées ».
Vider les autres systèmes de « cache » de l’ordinateur tels que l’historique des saisies ou le fichier des cookies.
Déconnecter l’ordinateur de tout serveur proxy utilisé pour les constatations.
En effet, le serveur proxy « peut permettre l’accès à des pages web qui n’existent pas ou qui n’existent plus sur le site cible à la date des constatations ».
Imprimer les copies d’écran au fur et à mesure des constatations.
Décrire le type d’ordinateur sur lequel l’huissier de justice ou l’expert a opéré ses constatations, son système d’exploitation et son navigateur.
Vérifier la synchronisation de l’horloge interne.
Ces règles s’imposent à toute personne procédant à des constatations en ligne, quelle que soit sa qualité huissier de justice, agents assermentés de l’Agence de protection des programmes ou du Celog.
Or, je me permets d'attirer l'attention de chacun sur le fait que nombre d'huissier de justice s'improvisent expert informatique afin de faire face aux demandes de plus en plus nombreuses de constats Internet mais sans avoir les compétences techniques requises à cet effet.
Mais, s’agissant de Facebook et des forums de discussion, un problème supplémentaire se pose.
En effet, souvent la victime d’une atteinte à sa réputation n’est pas un « ami » Facebook de l’auteur des contenus litigieux ou membre du forum de discussion.
Ainsi, la victime a souvent accès aux pages Internet litigieuses par l’utilisation du compte Facebook d’un tiers ou grâce à l'emploi des identifiants d'un membre tiers au forum de discussion.
Dans ce contexte, les huissiers de justice ont tendance à refuser de procéder au constat Internet en s’interdisant l’accès aux sites Internet via des identifiants de personnes tierces car ils estiment frauduleux ce procédé en vertu du principe de loyauté dans la recherche de la preuve interdisant l'utilisation de procédés déloyaux, de ruses ou de stratagèmes en vue de réunir des éléments de preuve.
Pour ma part, cette vision des choses est fausse car en matière de preuve administrée par une partie, la loyauté de la preuve n'est pas exigée dès lors qu'elle peut faire l’objet d’un débat contradictoire.
Or le débat contradictoire pourra bien avoir lieu dans le cadre de la procédure judiciaire à mener aux fins de retrait, d'interdiction, de sanction et d'indemnisation des préjudices subis.
Dans la droite lignée de cette règle, la cour de cassation a d’ailleurs admis comme preuve les enregistrements téléphoniques réalisés par un particulier à l'insu de l'auteur (Cass. Crim. 30 mars 1999) ou encore les opérations de testing réalisées par l'association SOS Racisme servant à établir l’existence d’acte racisme ou discriminatoire (Cass. Crim., 11 juin 2002).
Certains huissiers compétents sont donc à même de pouvoir constater les propos et contenus illicites présents sur des forums de discussion ou le site Internet de Facebook.
III – L’avenir : une "charte de blogging" ou charte Internet de l’entreprise
Pour parer à tout risque, les entreprises commencent à se doter d’une « charte de blogging » aussi dénommée chez nos amis anglophones « Social Media Policy ».
A titre d’exemples, aux termes de ces chartes :
- Les sociétés d’IBM, Cisco ou Intel imposent à leurs salariés de préciser qu’ils s’expriment en leur nom et non en celui de leur entreprise.
- La société Singapore Airlines demande à leurs hôtesses de ne pas évoquer leur travail sur les réseaux sociaux.
- La BBC interdit à ses journalistes d’afficher leurs convictions politiques en ligne.
De manière générale, ce type de charte vise à rappeler les impératifs juridiques et règles de bonne conduite que doivent respecter les salariés.
Reste à savoir comment ces dispositions réglementaires internes seront perçues et appliquées par les juges.
Conclusion ;
Légalement, les salariés ont le droit de critiquer leurs employeurs dans la limite de l’obligation de loyauté, de l’injure et de la diffamation.
Cependant, tout dépend de la nature des propos et du contexte dans lequel ils ont été tenus.
L’employeur ne peut sanctionner un salarié pour des éléments tirés de sa vie privée, d’une correspondance privée ou en violation de la loyauté de la preuve.
Dans ce contexte, jusqu'à nouvel ordre, les internautes doivent être prudents et s’éviter de publier sur les réseaux sociaux et sur Facebook afin de ne pas risquer à cet égard de recevoir une convocation à un entretien préalable de licenciement de la part de leur employeur.
Je suis à votre disposition pour toute information ou action.
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Anthony Bem
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