Certaines jurisprudences importantes de la cour de cassation passent curieusement relativement inaperçues et sont peu commentées voir inconnues même de la part des experts en droit bancaire.
Il en est notamment ainsi, s’agissant d’un arrêt intéressant de la cour de cassation qui a posé le principe de la responsabilité du banquier dispensateur de crédit en cas de financement d’une opération dépourvue de viabilité.
En effet, le 7 janvier 2004, la Cour de cassation a jugé que le banquier commet une faute et peut voir sa responsabilité mise en jeu en cas de financement d’une opération immobilière dépourvue de viabilité (Cour de cassation, chambre commerciale, 7 janvier 2004, n° de pourvoi: 01-11947)
Pour mémoire, la jurisprudence a forgé au gré des décisions de justice rendues depuis une vingtaine d’années de multiples obligations envers leurs clients comme celles d’information, de conseil, de renseignement et de se renseigner sur la situation de ses clients.
En l’espèce, la banque Crédit Agricole a consenti à une société, marchand de biens, un prêt relais, dans le cadre d’une opération d’acquisition, de rénovation et de revente d’un bien immobilier.
Le remboursement de ce prêt était garanti par une caution solidaire et hypothécaire de la part d’une personne physique tierce.
Or, à défaut de possibilité de remboursement du prêt à l’échéance, le professionnel a négocié et obtenu de la banque qu’elle proroge le remboursement du crédit-relais d’une année, en contrepartie, d’une hypothèque sur le bien acquis par la société et du renouvellement de la caution hypothécaire.
Malgré tout, la société n’a toujours pas pu être en mesure de rembourser le crédit à l’échéance renégociée et a été mise en liquidation judiciaire.
Dans ce contexte, la caution a assigné la banque pour ne pas l’avoir prévenue du péril financier de l’opération immobilière et afin d’obtenir sa condamnation au paiement de dommages-intérêts.
Les juges d’appel ont condamné la banque au paiement de dommages-intérêts à la caution, estimant que le crédit relais n’avait été consenti qu’en considération des garanties hypothécaires offertes par la caution et non au regard des facultés de remboursement de la société emprunteuse ou de ses perspectives de croissance.
Néanmoins, la Cour de cassation a annulé la décision d’appel car les juges d’appel n’avaient pas cru devoir constater qu'au moment de son octroi, le crédit-relais avait été accordé, à un marchand de biens, pour financer une opération immobilière dépourvue de toute viabilité
La cour de cassation a en effet jugé :
« qu’en se déterminant ainsi sans constater qu’au moment de son octroi, le crédit relais accordé à un marchand de biens, était destiné à financer une opération immobilière dépourvue de viabilité, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ».
Ce faisant, la Haute Cour impose aux juges de toujours vérifier la viabilité économique de l’opération immobilière financée et ce, même à l’égard des marchands de biens.
Concrètement, le banquier doit pouvoir être en mesure de justifier avoir analysé les facultés de remboursement de la société bénéficiaire du prêt ou ses perspectives de croissance pour ne pas risquer d’engager sa responsabilité pour faute.
Il convient aussi, de relever avec intérêt qu’il importe peu que le remboursement du crédit accordé soit garanti par des hypothèques pour condamner une banque au paiement de dommages-intérêts au profit d'une caution, en cas de financement d’une opération qui n’est pas viable.
Le banquier dispensateur de crédit ne peut donc pas se cacher utilement derrière le paravent de son obligation de non immixtion dans les affaires de son client.
En conséquence, malgré l’obligation de non immixtion du banquier dans les affaires et les comptes de son client, le professionnel du crédit est tenu envers tous ses clients d’analyser la viabilité des opérations immobilières qu’il doit financer, sauf à engager sa responsabilité et payer des dommages-intérêts en réparation des préjudices subis.
Cette décision ouvre donc la possibilité aux clients victimes de déconvenues dans le cadre de leur opération immobilière d’invoquer la faute du banquier pour ne pas les avoir prévenu du risque de péril de leur projet ou que l’opération est mort-née.
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Anthony Bem
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