Antérieurement à la loi no 2004-575 du 21 juin 2004 dite loi pour la confiance dans l'économie numérique (ci-après dénommée LCEN), les juges ont eu à se prononcer au sujet de la responsabilité encourue par les gestionnaires de forum de discussion.
Le tribunal de grande instance de Paris a jugé, aux termes d’une ordonnance du 18 février 2002, que la société Finance Net qui édite le site Boursorama, sur le forum duquel des messages diffamatoires et injurieux à l'encontre de la société Telecom City ont été postés, « doit être considérée comme assurant sur ce point le stockage direct et permanent pour mise à disposition du public de messages au sens de l'article 43-8 de la loi du 30 septembre 1986 ». (TGI Paris, 18 févr. 2002, SA Telecom City c/ SA Finance Net).
Par ailleurs, le Tribunal de grande instance de Lyon a condamné à d'importants dommages et intérêts les deux éditeurs du site « defense-consommateur.org » sur le forum duquel ont été portés des propos diffamatoires, injurieux et dénigrants à l'encontre de la société Pere-Noel.fr (TGI Lyon, 28 mai 2002, SA Pere-Noel.fr c/ M.F. M. et Mlle E. C.).
Ces décisions ont soulevées de nombreuses interrogations sur le plan de la responsabilité civile et pénale encourue, non seulement par les gestionnaires de forums de discussion, mais aussi par les modérateurs dont la fonction est de filtrer ou de supprimer les messages qui ne répondent pas à certains critères prédéfinis.
L'article 6 de la LCEN, qui définit les cas dans lesquels les hébergeurs engagent leur responsabilité civile et pénale, a été mis en œuvre pour la première fois dans un jugement du Tribunal de grande instance de Lyon (TGI Lyon, 14e ch., 21 juill. 2005, Groupe Macé c/ Gilbert D.).
Les juges Lyonnais constaté que le forum de discussion était, en l'espèce, modéré a posteriori, et que celui-ci ne disposait pas « de la capacité à prendre connaissance des messages avant la communication au public » et ont donc jugé que l'activité d'hébergement prévue par l’article 6.I.2 de la LCEN ne se limite pas à la prestation purement technique mais concerne « l'ensemble des “fonctions d'intermédiation” qui ne relèvent pas du simple transfert d'information ».
La Cour d'appel de Versailles a confirmée ce principe en jugeant que les dispositions de l'article 6.I.2 de la LCEN devaient être appliquées « aux organisateurs de forums non modérés ou modérés a posteriori » (CA Versailles, 12 déc. 2007, Sté Les arnaques.com et a. c/ Sté Éditions régionales de France).
Le choix du type de modération exercée sur les forums de discussion est fondamental quant aux conséquences juridiques et aux responsabilités encourues par les gestionnaires de ces forums :
- Lorsque la modération est exercée a priori, les tribunaux appliquent le régime de responsabilité de plein droit de l’éditeur de contenu ;
- Lorsque la modération est exercée a posteriori, les tribunaux appliquent le régime de responsabilité sous condition de plein droit de l’hébergeur de contenu.
En effet s’agissant du régime de responsabilité de l’hébergeur, les dispositions de l'article 6.1.5 de la LCEN prévoit une procédure de notification destinée à apporter à celui-ci la connaissance d'un contenu litigieux, dans le but qu’il procède à son retrait s'il le considère comme présentant un caractère « manifestement illicite ».
Ainsi, à défaut de tout contrôle ou de sélection sur les contenus potentiellement contrefaisants ou illicites, les hébergeurs de contenus sont irresponsables à défaut :
- d’avoir reçu une notification en bonne et due forme ,
- de retirer un contenu « manifestement illicite »,
- et avec promptitude ;
A cet égard, sur le fondement des articles 6-1-3 et 6-1-5 de la loi du 21 juin 2004, la 3e chambre du tribunal de grande instance de Paris a rappelé, aux termes d’un jugement « Syndicat national de l’édition et a. c/ Sté Free et autres » du 5 février 2008, que :
« il revient à la personne qui prétend que ses droits sont bafoués de notifier au fournisseur d’accès la description des faits litigieux et leur localisation précise, les motifs pour lesquels le contenu doit être retiré comprenant la mention des dispositions légales et des justifications des faits, la copie de la correspondance adressée à l’auteur ou à l’éditeur des informations ou activités litigieuses demandant leur interruption, leur retrait, leur modification ou la justification de ce que l’auteur ou l’éditeur n’a pu être contacté ».
Plus récemment, le tribunal de grande instance de Paris a jugé que :
« La connaissance effective du caractère manifestement illicite d'une atteinte aux droits patrimoniaux ou moraux des auteurs ou producteurs ne relève d'aucune connaissance préalable et nécessite de la part des victimes de la contrefaçon qu'ils portent à la connaissance de la société qui héberge les sites des internautes, les droits qu'ils estiment bafoués, dans les conditions prévues à l'article 6.I.5 de la loi du 21 juin 2004 » (TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 15 avr. 2008, Omar S., Fred T. et a. c/ Dailymotion ;TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 22 sept. 2009, ADAMI, Omar S., Fred T. et a. c/ Sté Youtube).
Le fait de ne pas recourir à la procédure de notification ou de ne pas en respecter le formalisme de l'article 6.1.5 de la LCEN a été sanctionné à de nombreuses reprises par la jurisprudence et conduit à ce que les hébergeurs soit déclarés irresponsables (TGI Paris, référé, 19 oct. 2006, Mme H.P. c/ Google France ; CA Paris, 11e ch., 8 nov. 2006 ; TGI Paris, réf., 20 oct. 2007, Marianne B. et a. c/ Wikimedia Foundation ; TGI Paris, 17e ch., 13 oct. 2008, Bachjar K., Anne G. épouse K. c/ SAS 20 Minutes ; T. com. Paris, 16e ch., 27 avr. 2009, Davis Film c/ Dailymotion).
De plus, il est important de souligner que le simple respect des formes prescrites n'entraîne pas obligation pour l'hébergeur de retirer le contenu dénoncé si le caractère illicite de ce contenu ne serait pas manifeste.
Selon la Cour d'appel de Paris, l'hébergeur doit, en effet, « lorsqu'il se voit dénoncer des données dont le contenu est déclaré illicite (…) apprécier si un tel contenu a un caractère manifestement illicite et, dans cette hypothèse, supprimer ou rendre inaccessible de telles données » (CA Paris, 14e ch., sect. A, 12 déc. 2007, Google Inc. et Google France c/ Benetton Group et Bencom).
Plus récemment, le Tribunal de grande instance de Paris a estimé que l'hébergeur « pouvait, en tout état de cause, compte tenu de ce que seules des diffamations ou injures envers un particulier étaient susceptibles d'être caractérisées dans les textes litigieux, estimer qu'il convenait de laisser à leur auteur la possibilité de justifier du contenu de ses écrits » (TGI Paris, réf., 16 juin 2008, Paris Promotion c/ JFG Networks et a.).
Pour résumer, il convient donc de distinguer deux situations distinctes :
- La première : en présence d'infractions réputées comme étant manifestement illicites selon l'article 6.I.7 alinéa 3 de la LCEN, à savoir : la répression de l'apologie des crimes contre l'humanité, de l'incitation à la haine raciale ou encore de la pornographie enfantine, l'hébergeur est tenu d'informer promptement les autorités publiques compétentes lorsqu'elles lui sont « signalées », sans que la notification prévue à l’article 6.I.5 de la LCEN soit nécessaire ;
- La seconde : en présence d’une violation du droit à l’image, de droits d’auteur, en cas de contrefaçon ou d’atteinte à la vie privée, le respect du formalisme de la notification prévue à l'article 6.1.5 de la LCEN est nécessaire.
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Anthony Bem
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