A titre liminaire, il convient de garder en mémoire que le marché boursier dit à règlement différé (SRD) concerne les valeurs qui appartiennent à l'indice SBF120, dont la capitalisation dépasse un milliard d'euros et le volume quotidien de transactions excède un million d'euros.
La particularité de ces valeurs est que le dénouement des opérations boursières (paiement pour des achats ou encaissement pour des ventes) ne se fait qu'à la fin du mois boursier.
Ainsi, concrètement, il est possible d’acheter et de vendre la même action durant le mois boursier sans avoir à débourser des liquidités, l’encaissement des liquidités ne se fera que si le prix de vente est supérieur au prix d'achat tandis que si le prix d'achat est supérieur au prix de vente il faudra payer la différence.
Autrement dit, entre la date d'achat et la date de vente, l’investisseur bénéficie d'un crédit.
De plus et surtout, le SRD permet d'acheter des titres pour une valeur supérieure au montant de ses liquidités du fait des effets de levier ce qui dans certains cas peut s’avérer financièrement périlleux et préjudiciable pour certains clients.
En l'espèce, Monsieur X a souscrit auprès de la société DUBUS une convention d’ouverture de compte de dépôt ordinaire lui offrant la possibilité de passer des ordres sur le marché à règlement différé et d’y conclure des achats et ventes de titres dits “à découvert”.
Ces ordres sont régis par la Décision Générale du Conseil des Marchés Financiers (C.M.F.) n°2000-04 qui fixe les seuils minimaux de couverture exigibles pour ce type d’opérations.
Aux termes de ladite convention, il a passé des ordres fréquents, souvent plusieurs dans la même journée, pour acquérir ou vendre diverses valeurs mobilières sur le marché du règlement mensuel telles qu’UBISOFT, INGENICO, SELF TRADE, THOMSON, LVMH, EQUANT, INFOGRAMES, LIBERTY, SURF, HIMALAYA.
Mais son portefeuille s'est dégradé de manière sensible au point que ses positions, reportées de mois en mois avec l’accord de la société DUBUS qui acceptait de différer la liquidation des opérations laissées en suspens n’étaient dès lors plus couvertes dans les proportions prescrites par le Règlement général du Conseil des Marchés Financiers puis par la décision C.M.F. n°2000-04, de 20 % en espèces, 25 % en obligations ou 40 % en titres de capital.
Compte tenu de l’insuffisance de couverture des engagements pris par Monsieur X, la société DUBUS a adressé à son client une lettre de relance faisant état d’un avoir réalisable négatif, autrement dit un découvert et lui a demandé de régulariser ses positions.
La société DUBUS a donc assigné Monsieur X en paiement de sa dette et a obtenu gain de cause de la part du tribunal et de la cour d’appel
En effet, selon la cour d'appel, pendant la période des reports successifs des opérations à règlement différé effectuées par M. X, la société Dubus s’est trouvée propriétaire des titres achetés par son donneur d’ordre et détentrice du prix de vente des titres cédés dont celui-ci repoussait le paiement ou la livraison.
De plus, les juges d’appel ont considéré que malgré que M. X était informé en permanence de la situation de son compte il avait délibérément choisi de reporter la liquidation de ses positions dans l’attente d’une conjoncture boursière plus favorable.
Ainsi, la cour d'appel avait exonéré partiellement la société Dubus de sa responsabilité au titre de l’insuffisance de couverture des positions.
Mais, la cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt rendu par la cour d’appel en reprochant à l’entreprise d’investissement d’avoir attendu que son client reconstituât la couverture pour dénouer les opérations en cours :
« le prestataire de services d’investissement intervenant pour le compte d’un donneur d’ordre sur le marché à règlement différé est tenu, même sans ordre de liquidation et nonobstant tout ordre contraire de ce dernier, de liquider les positions de son client lorsque celui-ci n’a pas, le lendemain du dernier jour de la liquidation mensuelle, remis les titres ou les fonds nécessaires à la livraison des instruments financiers vendus ou au paiement des instruments financiers achetés, une telle liquidation d’office devant également avoir lieu lorsque les positions du donneur d’ordre ont été reportées et que celui-ci n’a pas, avant la même date, réglé son solde débiteur et constitué ou complété la couverture afférente à l’opération de report ».
De plus, la cour de cassation a imputé la faute de M. X sur l’entreprise d’investissement en estimant que la faute du demandeur « n’aurait pu être commise en l’absence de celle de la société Dubus ».
En effet, en s’abstenant de liquider les positions de son client comme les règles du marché le lui commandaient au cas où l’intéressé omettrait de régulariser sa situation, l’entreprise d’investissement a elle-même commis une faute dont elle doit répondre et permit l’aggravation du solde débiteur qui en est résultée.
Ainsi, à partir du moment où une position est insuffisamment couverte, la société intermédiaire de bourse doit aussitôt la liquider et ne pas laisser s’accumuler le solde négatif, au risque de ne pas pouvoir prétendre à être indemnisée d’un préjudice dont la cause réside dans sa propre faute et de devoir supporter le dommage occasionné à son client.
Grâce à une telle décision, les clients des sociétés de bourse intervenants sur le marché à règlement différé disposent d’une protection jurisprudentielle supplémentaire leur permettant le cas échéant de faire prendre en charge leurs pertes par ces sociétés.
Enfin, il convient de relever avec intérêt que la Haute Cour a protégé les intérêts de l’investisseur alors même qu’il avait souscrit une convention d’ouverture de compte aux termes de laquelle il avait :
- opté pour la possibilité de passer lui-même des ordres à la société de bourse plutôt que de confier à celle-ci la gestion de son portefeuille ;
- déclaré avoir des connaissances suffisantes, boursières et techniques, pour pratiquer la vente à découvert et “passer des ordres en direct avec ou sans fil sur les marchés boursiers” ;
- certifié avoir pris connaissance des règles relatives à la couverture des positions qu’il était susceptible de prendre sur les différents marchés.
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Anthony Bem
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