Le 21 novembre 2013, la Cour d'appel de Paris a sanctionné les propos jetant le discrédit sur une société sur internet par le dénigrement et non la diffamation étendant les limites à la liberté d'expression. (CA Paris, Pôle 1 - Chambre 2, 21 novembre 2013, Numéro RG : 12/23396).
En l'espèce, la société AIGLE AZUR est une compagnie aérienne française qui dessert notamment l’Algérie.
Le Conseil National de l’Immigration (CNI), association relevant de la loi de 1901, qui a notamment pour objet de représenter et organiser la défense des intérêts de la communauté algérienne établie en France dénonçait sur internet la cherté du prix des billets d’avion à destination de l’Algérie.
La société AIGLE AZUR a reproché des propos constitutifs d’actes de dénigrement au CNI, ainsi qu’aux représentants d'un autre groupement et les a assignés devant le juge des référés pour faire interdire de telles publications.
En effet, aux termes des propos litigieux, les auteurs :
- prétendaient notamment avoir saisi l'Autorité de la concurrence et l'IATA, pour lutter contre les prix pratiqués par AIGLE AZUR ;
- appelaient à manifester et au boycott des services d’AIGLE AZUR.
Concrètement, un communiqué de presse évoquait une prétendue plainte en justice et la requête auprès de l’IATA contre les compagnies AIR ALGERIE et AIGLE AZUR qu’ils accusaient d’ « entente commerciale illicite ».
Les propos ont été renouvelés dans un autre communiqué qui indiquait : « le délibéré vient de tomber, AIGLE AZUR déboutée et condamnée à nous verser 15 000 euros (article 700) ça ouvre un boulevard pour le prochain procès que nous faisons contre AIR ALGERIE et AIGLE AZUR pour entente commerciale illicite ».
Dans un premier temps, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a débouté la société AIGLE AZUR de ses demandes de voir cesser tout propos dénigrant et être indemnisée des préjudices subis.
La société AIGLE AZUR a interjeté appel de l’ordonnance de référé devant la cour d’appel de Paris.
Selon la cour d'appel de Paris, le juge des référés a eu tort de juger qu'il n'y avait pas de comportement déloyal de nature à jeter le discrédit sur la société AIGLE AZUR.
Ainsi, la cour A tranché la question de savoir si la société AIGLE AZUR « aurait été plus inspirée d’engager des poursuites sur la base de la loi du 29 juillet 1881 plutôt que sur la base de l’article 1382 du code civil ».
C'est une question de droit intéressante en matière de liberté d'expression des clients sur les produits, prestations, services, marques ou sociétés en général.
En effet, pour mémoire, l’action en dénigrement, fondée sur le droit commun et l’article 1382 du code civil, est applicable aux publications de critiques négatives, propos ou commentaires concernant des produits et services.
La diffamation, prévue et réprimée par la loi de 1881 sur la liberté de la presse, son bref délai de prescription de 3 mois et son action truffée de causes de nullité ne sont pas applicables.
De plus, selon l’article 809, alinéa 1er, du code de procédure civile, le juge des référés peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Les juges d'appel ont défini le " dénigrement fautif " comme :
« un comportement déloyal consistant à répandre des appréciations touchant les produits, les services ou les prestations d’une entreprise lorsqu’elles portent atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne physique ou morale qui l’exploite ».
Sous forme de principe, les propos deviennent abusifs lorsqu'ils ne sont ni mesurés ni objectifs et témoignent d’une animosité personnelle de leurs auteurs.
Ainsi, toutes les appréciations touchant les produits, les services ou les prestations d’une entreprise lorsqu’elles portent atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne physique ou morale qui l’exploite sont sanctionnables sur le fondement du dénigrement.
Les illustrations d'atteinte à la réputation sont nombreuses.
Avec une telle décision, les recours en justice contre les atteintes à la réputation des professionnels bénéficient d'un fondement juridique idéal et se développeront davantage.
Les limites à la liberté d'expression sont donc de plus en plus nombreuses.
A l'heure de l'Internet généralisé et où les commentaires et les faux avis de consommateurs posent de plus en plus de problèmes aux professionnels victimes d'atteinte à leur E-réputation, réputation numérique ou cyber-réputation, cet arrêt leur offre une faculté d'action supplémentaire pour :
- faire supprimer les commentaires et les avis dénigrants ;
- se faire indemniser des préjudices subi au titre de la mauvaise image véhiculée.
Au cas présent, la prétendue plainte contre la société AIGLE AZUR a été jugée comme fautive par la cour d'appel.
L'arrêt pose ainsi les principes selon lesquels :
- « la dénonciation faite à la clientèle d'une action n'ayant pas donné lieu à une décision de justice » est fautive.
- « les propos deviennent abusifs lorsqu'ils ne sont ni mesurés ni objectifs et témoignent d’une animosité personnelle de leurs auteurs ».
Autrement dit, écrire qu'une prétendue plainte ou de manière générale qu'une prétendue procédure judiciaire est en cours est fautif et peut entraîner des sanctions à l'encontre de leurs auteurs.
Or, dans certains secteurs d'activité tels que le photovoltaïque ou les telecoms, quelques consommateurs ou prétendues clients publient sur internet des commentaires ou avis aux termes desquels ils révèlent de prétendues actions en justice contre certaines sociétés ou professionnels.
La révélation de prétendues pratiques illicites est donc passibles de sanctions.
Le dénigrement fautif trouvera à s'appliquer de manière générale en cas "d'insinuation de nature à jeter le discrédit sur une société".
De même, les juges d'appel ont considéré que les appels massifs au boycott des services d'une société sur internet et relayés par la presse « ne pouvaient manquer de jeter un discrédit sur la société ».
Les juges ont même été jusqu'à analyser le fait que : « si la critique de prix élevés, seraient-ils qualifiés d’exorbitants, relève du droit de libre critique qui appartient à tout consommateur, ce droit dégénère en abus lorsque, comme en l’espèce, la cherté des prestations de l’entreprise ciblée est dénoncée, sous le titre Stop à la vaste opération d’enfumage et d’escroquerie organisée ! » ou les termes « l’anarque cessera », les vocables utilisés, à connotation pénale, procédant de toute évidence d’une intention malveillante, dépassant le droit d’information ».
Il résulte de cette décision que :
- La modération dans les propos s'impose : les propos qui ne sont pas mesurés ni objectifs et témoignent d’une animosité personnelle de leurs auteurs sont constitutifs de dénigrement fautif.
- Les juges doivent prendre en compte la nature des termes et vocables utilisés ,
- Les connotations pénales « procèdent de toute évidence d’une intention malveillante.»
On est loin de la liberté d'expression quasi absolu et largement protégée par la loi sur la liberté de la presse.
Une telle décision est une victoire contre les atteintes à la réputation des entreprises à l'heure où les consommateurs s'épandent parfois de manière extrêmement négative sur les réseaux sociaux, blogs, forum de discussion, etc ...
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Anthony Bem
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