Le 19 mars 2014, la Cour de cassation a jugé que l’existence de fautes commises par la Société Générale, ayant concouru au développement de la fraude et à ses conséquences financières, Jerome Kerviel ne pouvait pas être condamné à lui payer 4,9 milliards d’euros à titre de dommages-intérêts. (Cass. Crim.,19 mars 2014, Jérôme Kerviel / Ministère public)
Cela paraît évident ... Mais pourtant, la cour d’appel de Paris avait condamné Jerome Kerviel à une peine de cinq ans d’emprisonnement, dont deux ans avec sursis pour abus de confiance, introduction frauduleuse de données dans un système de traitement automatisé, faux et usage de faux, outre la somme de 4,9 milliards d’euros à verser à son employeur, la Société générale, à titre de dommages-intérêts.
Selon les juges d'appel, le prévenu avait été l’unique concepteur, initiateur et réalisateur du système de fraude ayant provoqué le dommage, lequel trouve son origine dans la prise de positions directionnelles, pour un montant de 50 milliards d’euros, dissimulées par des positions fictives que la banque n’a pas eu d’autre choix que de liquider sans délai.
Or, les juges d'appel avaient aussi constaté que l’existence et la persistance, pendant plus d’un an, d’un défaut de contrôle hiérarchique avait constitué une négligence qui a permis la réalisation de la fraude et concouru à la production du dommage.
Cependant, la cour d'appel avait estimé que malgré cette défaillance des systèmes de la Société général, aucune disposition de la loi ne permettait de réduire, en raison d’une faute de la victime, le montant des réparations dues à celle-ci par l’auteur d’une infraction intentionnelle contre les biens.
Pour mémoire, il était reproché à Monsieur Kerviel d'avoir, au cours des années 2005 à 2008, détourné au préjudice de la Société générale, des fonds qui lui avaient été remis et qu’il avait acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d’en faire un usage déterminé, au mépris des prérogatives qui lui étaient confiées et au-delà de la limite autorisée, fixée à 125 millions d’euros pour le “desk” (service).
Concrètement, il lui était imputé d'avoir utilisé des moyens remis par la banque aux fins d’opérations à haut risque dépourvues de toute couverture.
De plus, en tant que trader, il s’était vu attribuer par la banque un ensemble de matériel de trading (poste informatique, matériels de communication, accès au système informatique) lui donnant pouvoir de conclure en son nom des opérations financières - passage d’ordres par l’intermédiaire d’un automate, soit directement soit au contact d’interlocuteurs extérieurs au desk par l’intermédiaire de moyens de communication équipant son poste de travail - et d’engager des fonds aux fins d'en faire un usage déterminé sur le marché.
Or, en principe, ses activités ne présentaient que peu de risque pour son employeur dans la mesure où elles impliquaient que toute position prise soit couverte par une position de sens inverse.
Dans ce contexte, la Cour de cassation a jugé que :
« Chaque trader doit avoir connaissance des limites de risque de marché qui lui sont octroyées par son risk manager et être capable d’exhiber un document reprenant les limites de risque de l’activité à laquelle il appartient ».
Cette règle impose donc aux traders une obligation de contractualisation des limites de risques pour éviter tout contentieux éventuel avec leurs employeurs.
Au cas présent, les juges ont estimé que Monsieur Kerviel connaissait cette limite, pour avoir, à la question du magistrat instructeur “en quoi le fait de masquer les positions réelles vous permettait-il de garder vos positions le plus longtemps possible”, répondu, « pour respecter la pseudo-limite des 125 millions. Si je n'avais pas masqué, on m’aurait probablement fait couper ma positon ».
Pour confirmer le délit d’abus de confiance, les juges ont considéré que le trader avait bien détourné les moyens techniques mis à sa disposition en les utilisant à d’autres fins que celles qui lui avaient été assignées
Cependant, la haute cour a sanctionné les juges d'appel pour ne pas avoir tiré les conséquences légales de leurs propres constatations.
En effet, alors que la cour d’appel avait relevé que la Société générale avait été alertée des dysfonctionnements de l’activité du trader, la Cour d'appel a considéré que la banque n’avait pu avoir connaissance de ses agissements frauduleux.
Or, les dispositions prudentielles légales et réglementaires en vigueur, telles qu’elles avaient été rappelées par la Commission bancaire dans un rapport, imposaient à l’établissement de crédit de mettre en place un dispositif de contrôle permanent efficient et d’assurer la sécurité du système d’information.
Ainsi, ce dispositif auraient dû permettre à la Banque d’être alertée de la prise de positions directionnelles allant jusqu’à 50 milliards d’euros lesquelles, selon la cour, « engageait une fois et demi ses fonds propres » et faisaient « exploser son ratio cook ».
Les manquements de la Société générale à ses obligations prudentielles constituent des fautes commises par la victime qui ont contribué à causer son propre préjudice et excluent tout droit à réparation.
Par conséquent, la cour de cassation a eu l'occasion de rappeler le principe selon lequel :
« lorsque plusieurs fautes ont concouru à la production du dommage, la responsabilité de leurs auteurs se trouve engagée dans une mesure dont l‘appréciation appartient souverainement aux juges du fond ».
Par voie de conséquence, la jurisprudence suprême considère la Société Générale victime de ses propres fautes, à hauteur de 4,9 milliards d’euros.
Enfin, il convient de souligner que la thèse selon laquelle "l’affaire Kerviel" a servi à renommer des pertes subies sur les produits dérivés liés à l’immobilier résidentiel américain (Subprimes) n'a pas été retenue par les juges.
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Anthony Bem
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