La société d'investissement immobilier cotée (ci-après dénommée SIIC) est un type d'entreprise française propriétaire de bâtiments soumise à un régime fiscal particulier.
Dans la plupart des cas, cette entreprise gère le patrimoine immobilier pour le compte de ses actionnaires.
En l'espèce, la Société ICADE a opté pour le régime des SIIC avec effet au 1er janvier 2003.
L’imposition assise sur les plus-values latentes constatées à cette occasion a été liquidée au taux de 16,5 % alors applicable. L’imposition a été acquittée en quatre fractions égales en 2003, 2004, 2005 et 2006.
En 2007, la Société ICADE a absorbé sa société-mère et trois sociétés sœurs, ce qui a entraîné l’entrée des actifs immobiliers détenus par ces sociétés dans son propre patrimoine et, par conséquent, dans le périmètre du régime des SIIC.
L’imposition assise sur les plus-values latentes constatées à l’occasion de ces opérations de restructuration a été liquidée au taux de 16,5 % applicable en 2007 et acquittée en quatre fractions égales en 2007, 2008, 2009 et 2010.
A l’issue d’une vérification de comptabilité, l’administration a, d’une part, rehaussé la base des plus-values latentes et, d’autre part, remis en cause l’application du taux de 16,5 % pour les fractions d’impôt acquittées au titre de 2009 et 2010. L’administration a estimé que l’imposition de ces deux dernières fractions aurait dû être liquidée au taux de 19 %, dès lors que la loi de finances pour 2009 avait porté le taux prévu au paragraphe IV de l’article 219 à 19 %.
Le 23 décembre 2013, la société requérante a présenté une réclamation tendant au dégrèvement des cotisations supplémentaires d’IS mises à sa charge du fait des rehaussements de ses résultats imposables des exercices clos en 2009 et 2010.
La société a porté le litige devant le tribunal administratif et a soulevé à cette occasion une question prioritaire de constitutionalité (ci-après dénommée QPC) portant sur les dispositions de l’article 208C ter du CGI.
En effet, selon elle, cette différence de traitement porte atteinte aux principes d’égalité devant la loi et les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, et remet en cause « l’attente légitime de tout contribuable de bénéficier du régime d’imposition en vigueur à la date du fait générateur de l’impôt ».
L’article 6 de la Déclaration de 1789 consacre un principe d’égalité devant la loi.
Selon une jurisprudence constante, le Conseil constitutionnel juge à propos de ce principe « qu’aux termes de l’article 6 de la Déclaration de 1789, la loi "doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse" le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ».
Sur le fondement de l’article 13 de la Déclaration de 1789, le Conseil constitutionnel considère « qu’en vertu de l’article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives ; qu'en particulier, pour assurer le respect du principe d’égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose ; que cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ».
Le vice-président du tribunal a transmis cette QPC au Conseil d’État qui, dans sa décision de renvoi du 29 avril 2015, a considéré que le moyen tiré de ce que les dispositions de l’article 208C ter du CGI « portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au principe d’égalité devant la loi, soulève une question présentant un caractère sérieux ».
Concrètement, l’inégalité dénoncée se constituait par une différence de taxation entre les plus-values latentes afférentes à des actifs devenus éligibles au régime d’exonération d’impôt sur les sociétés des SIIC.
L’article 208 C ter du CGI contesté fixe un mécanisme d’étalement de l’imposition, ce qui implique que les règles de liquidation à appliquer sont celles qui sont en vigueur pour chacune des années d’étalement et non celles en vigueur au moment du fait générateur.
Sous un tel régime, le contribuable court le risque d’une augmentation, sur la période de l’étalement, du taux de l’impôt, ou de l’apparition d’autres règles susceptibles de majorer l’imposition.
Sont éligibles à ce régime fiscal :
- les sociétés par actions cotées sur un marché réglementé, dont le capital social est égal ou supérieur à 15 millions d’euros, et qui ont pour objet principal l’acquisition ou la construction d’immeubles en vue de la location, ou la détention directe ou indirecte de participations dans des personnes morales ayant le même objet et soumises à l’impôt sur les sociétés (IS) ou au régime des sociétés de personnes prévu à l’article 8 du CGI. Un plafond de détention du capital est aussi prévu.
- les filiales des sociétés éligibles assujetties à l’IS et ayant un objet identique, lorsqu’elles sont détenues, directement ou indirectement, à hauteur de 95 % au moins.
Sur option, les SIIC bénéficient d’une exonération d’IS, notamment sur les bénéfices provenant de la location d’immeubles ou de la sous location de certains immeubles et de certaines plus-values.
Les actionnaires sont imposés uniquement sur les bénéfices distribués et non pas sur leur quote-part dans les résultats de la société, que ceux-ci soient ou non distribués.
Le bénéfice de l’exonération est subordonné au respect d’une obligation de distribution aux actionnaires, dont le pourcentage varie selon la nature des bénéfices (85 % pour les bénéfices de location d’immeubles, 50 % pour les plus-values de cession d’immeubles, ...).
Ces bénéfices sont ensuite imposés entre les mains des actionnaires, selon les règles de droit commun.
Ainsi, bien qu’un mécanisme d’étalement du paiement de l’impôt soit prévu, celui-ci varie selon que les plus-values latentes sont imposées lors de l’option ou après celle-ci.
D’une part, lorsque les plus-values latentes sont taxées au moment de l’exercice de l’option du régime des SIIC, le quart du montant de l’impôt est exigible pour l’année de l’option, les trois quarts restants sont, quant à eux, versés par fractions égales chacune des trois années suivantes, c’est-à -dire en fonction du même taux réduit que celui appliqué lors de l’application de l’option, soit 19%. (Article 219 du CGI, paragraphe IV)
En ce qui concerne les plus-values latentes imposées postérieurement à l’option du régime des SIIC, l’article 208 C ter du CGI contesté prévoit, certes, un étalement du paiement de l’impôt d’une durée identique de quatre ans et les plus-values latentes sont notamment fractionnées pendant cette période mais elles sont imposées en fonction du taux applicable pouvant varier au titre de chacune de ces années.
Les entreprises imposées au titre des plus-values latentes lors de l’exercice de l’option des SIIC bénéficient d’un taux d’imposition égale sur la période d’étalement.
Ainsi, force est de constater que cette différence de traitement du paiement de l’impôt instaurée par le législateur entre les entreprises favorables au régime des SIIC, selon que leurs plus-values latentes sont imposées lors de l’option ou postérieurement à celle-ci, puisse paraître aussi injustifiée que défavorable au contribuable se trouvant dans la deuxième situation.
Effectivement, à l’instar de son semblable bénéficiant de l’imposition des plus-values latentes lors de l’option, celui-ci est exposé à un risque d’augmentation du taux de l’impôt sur la période de l’étalement.
Dans ce contexte, le Conseil constitutionnel a été saisi d'une question de savoir si le régime d'imposition des plus-values latentes des SIIC méconnaissait ou non le principe d'égalité de traitement de l’impôt.
Pour le Conseil constitutionnel, la différence de traitement de l’impôt entre les sociétés assujetties au régime des SIIC se justifie par la différence de leur situation. (Décision n°2015-474 QPC, du 26 juin 2015)
Le Conseil constitutionnel a rappelé que la différence de traitement du paiement de l’impôt entre les sociétés en faveur du même régime des SIIC était une mesure fiscale favorable et incitative motivée par la volonté de pousser les sociétés à adopter définitivement ce régime spécial et permettre aux grandes sociétés foncières de résister à l’influence grandissante de fonds d’investissement étrangers.
En effet, aux termes du rapport sur le projet de loi de finances pour 2003, « Les sociétés françaises d’investissement immobiliers cotées(SIIC) ont pour activité la détention à long terme, le développement et l’arbitrage d’actifs destinés à la location (immobilier d’entreprise et habitation) et représentent environ 1 % de la capitalisation boursière de Paris. Peu nombreuses, d’une faible capitalisation boursière (12,5 milliards d’euros pour 22,5 milliards d’euros d’actifs gérés), avec peu de "petits actionnaires", elles pourraient pourtant se développer sur le modèle des fonds d’investissements allemands, néerlandais ou belges qui bénéficient de régimes fiscaux plus favorables. Ce développement serait de nature à soutenir l’activité boursière dans un contexte marqué par une dépréciation des actifs et une perte de confiance des investisseurs. Le renforcement du compartiment immobilier en bourse serait particulièrement utile au marché. Les SIIC souffrent actuellement d’une décote du fait de leur petite taille, de leur faible liquidité et de l’imposition de leurs résultats. Elles sont défavorisées par rapport à leurs concurrents européens allemands, belges et néerlandais qui bénéficient d’une transparence fiscale. Mettre fin à cette distorsion de concurrence consisterait à appliquer un régime de transparence fiscale, c’est-à -dire que ces sociétés ne soient pas soumises à l’impôt sur les sociétés à condition de distribuer la quasi-totalité de leurs bénéfices (85 %) et d’imposer les bénéfices au niveau de l’actionnaire. De même, une fois taxées pour le stock existant (sous forme d’une "exit tax"), les plus-values de cessions réinvesties dans les activités immobilières ou distribuées seraient exonérées ».
Par conséquent, le Conseil constitutionnel a donc jugé que :
« dans le but d’inciter les sociétés à opter pour le régime qu’il créait, le législateur a fixé un mécanisme d’étalement du paiement de l’imposition établie au titre de l’exercice de l’option; qu’afin de favoriser les restructurations des sociétés ayant exercé cette option, il a prévu un mécanisme d’étalement de l’imposition en vertu duquel les règles de liquidation sont celles en vigueur au titre de chacune des années d’étalement; qu’ainsi le législateur a institué une différence de traitement fondée sur une différence de situation en rapport direct avec l’objet de la loi; que, par suite, le grief tiré de la méconnaissance de l’article 6 de la Déclaration de 1789 doit être écarté ».
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a également réfuté la prétendue méconnaissance du principe d’égalité devant les charges publiques posé par l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen compte tenu que l’étalement de l’imposition ne représente pas "une charge excessive" pour les sociétés ayant opté pour le régime des SIIC eu égard à leur "faculté contributive".
Cette décision est l'occasion de rappeler que le fait générateur de l’imposition d’une plus-value est l’événement dont la réalisation entraîne la constatation de la plus-value.
S’agissant des plus-values réalisées, le Conseil d’État juge de manière constante que « les plus-values, quel que soit le régime selon lequel elles sont imposables, font partie des bénéfices sociaux de l’exercice au cours duquel elles ont été réalisées ».
S’agissant des plus-values latentes, le Conseil d’État juge que le fait générateur de leur imposition est l’événement dont la réalisation entraîne leur constatation.
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