Le 11 février 2014, la Cour de cassation a jugé que l'associé d'une SCI constituée avec sa belle famille peut s'en retirer après avoir divorcé, et cela sans avoir à prouver une quelconque mésentente entre les associés pouvant entraîner un dysfonctionnement de la société. (Cass. Civ. III, 11 février 2014, N° de pourvoi: 13-11197).
Pour mémoire, l'“affectio societatis” est la condition sine qua non de la constitution d'une société.
Cette locution latine désigne la volonté commune entre plusieurs personnes physiques ou morales de s'associer.
En d’autres termes, il s’agit de la volonté de collaborer de façon effective à l’exploitation de la société dans un intérêt commun et sur un pied d’égalité, qui doit exister entre les associés dès la constitution de la société et pendant toute la durée de vie de celle-ci.
Or, cette intention varie au gré de la vie de la société et de ses associés, de sorte qu’avec le temps les relations entre associés sont susceptibles de se tendre et d’aboutir à une confrontation plus ou moins vive.
C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles le législateur prévoit la possibilité pour un associé de demander son retrait de la société en cas de disparition de l’affectio societatis.
A titre d’exemple, s’agissant des associés de sociétés civiles, l'article 1869 du code civil leur permet de se retirer totalement ou partiellement de la société, dans les conditions prévues par les statuts ou, à défaut, après autorisation donnée par une décision unanime des autres associés, ou encore après une autorisation judiciaire s’ils justifient de justes motifs de retrait.
Ces justes motifs de retrait peuvent tenir notamment à la disparition de l’affectio societatis, puisque selon une jurisprudence constante « l'article 1869 du code civil n'interdit pas au juge de retenir comme justes motifs permettant d'autoriser le retrait d'un associé, des éléments touchant à sa situation personnelle. » (Cass. Civ. 1, 27 février 1985, n° 83-14069)
Cependant, pour permettre à la société de fonctionner correctement et éviter que le retrait d’un associé n’intervienne à la moindre mésentente entre les associés, certains juges ont tendance à exiger, outre la disparition de l’affectio societatis, d’autres conditions pour autoriser le retrait pour justes motifs telles qu’une paralysie du fonctionnement de la société.
Une telle pratique n’est pas sans rappeler celle qui prévaut en cas de demande de dissolution d’une société pour mésentente entre associés.
En effet, l’article 1844-7 du code civil prévoit qu’une société prend fin par la dissolution judiciaire prononcée par le tribunal à la demande d’un associé, pour justes motifs, notamment en cas de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société.
Autrement dit, cet article ne permet à un associé d’invoquer la disparition de l’affectio societatis pour demander en justice la dissolution de la société que si la mésentente entraine une paralysie du fonctionnement de la société.
C’est ainsi que la Cour de cassation a refusé de prononcer la dissolution d’une société civile immobilière (SCI) constitué par deux concubins dont les relations s’étaient tendues après leur séparation, au motif que « la mésentente existant entre les associés et par suite la disparition de l'affectio societatis ne pouvaient constituer un juste motif de dissolution qu'à la condition de se traduire par une paralysie du fonctionnement de la société. » (Cass. Civ. III, 16 mars 2011, n° 10-15459)
Dans l’arrêt du 11 février 2014 précité, c’est ce raisonnement que les associés ont cru applicable pour refuser le retrait d’un autre associé, en soutenant que la disparition de l’affectio societatis ne pouvait justifier ce retrait dès lors qu’elle ne paralysait pas le fonctionnement de la société.
Cependant, cette argumentation n’a pas prospéré, puisqu’on était en présence, non pas d’une demande de dissolution supposant une paralysie de la société, mais d’une demande de retrait.
En effet, en l’espèce, une personne s’est associée avec son épouse et les parents de celle-ci pour créer une société civile immobilière (SCI) familiale pour acquérir un immeuble.
Par la suite, les époux ont divorcé et l’ex-époux a fait part aux autres associés de sa volonté de se retirer de la société.
Compte tenu du fait qu'aucune décision des associés n'est venue autoriser son retrait, l’ex-époux s'est trouvé dans l'impossibilité de céder ses parts à un tiers eu égard au caractère familial de la société.
L'associé a donc saisi la justice et sollicité son retrait pour justes motifs.
Les autres associés s’y sont opposés en soutenant que la disparition de l’affectio societatis invoquée par l’ex-époux ne pouvait justifier son retrait dès lors qu’elle n’entravait pas le fonctionnement de la société.
Néanmoins, la Cour de cassation a considéré « qu'il n'était pas nécessaire de constater que la mésentente entre les associés entraînerait le dysfonctionnement de la société ».
En conséquence, la demande de retrait de l’associé était bien justifiée dès lors que tout affectio societatis avait disparu depuis la séparation du couple et la procédure de divorce contentieuse, quand bien même la mésentente entre les associés ne paralysait pas le fonctionnement de la société.
Il en résulte que le juge saisi d’une demande de retrait pour justes motifs peut prendre en considération des circonstances propres à la situation personnelle de l'associé qui entend se retirer.
A titre d’exemple, il a été jugé qu’un associé pouvait être autorisé à se retirer d’une société en invoquant des justes motifs résidant dans le comportement très agressif d’une associée avec laquelle il avait entretenu une relation affective et dans la circonstance qu’il ne tirait aucun avantage de la société. (Cass. Civ. 3, 20 mars 2013, n° 11-26124)
Ainsi, il convient de retenir que la dégradation des relations personnelles entre associés peut constituer un juste motif de retrait, sans qu’il soit nécessaire que cette mésentente entraine la paralysie du fonctionnement de la société.
Il convient également de souligner que conformément à l’alinéa 2 de l’article 1869 du code civil précité, l'associé qui est autorisé à se retirer d'une société civile pour justes motifs par une décision de justice a droit au remboursement de la valeur de ses droits sociaux par la société.
Ainsi, il a été jugé que l'autorisation donnée à l'associé de se retirer emporte obligation pour la société de lui rembourser la valeur de ses droits sociaux. (C.A Paris, 10 janvier 2001, n° RG : 1999/18540)
En principe, cette valeur est fixée amiablement, mais en cas d’opposition, elle est déterminée par un expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d'accord entre elles, par le juge.
C’est ainsi que les associés se retirant d‘une société civile immobilière ont obtenu la restitution en nature des terrains qu’ils avaient apportés à la SCI en contrepartie de parts sociales, au motif que « l'associé qui se retire d'une société civile peut obtenir que lui soient attribués les biens qu'il a apportés lorsqu'ils se retrouvent en nature dans l'actif social. » (Cass. Civ. 3, 12 mai 2010, n° 09-14747)
Enfin, en déduisant les justes motifs de retrait de la situation personnelle de l’associé candidat au retrait, l’arrêt commenté s’inscrit dans la ligne d’une jurisprudence libérale permettant à un associé, avec l’assistance d’un avocat spécialisé, d’exercer son droit de retrait et d’obtenir le remboursement de la valeur de ses droits sociaux.
Je suis à votre disposition pour toute action ou information (en cliquant ici).
PS : Pour une recherche facile et rapide des articles rédigés sur ces thèmes, vous pouvez taper vos "mots clés" dans la barre de recherche du blog en haut à droite, au dessus de la photographie.
Anthony Bem
Avocat à la Cour
27 bd Malesherbes - 75008 Paris
01 40 26 25 01
abem@cabinetbem.com