La CJUE a considéré que la directive européenne doit être interprétée en ce qu'elle s'oppose à une disposition nationale qui prévoit une interdiction générale d'offrir à la vente ou de vendre des biens à perte, pour autant que cette disposition poursuit des finalités tenant à la protection des consommateurs.
En l'espèce, deux sociétés belges dont l'activité est la vente d'appareils photographiques étaient accusées par l'un de leur concurrent de revendre leurs produits à perte.
Or, le droit belge, comme le droit français, prohibent la revente des produits à perte.
L'interdiction générale de revente à perte est prévue e sanctionnée en droit français à l'article L. 442-2 du Code de commerce en ce qu'il dispose que :
« Le fait, pour tout commerçant, de revendre ou d'annoncer la revente d'un produit en l'état à un prix inférieur à son prix d'achat effectif est puni de 75 000 euros d'amende.
Cette amende peut être portée à la moitié des dépenses de publicité dans le cas où une annonce publicitaire, quel qu'en soit le support, fait état d'un prix inférieur au prix d'achat effectif. La cessation de l'annonce publicitaire peut être ordonnée dans les conditions prévues à l'article L. 121-3 du code de la consommation.
Le prix d'achat effectif est le prix unitaire net figurant sur la facture d'achat, minoré du montant de l'ensemble des autres avantages financiers consentis par le vendeur exprimé en pourcentage du prix unitaire net du produit et majoré des taxes sur le chiffre d'affaires, des taxes spécifiques afférentes à cette revente et du prix du transport.
Le prix d'achat effectif tel que défini au deuxième alinéa est affecté d'un coefficient de 0, 9 pour le grossiste qui distribue des produits ou services exclusivement à des professionnels qui lui sont indépendants et qui exercent une activité de revendeur au détail, de transformateur ou de prestataire de services final. Est indépendante au sens de la phrase précédente toute entreprise libre de déterminer sa politique commerciale et dépourvue de lien capitalistique ou d'affiliation avec le grossiste ».
Les juges belges ont saisis la CJUE afin de savoir si leur prohibition est conforme à la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur.
La directive protège expressément les intérêts économiques des consommateurs contre les pratiques commerciales déloyales des entreprises à leur égard.
Elle a pour objet de rapprocher les législations des États membres relatives aux pratiques commerciales déloyales, y compris la publicité déloyale, portant atteinte directement aux intérêts économiques des consommateurs et, par conséquent, indirectement aux intérêts économiques des concurrents légitimes.
Elle ne couvre ni n’affecte les législations nationales relatives aux pratiques commerciales déloyales qui portent atteinte uniquement aux intérêts économiques de concurrents ou qui concernent une transaction entre professionnels.
Afin d’apporter une plus grande sécurité juridique, elle prévoit une liste de pratiques commerciales qui sont, en toutes circonstances, déloyales.
Il s’agit des seules pratiques commerciales qui peuvent être considérées comme déloyales sans une évaluation au cas par cas.
Selon le droit français est considérée comme une vente à perte, toute vente à un prix qui n’est pas au moins égal au prix auquel l’entreprise a acheté le bien ou que l’entreprise devrait payer lors du réapprovisionnement, après déduction des éventuelles réductions accordées et définitivement acquises. Pour déterminer l’existence d’une vente à perte, il n’est pas tenu compte des réductions accordées, exclusivement ou non, en échange d’engagements de l’entreprise autres que l’achat de biens.
Au cas présent deux sociétés proposaient à la vente un appareil photographique Panasonic Lumix DMC-TZ20 pour un prix de 229 euros, auquel était associée une garantie de cinq ans, ainsi qu’un appareil photographique Canon EOS5D Mark II Body pour un prix de 1 695 euros, auquel était également associée une garantie de cinq ans.
Leur concurrent considérait que ces sociétés vendaient ces appareils photographiques à perte, puisque le prix d’achat officiel hors taxe sur la valeur ajoutée de ces appareils était, respectivement, de 277,84 euros et de 1 634,78 euros.
En effet, même en tenant compte des réductions définitives éventuellement octroyées, il ne serait pas possible de pratiquer un prix aussi bas, à moins de vendre lesdits appareils photographiques à perte.
Pour savoir si l’interdiction de vente à perte est licite les juges européens ont pris en considération la protection des consommateurs et estimé que :
« Or, des actions de vente à perte, telles que celles en cause au principal, qui fonctionnent, ainsi que le relève la juridiction de renvoi, comme un procédé d’appel, ont pour objectif d’attirer des consommateurs dans les locaux commerciaux d’un commerçant et d’inciter lesdits consommateurs à procéder à des achats […]
une pratique commerciale est déloyale si elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et altère ou est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur moyen par rapport au produit […]
la directive sur les pratiques commerciales déloyales définit deux catégories précises de pratiques commerciales déloyales, à savoir les «pratiques trompeuses» et les «pratiques agressives» […]
il est constant que des pratiques consistant à offrir à la vente ou à vendre des biens à perte ne figurent pas à l’annexe I de la directive sur les pratiques commerciales déloyales. Dès lors, elles ne sauraient être interdites «en toutes circonstances», mais seulement à l’issue d’une analyse spécifique permettant d’en établir le caractère déloyal […]
Or, force est de constater que, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, [la loi belge] prohibe de manière générale d’offrir à la vente ou de vendre des biens à perte, sans qu’il soit nécessaire de déterminer, au regard du contexte factuel de chaque espèce, si l’opération commerciale en cause présente un caractère «déloyal» à la lumière des critères énoncés aux articles 5 à 9 de la directive sur les pratiques commerciales déloyales et sans reconnaître aux juridictions compétentes une marge d’appréciation à cet égard […]
Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la question posée que la directive sur les pratiques commerciales déloyales doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une disposition nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoit une interdiction générale d’offrir à la vente ou de vendre des biens à perte, pour autant que cette disposition poursuit des finalités tenant à la protection des consommateurs ».
Cette décision remet donc sérieusement en cause la licéité des dispositions de l'article L. 442-2 du Code de commerce précité qui prévoit une interdiction générale d’offrir à la vente ou de vendre des biens à perte.
Enfin, les juges européens ont estimé que même les finalités tenant à la protection des consommateurs ne sauraient valablement permettre une interdiction générale et absolue de revente à perte.
Je suis à votre disposition pour toute action aux coordonnées indiquées ci-dessous ou pour répondre à vos questions en cliquant ici.
PS : Pour une recherche facile et rapide des articles rédigés sur ces thèmes, vous pouvez taper vos "mots clés" dans la barre de recherche du blog en haut à droite, au dessus de la photographie.
Anthony Bem
Avocat à la Cour
27 bd Malesherbes - 75008 Paris
Tel : 01 40 26 25 01
Email : abem@cabinetbem.com