Les banques s’échangent parfois entre elles les questionnaires de patrimoine qu’elles font remplir à leurs clients, emprunteurs ou cautions.
Le 15 octobre 2020, la Cour d’appel de Lyon a sanctionné une banque du chef de violation du secret professionnel pour avoir communiqué et obtenu des fiches de renseignements patrimoniaux pour les produire en justice contre une caution (CA Lyon, 3e ch. a, 15 octobre 2020, n° 18/03222).
En l’espèce, la banque Caisse d’épargne a consenti à une société un prêt de 615.000 € destiné à l’acquisition d’un fonds de commerce de bar, restaurant, discothèque.
Le gérant s’est porté caution solidaire des engagements de la société au titre de ce prêt, à concurrence de la somme de 200.000 € puis de 52.000 €.
La société a été déclarée en redressement puis liquidation judiciaire.
Après avoir demandé, en vain, à la caution de satisfaire à son obligation de paiement en garantie, la banque l’a fait assigner devant le Tribunal de commerce de Lyon en paiement des dettes de la société emprunteuse.
La caution s’est opposée aux prétentions de la Caisse d’Épargne en invoquant divers moyens de droit et a valablement formé une demande reconventionnelle de dommages-intérêts sur le fondement d’une violation du secret professionnel à l’encontre de la banque.
Le Tribunal de commerce de Lyon a jugé que les engagements de caution étaient manifestement disproportionnés aux biens et revenus de la caution, aussi bien le jour de leur souscription qu’au jour de leur mise en œuvre par la banque.
La sanction de la disproportion manifeste d’un cautionnement est que la banque ne peut pas s’en prévaloir contre la caution.
Ces engagements de caution sont juridiquement inopposables, de sorte qu’ils sont concrètement considérés comme nuls et non avenus.
En outre, le Tribunal a jugé que la banque a violé le secret bancaire en transmettant à un tiers un document contenant des informations personnelles et confidentielles relatives à sa situation.
La caution a donc demandé aux juges l’octroi de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la violation du secret professionnel par la Caisse d’Épargne.
En effet, dans le cadre d’une autre instance engagée devant un autre tribunal par une autre banque, la Société Générale, pour obtenir le paiement de sommes sur le fondement d’un autre engagement de caution, la Société Générale a produit le questionnaire confidentiel remis à la Caisse d’Épargne par la caution et que celle-ci lui avait communiqué par « confraternité bancaire ».
D’autre part, dans le cadre de la présente instance, la Caisse d’Épargne a produit le questionnaire confidentiel que la caution avait rempli au profit de la Société Générale et que cette dernière lui avait aussi remis par « confraternité bancaire ».
La caution a ainsi reproché à la Caisse d’Épargne d’avoir violé le secret professionnel et ses obligations contractuelles en tentant d’influencer le cours d’une procédure à laquelle elle n’était même pas partie.
La Caisse d’Épargne a tenté maladroitement de justifier ces manœuvres en prétendant avoir voulu apporter son concours à la justice pour favoriser l’expression de la vérité.
Dans ce contexte, la Cour d’appel a sanctionné la banque en jugeant sous forme d’attendus de principe que :
« Le fait de communiquer un questionnaire confidentiel à une autre banque qui a pu ainsi le produire dans une instance dans laquelle la Caisse d’Épargne n’avait aucune charge de preuve, n’étant pas partie, et n’avait aucun devoir de participer à la manifestation de la vérité constitue une violation du secret professionnel ».
La Cour d’appel en a d’ailleurs profité pour préciser dans le souci du détail juridique que:
« La production devant le tribunal de commerce d’un questionnaire confidentiel établi par une autre banque et transmis par cette dernière, si elle ne constitue pas la violation du secret professionnel par la Caisse d’Épargne caractérise une complicité de la violation de ce secret ».
La responsabilité des banques est justifiée par le fait que les juges sont tenus en principe par une obligation de motiver leur décision de justice et pour ce faire, d’analyser les pièces produites aux débats par les parties en présence, au soutien de leurs moyens juridiques.
Les fiches de renseignements patrimoniaux sont donc constitutives d’éléments relevant de la vie privée des cautions ou des emprunteurs qui ne peuvent donc pas être valablement produits en justice par les banques entre elles au risque d’engager leur responsabilité si elles n’en sont pas les auteurs.
Au cas présent, la banque Caisse d’Épargne s’est rendue fautive par deux fois :
- En tant qu’auteur de la violation du secret professionnel pour avoir communiquer un questionnaire confidentiel à une autre banque qui a pu ainsi le produire dans une instance dans laquelle elle n’avait aucune charge de preuve, n’étant pas partie, et n’avait aucun devoir de participer à la manifestation de la vérité ;
- En tant que complice de la violation du secret professionnel pour avoir produit devant le tribunal un questionnaire confidentiel établi par une autre banque.
En conséquence, la Cour d’appel a sanctionné la Caisse d’Épargne et a condamné la banque à régler à la caution des dommages-intérêts à titre d’indemnisation de son préjudice moral subi.
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Anthony Bem
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