Analyse juridique de l’expiration de l’état d’urgence sanitaire décrété par le Président de la République et sa probable prorogation : problèmes à retenir.
Par
Me Edmond MBOKOLO ELIMA
Avocat au Barreau de l’Equateur
Assistant à la Fac de Droit de l’Université de Mbandaka
Depuis le samedi 18 avril 2020, bon nombre de congolais se questionnent au sujet de l’expiration de l’état d’urgence décrété par le Président de la République conformément aux articles 85 de la Constitution. Selon certaines personnes, étant donné que le chef de l’Etat s’était exprimé pour la première fois en date du 18 mars 2020 en s’adressant à la nation, l’état d’urgence devrait expirer le 18 avril 2020, car ce dernier a une durée de 30 jours conformément à l’alinéa 4 de l’article 144 de la Constitution de la RDC.
C’est dans cette expectative que, nous apparaissons encore en ce jour pour fixer l’opinion au sujet des différents problèmes qui se posent pour l’expiration et l’éventuelle prorogation de l’état d’urgence par le Chef de l’Etat, son Excellence Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo.
Ces différents problèmes sont présentés sous forme des questions, dont leur développement en constitue les réponses.
1. Quelle est la date exacte à laquelle l’état d’urgence a été décrété ?
L’Etat d’urgence n’a pas été décrété le 18 mars 2020 lors du message de Chef de l’Etat consistant à la prise des mesures urgentes et exceptionnelles tendant à éradiquer la contagion du COVID-19. Ces mesures ont été, à cette date, prises verbalement sous une forme d’un simple message en l’absence d’un soubassement juridique.
Par contre, c’est en date du 24 mars 2020 que le Chef de l’Etat avait bel et bien décrété l’Etat d’urgence qui a consisté à formaliser les mesures annoncées et prises en date du 18 mars 2020 dans l’ordonnance n°20/014, conformément aux articles 85, 144 al.1 et 145 de la Constitution.
2. Quelle est la date exacte d’expiration de l’état d’urgence sanitaire?
Conformément à l’article 144 al. 4 de la Constitution qui prévoit que « l’état d’urgence ou l’état de siège peut être proclamé sut tout ou partie du territoire de la République pour une durée de trente jours » et en se situant à la date à laquelle l’ordonnance décrétant l’état d’urgence a été signée par le Chef de l’Etat (le 24 mars 2020), ce dernier expire (prend fin) logiquement le vendredi 24 avril 2020 (30ème jours) conformément à l’article 144 al. 5 de la Constitution qui dispose que « l’ordonnance proclamant l’état d’urgence ou l’état de siège cesse de plein droit de produire ses effets après l’expiration du délai prévu à l’alinéa 3 du présent article, à moins que l’Assemblée Nationale et le Sénat, saisis par le Président de la République sur décision du Conseils des Ministres, n’en aient autorisé la prorogation pur des périodes successives de quinze jours ».
3. Quid de la prorogation de l’état d’urgence ?
Comme dit supra, l’état d’urgence sanitaire en cours prend automatiquement fin le vendredi 24 mars 2020. En se conformant à l’article 144 évoqué précédemment, le Président de la République peut proroger ledit état d’urgence à la seule condition que le Conseil des Ministres délibère et adopte cette prorogation, qui doit être autorisé, à la demande du Chef de l’Etat par le Parlement (Assemblée Nationale et le Sénat), sans préjudice pour ce dernier qui ont la faculté, par une loi, de mettre fin à tout moment à l’état d’urgence suivant l’alinéa 5 de l’article sous examen.
En conséquence, en date du vendredi 17 avril 2020, trois projets d’ordonnance ont été adoptés à l’issue de la réunion extraordinaire du Conseil des Ministres tenue par audioconférence, notamment le projet d’ordonnance modifiant et complétant l’ordonnance n°20/014 du 24 mars 2020 portant proclamation de l’état d’urgence sanitaire pour faire face à la pandémie COVID-19, le projet d’ordonnance portant prorogation de la dure de l’état d’urgence sanitaire et le projet d’ordonnance portant mesures complémentaires nécessaires pour faire face à la pandémie COVID-19.
Cette prorogation peut être prononcée soit avant la date du 24 avril, soit tout justement à la même date, soit encre le 25 avril 2020.
Expliquant l’alinéa 4 de l’article 144, le Parlement (en Congrès) doit se réunir de plein droit en session extraordinaire pour autoriser ladite prorogation de l’état d’urgence conformément à l’article 116 de la constitution.
Logiquement, le projet d’ordonnance modifiant et complétant l’ordonnance n°20/014 du 24 mars 2020 portant proclamation de l’état d’urgence sanitaire ne peut être signée et prise par le Chef de l’Etat qu’après avoir eu l’autorisation du Parlement conformément à l’article sus-évoqué.
4. Qu’arrivera-t-il au cas le Chef de l’Etat signe l’ordonnance de prorogation de l’état d’urgence sanitaire sans avoir eu au préalable l’autorisation du Parlement ?
A notre humble avis, cette situation constituerait une violation intentionnelle et délibérée des dispositions claires et nettes de la Constitution de la RDC.
De tout le moins, le Président de la République, à l’allure où vont les choses, risquerait de prendre cette ordonnance nonobstant l’autorisation du Parlement, qui du reste, est d’ordre impérative et obligatoire, en se fondant non seulement aux dispositions de l’article 145 al. 2 de la Constitution, mais également en évoquant le fameux et célèbre arrêt de la Cour Constitutionnelle rendu sous R.const 1200 en date du13 avril 2020, qui selon certains juristes, viole également la Constitution, lequel avis n’est pas partagé par certains juristes dont nous-mêmes adhérons, en soutenant que ledit arrêt tel que rendu est conforme à la Constitution.
Pour rappel, l’article 145 al.2 de la constitution prescrit que « ces ordonnances sont, dès leur signature, soumises à la Cour Constitutionnelle qui, toute affaires cessantes, déclare si elles dérogent ou non à la présente Constitution ».
Etant donné que, les mesures prises consécutivement en date du 18 et 24 mars relatives au covid-19 ont une portée générale et s’applique à tout le monde (personnes physiques ou morales), le Président de la République s’accrochera à ça pour démontrer l’impossibilité du Parlement à siéger, et surtout que les rassemblements de plus de 20 personnes, même dans les institutions publiques, ont été proscrits. La future ordonnance présidentielle s’accrochera à la jurisprudence de la haute juridiction rendue sous R.const 1200.
5. Qu’arrivera-t-il lorsque la Cour Constitutionnelle déclare cette ordonnance prorogeant l’état d’urgence conforme à la Constitution ?
Il n’est point besoin de rappeler que, les arrêts de la Cour Constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours et sont immédiatement exécutoire. Ils sont obligatoires et s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles, civiles et militaires ainsi qu’aux particuliers (article 168 al.1 de la Constitution).
Pour ainsi dire que, l’éventuel arrêt de la Cour Constitutionnelle qui déclarera l’ordonnance de prorogation de l’état d’urgence conforme à la Constitution, s’imposera entre autres au Parlement (Assemblée Nationale et le Sénat), conformément à l’article 151 al.2 de la Constitution qui dispose que « le pouvoir législateur (Parlement) ne peut ni statuer sur des différentes juridictionnels, ni modifier une décision de justice, ni s’opposer à son exécution ».
La Cour Constitutionnelle est une juridiction suprême de la RDC et aucune institution soit-elle administrative, militaire, politique ou judiciaire ne peut en aucun cas, modifier ses décisions, qui s’appliquent ispo facto. Le parlement n’a aucun pouvoir de modifier ou révoquer les arrêts rendus par la Cour Constitution…Ces derniers sont ainsi dit le seigneur.
D’ailleurs, si nait un conflit entre le Parlement (pouvoir législatif) et la Présidence de la République (pouvoir exécutif) au sujet de cet état d’urgence sanitaire, seule la Cour Constitutionnelle est en habilité à trancher conformément à l’article 161 al. 3 de la Constitution qui veut que « ….elle connait des conflits de compétences entre le Pouvoir exécutif et le Pouvoir législatif ainsi qu’entre l’Etat et les Provinces ».
Bref, lorsqu’un arrêt de la Cour Constitutionnelle déclare une ordonnance présidentielle conforme à la Constitution, toute autre violation de la Constitution faite par le Président de la République reste inopérante et couverte, car, avons-nous dit plus haut, les arrêts de cette haute juridiction ne peuvent ni être modifiés moins encore être attaquées.
Me Edmond MBOKOLO ELIMA
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