ANALYSE JURIDIQUE DE L’ORDONNANCE N°20/058 DU 30 JUIN 2020 PORTANT MESURE COLLECTIVE DE GRACE ET PLAIDOYER POUR SA MISE EN APPLICATION EFFECTIVE
Une analyse faite par Maitre Edmond Mbokolo Elima, Avocat au Barreau de l’Equateur et Assistant à la Faculté de Droit, Université de Mbandaka, Province de l’Equateur/RDC
1. Contexte
Nul n’ignore que la République Démocratique du Congo a célébré ses soixante ans d’indépendance que nos héros et vaillants politiciens avaient arrachée en date du 30 juin 1960.
En effet, à l’occasion de cette fête d’indépendance où aucune cérémonie n’a été organisée à travers toute l’étendue du territoire national, le Chef de l’Etat, Son Excellence Félix-Antoine Tshisekedi s’était adressé à la nation à travers un discours non seulement raffiné mais surtout promettant, il faut le reconnaitre sans atermoiement.
Ainsi, à l’occasion dudit discours, le Président de la République a annoncé d’accorder une grâce présidentielle collective à certains prisonniers. Pour lui, il fallait marquer d’un caractère particulier d’humanité, de pardon et de justice, le 60ème anniversaire de l’accession du pays à l’indépendance. Ce qui lui permit à la même date de signer l’ordonnance n°20/058 du 30 juin 2020 portant mesure collective de grâce.
Malheureusement, douze jours après la signature de ladite ordonnance, les politiciens-gouvernants et/ou les organisations de la société civile se penchent que sur les aspects politiques. Nous constatons à travers les rues des marches avec des casses, destructions et des réclamations pour la recherche des intérêts politiques sans pour autant aussi organiser les marches pour les personnes graciées soient effectivement libérées. Pour dire que, tout le monde se concentre pour les intérêts politiques en oubliant l’aspect droit de l’homme ou humanitaire.
Juridiquement, la présente monographie s’assigne comme majestueuse obligation d’analyser la portée juridique de cette ordonnancée (2), son contenu (3), et enfin, s’attèle prioritairement sur le plaidoyer pour une application effective (4) qui sera suivi des recommandations idoines (5).
2. Portée juridique de l’ordonnance n°20/058 du 30 juin 2020 portant mesure collective de grâce
Avant de parler sur la portée juridique propre dite (B), la méthodologie de la présente analyse nous balance du côté des notions de la grâce présidentielle (A).
A. Grâce présidentielle, quid ?
La grâce est le pouvoir qu'a le Président de la République de dispenser une personne condamnée de l'exécution de sa peine. Elle peut porter sur la totalité de la peine ou seulement sur une partie. Il permet au Président de la République de supprimer ou de réduire la peine d'un condamné. Si une personne est condamnée à une peine de prison, elle sera libérée avant d'avoir purgé la totalité de la peine. Si elle est condamnée à une peine d'amende, le montant de l'amende sera réduit. C’est un pouvoir qui tire son origine des pouvoirs régaliens du Chef de l'État (dans la Constitution). La grâce présidentielle s’oppose à l'amnistie.
Jean PRADEL cité par Charles KUGUNGU BONGWA soutient que, la grâce présidentielle est mesure de clémence, un acte de bienveillance que le pouvoir exécutif (Président de la République) prend en faveur d'un délinquant définitivement et qui a pour effet de commuer la peine en une autre qui lui est plus favorable ou de la soustraire à l'application d'une partie ou de la totalité de la peine (Jean PRADEL, cité par Charles KUGUNGU BONGWA, La grâce présidentielle dans les régimes pénitenciers en RDC, Université de Goma, Mémoire de licence en droit, 2009).
Pour bénéficier d'une grâce, il y a plusieurs possibilités : soit le Président lui-même l’ordonne (comme le cas sous revue), soit la personne condamnée à une peine d'emprisonnement ou d'amende la sollicite (par son avocat, lui-même, ami, famille), soit d’office par le Procureur. Mais la condamnation pénale doit être définitive (irrévocable, une décision colée en force des choses jugées).
Il est important d’épingler que, la grâce ne porte pas sur les sanctions non pénales. Ainsi, elle ne concerne pas les sanctions civiles (la condamnation à la réparation du préjudice de la victime).
L’amnistie est une mesure législative (parlement) exceptionnelle qui dépouille rétroactivement de leur caractère délictueux certains faits (Jean PRADEL, Droit pénal général, 11ème éd., Cujas, Paris 1996, p.419).
Pour KOLB et LETURMY, l’amnistie peut être présentée comme une mesure d'oubli, une manifestation d'un pardon, consistant à retirer le caractère d'infraction à certains faits commis dans le passé. Ce qui était infraction ne l'est plus, comme si l'élément légal de l'infraction venait à disparaître, en sorte que la peine qui s'y attachait cesse de recevoir exécution et condamnation qui lui servait d'assises est réputée n'avoir jamais existé (P. KOLB et L. LETURMY, Droit pénal général, Gualiano éditeur, EJA-Paris-2005, p, 411).
L’opulence juridique nous excite à préciser que, la grâce présidentielle n'efface pas la condamnation (le casier judiciaire reste noir), tandis que l’amnistie efface la condamnation (le casier judiciaire devient vide comme si la personne n’a jamais été condamnée). Il sied de souligner en stylo rouge que, la grâce est l’œuvre du Président (pouvoir exécutif), tandis que l’amnistie est votée sous forme d’une loi par le Parlement.
Conséquemment, la grâce vous dispense d'exécuter la peine, en totalité ou partiellement. Elle peut aussi remplacer votre peine initiale par une peine plus légère. La grâce n'empêche pas la victime des infractions d'obtenir réparation de son préjudice.
Quelles sont les infractions et peines qui ne sont pas susceptibles ni d’amnistie ni de grâce présidentielle ?
Aux termes de l’article 34 bis du Code pénal porté par la loi n° 15/022 du 31 décembre 2015 modifiant et complétant le décret du 30 janvier 1940 portant Code pénal, les crimes et les peines prévus par le titre IX relatif aux crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité sont imprescriptibles. Ils ne sont susceptibles ni d'amnistie, ni de grâce». Il s’agit des crimes contre l’humanité, de guerre et de génocide (articles 221 à 223 du code pénal).
B. Portée juridique proprement dite
Parler de la portée juridique d’un acte administratif, législatif ou judiciaire, cela renvoi inéluctablement à son fondement juridique. En effet, en sa qualité du Garant de la nation et Magistrat suprême du pays, la loi fondamentale reconnait au Président de la République le pouvoir de la grâce.
De ce fait, l’ordonnance présidentielle n°20/058 du 30 juin 2020 est prise sur chef de l’article 87 de la Constitution telle que modifiée par la loi n° 11/002 du 20 Janvier 2011 portant révision de certains articles de la Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006 qui prescrit que « le Président de la République exerce le droit de grâce. Il peut remettre, commuer ou réduire les peines ». A cet effet, il convient de préciser qu’en droit pénal congolais les peines sont prévues à l’article 5 du décret du 30 janvier 1940 portant code pénal tel que modifié et complété à ce jour.
3. Contenu de l’ordonnance n°20/058 du 30 juin 2020
Conformément à l’article 87 sus-évoquée, le Président de la République dans son ordonnance sous examen a respectivement remis, réduit et commué les peines. Ces peines doivent être prononcées dans une décision irrévocable d’une juridiction. Par décision irrévocable, il faut entendre celle qui ne peut plus faire l’objet d’une voie de recours (coulée en force des choses jugées), contrairement à une décision définitif qui peut l’être (la chose jugée).
Avant d’attaquer la teneur de cette ordonnance, permettez-nous d’assoir la sémantique de la rémission, commutation et réduction des peines.
La rémission de la peine est un acte de pardon, de grâce ou d’indulgence accordée à un prisonnier. Elle décharge le coupable de la peine ou une partie de la peine infligée par une juridiction (tribunal ou cour).
Par contre, la réduction de la peine se dit communément de toute mesure de clémence par l'effet de laquelle le condamné est dispensé de subir la peine en tout ou partie. Juridiquement, on parle d'éduction de peine, c'est-à-dire une diminution de la durée de la peine privative de liberté infligée à un condamné.
Enfin, la commutation d’une peine veut signifier transformer une peine en une peine moindre. A titre illustratif, commuer la peine de mort à celle de prison perpétuelle ou celle-ci à une peine à terme (20 ans par exemple).
Pénétrant le fond de l’ordonnance présidentielle, il faut dire qu’aux termes de l’article 1èr, la remise de la peine restant à exécuter est accordée à toute personne condamnée à une peine de servitude pénale ou de travaux forcés, inférieure à cinq ans, par décision judiciaire devenue irrévocable à la date du 30 juin 2020.
A l’article 2, il est fait la réduction de cinq ans de la peine restant à subir qui est accordée à toute personne condamnée à une peine de servitude pénale ou de travaux forcés égale ou supérieure à cinq ans, par décision judiciaire devenue irrévocable à la date du 30 juin 2020
La commutation de la peine de mort en celle de servitude pénale à perpétuité a été accordée à toute personne condamnée par décision judiciaire devenue irrévocable à la date du 30 juin 2020. La commutation de la peine de servitude pénale à perpétuité en celle de 20 ans de servitude pénale principale est accordée à toute personne condamnée par décision judiciaire devenue irrévocable à la date du 30 juin 2020 (Article 3 et 4).
La mesure présidentielle va malheureusement maintenir, en l’état, certaines catégories de condamnés, notamment des détourneurs des deniers publics, des corrupteurs, des assassins, des violeurs sexuels, des bandits à mains armées, des auteurs d’atteinte à la sécurité intérieure et extérieure de l’Etat. Il n’y a pas de confusion possible à ce sujet car le champ d’application de l’ordonnance présidentielle portant mesure de grâce en faveur des personnes définitivement condamnées par des décisions de justice est clairement délimité.
C’est le vœu de l’article 5 qui dispose que la remise, la réduction et la commutation des peines prévues aux articles 1, 2,3 et 4 ci-dessus ne sont pas accordées: aux condamnés fugitifs ou lattant, aux personnes condamnées pour les crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité et aux peines prévues par la loi n° 15/022 du 31 décembre 2015 modifiant et complétant le Décret du 30 janvier 1940 portant Code pénal et aux personnes condamnées, excepté celles qui l’ont été par l’Arrêt rendu sous RP n°1078/2002 par la Cour d’Ordre Militaire en date du 7 janvier 2003, pour les infractions ci-après :
-Violences sexuelles;
-Détournements et concussions;
-Corruption et rémunérations illicites;
-Assassinat, meurtre, vol à mains armées, association des malfaiteurs ;
-Atteinte à la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat, détention illégale d’armes de guerre et toute infraction contre l’autorité de l’Etat et l’intégrité du territoire.
4. Application de l’ordonnance portant mesure collective de grâce
Dans son ordonnance, le Président de la République charge le Vice-Premier Ministre, Ministre de la Justice et Garde des Sceaux de son exécution qui entre en vigueur à la date de la signature, c’est-à-dire le 30 janvier 2020.
Ainsi donc, à dater du 30 juin 2020, les bénéficiaires de ladite ordonnance (pour les infractions et peines visées ci-dessus) dont les décisions sont irrévocables (ne peuvent plus faire l’objet d’une voie de recours), notamment ceux qui ont été condamné à une peine à perpétuité réduite à 20 ans et qui ont totalisé ou purgé les 20 ans à la prison ; les personnes condamné à une peine de servitude pénale ou de travaux forcés égale ou supérieure à cinq ans sont présumées être sorties de leur lieu de détention. Malheureusement, cette ordonnance n’est pas effective à la date de ce jour où tous les bénéficiaires de la grâce présidentielles croupissent encore dans les geôles.
Bref, cette ordonnance présidentielle accordant collectivement la grâce présidentielle aux condamnés visés n’est pas encore en application effective.
Ayant un caractère collectif ou général, la grâce accordée par le Président de la République s’applique à tous les condamnés des juridictions civils ou militaires.
Pouvons-nous placer un mot sur le procès de 100 jours ?
Les condamnés au procès de 100 jours, ne peuvent pas bénéficier de cette grâce présidentielle diverses raisons : d’abord leur décision judiciaire (le jugement) n’est pas irrévocable et, en deuxième lieu, ils ont été reconnus coupables pour les infractions de détournement des deniers publics et corruption, ce qui ne leur permettent pas conformément à l’article 5 point 3 de l’ordonnance sous examen de bénéficier de cette magnanimité du Président de la République, magistrat suprême.
Quid des condamnés par l’arrêt rendu sous RP n°1078/2002 par la Cour d’Ordre Militaire en date du 7 janvier 2003 dans l’affaire assassinat du Feu Président Laurent Désiré Kabila ?
En date du 07 janvier 2003, la Cour d’Ordre Militaire avait condamné plus de 90 personnes qui auraient été impliquées dans l’assassinat du Feu Président Laurent Désiré KABILA. Parmi eux, 10 sont morts, dont John BOMPENGO qui est décédé en détention le 12 juillet à la prison militaire d'Angenga (à Lisala, Province de la Mongala), Patrick Kilay, Nico Bavurhe, Panda Fariala, Yav Nawej Ditend, Jean-Jacques Kakwat Mbugi, Rocky Byamungu Kachuraki, Salumu Tchap-Tchap, Gordon Kunda Ntalabo et Oscar Mayembe.
En effet, la lecture de l’article 5 de l’ordonnance portant mesure collective de grâce a accordé la réduction, la remise et la commutation des peines aux personnes condamnées par l’Arrêt rendu sous RP n°1078/2002 par la Cour d’Ordre Militaire en date du 7 janvier 2003.
Pour ceux qui sont vivants, on compte la présence du Colonel Eddy Kapend qui a été condamné à la peine de mort. Suivant cette ordonnance du 30 juin 2020, la peine du Colonel Eddy Kapend a été commuée à la peine de servitude pénale à perpétuité sous réserve d’une éventuelle grâce précédente.
Mais ceux qui ont été condamnés à des peines à terme, peuvent être libérés.
Quid de l’affaire du Dr Oly Ilunga, ancien Ministre de la santé ?
Il a été condamné pour détournement des deniers public, d’où non éligible à la grâce présidentielle conformément à l’article 5 de l’ordonnance sous examen.
5. Nos recommandations
La détention est l’exception, la liberté est la règle. Comme nous l’avons toujours dit, dans un état de droit, tous les textes juridiques (loi ou règlement) doivent être observés scrupuleusement.
En lieu et place de faire des marches pour avoir des postes politiques, nous vous recommandons de marcher pour la libération de toutes les personnes bénéficiaires de la grâce présidentielle mais détenues encore injustement dans les établissements pénitentiaires du pays dans des conditions vandales.
Le Ministre de la Justice à qui, le Président à charger, est prié de mettre en application l’ordonnance présidentielle qui produit ses effets il y a douze jours, mais les bénéficiaires souffrent dans les prisons et maisons d’arrêt.
S’il échet et dans le cas où le Ministre de la justice a pris une circulaire instruisant aux Procureurs généraux, Auditeurs des FARDC, Procureurs de la Républiques et Auditeurs de Garnison d’exécuter cette ordonnance, nous les rappeler de le faire prestement, car étant autorités judiciaire, ils sont le rempart des faibles, sentinelle de la loi et gardien des droits humains. Cela constituera sans ambages une consolidation d’un Etat de droit prôné par le Chef de l’Etat.
Aux organismes de défenses des droits de l’homme de s’y atteler fermement par des déclarations et démarches afin que les bénéficiaires de la grâce présidentielle soient libérés.
Fait à Mbandaka, le 12 juillet 2020 à 18h25’
Maitre Edmond Mbokolo Elima