Le bilan social : une obligation sociale des Entreprises et Etablissements en droit congolais du travail
Introduction
Le législateur congolais, dans sa politique sociale visant à protéger les employés (nationaux et étrangers) vis-à-vis des employeurs, a mis sur pied la loi n°015-2022 du 16 octobre 2002 portant code du travail telle que modifiée et complétée par la loi n°16/010 du 15 juillet 2016, contenant des dispositions d’ordre impératif.
C’est exactement le cas de l’article 218, qui oblige à toute entreprise ou tout établissement de faire parvenir, au moins une fois par an, à l’Inspection du travail (Générale, Provinciale ou Urbaine) ainsi qu’à l’Office National de l’Emploi, ONEM en sigle, une déclaration sur la situation de la main-d’œuvre nationale et étrangère employée. Ils sont tenus en outre et dans le même ordre d’idées, de fournir chaque année, un bilan social auprès des services sus-cités.
Ceci rentre bel et bien dans le cadre de la politique nationale de l’emploi que l’Etat congolais est regardant afin de permettre à sa population d’être à l’abri des inégalités sociales d’une part, et d’autre part, victimes étant économiquement faibles face aux entrepreneurs.
Considérant que, dans la pratique de notre pays, nombreux employeurs bafouent ces exigences légales à caractère impératif instituées par la loi sous examen, un arrêté interministériel a été signé en date du 02 août 2022 entre le Ministre des Finances et celui du Travail et de la Prévoyance sociale prévoyant des amandes transactionnelles contre les employeurs qui ne daignent observer la réglementation social en RDC, et plus particulièrement, le défaut de se conformer à l’article 218 sous revue.
Néanmoins, bien qu’étant prévu à l’article évoqué précédemment, une confusion a élu domicile dans le chef des juristes, comptables, chefs d’entreprises, conseillers juridiques ou avocats, au tour du concept « bilan social », dont les uns pensent qu’il s’agit du bilan en terme commercial (comptable), et les autres disent qu’il s’agit d’une simple situation sociale de l’entreprise ou établissement.
C’est dans cette expectative que la présente monographie s’assigne comme objectif de définir les concepts « bilan social » et « bilan comptable » pris dans le sens commercial (1), avant de s’attarder autour des éléments qui composent un bilan social (2), sa périodicité et les modalités pécuniaires pour son dépôt (3), et enfin, s’appesantir autour des amandes transactionnelles prévues pour cause d’inobservance de cette exigence (4).
1. Analyse conceptuelle
Il est question ici, de définir tour à tour, les notions bilan social (1.1) et bilan (comptable) pris au sens commercial (1.2).
1.1. Bilan social
En examinant le Lexique des termes juridiques, le bilan social est compris comme « un document chiffré, établi par le chef d’entreprise après consultation des représentants du personnel et faisant apparaître la situation de l’entreprise dans le domaine social » (Serge Guinchard et Thierry Debart, Lexique des termes juridique, 25ème éd., Dalloz, Paris, 2017-2018, p.288 ; Valérie Ladegaillerie, Lexique des termes juridiques, Anaxagora, Collection Numérique, 2005, p.29).
Agendrix renchérit que, le bilan social est un document qui regroupe toutes les informations chiffrées relatives à la situation de l’emploi au sein d’une entreprise afin d’avoir une vision globale de la santé sociale de l’organisation au cours d’une année (Agendrix, Qu’est-ce qu’un bilan social ?, www.agendrix.com).
Il s’agit d’un document rendant compte des conditions de travail et de salaire des employés d’une entreprise ou un établissement.
1.2. Bilan, pris au sens commercial (comptable)
Pour Valérie Ladegaillerie, le bilan pris au sens du droit commercial « est un tableau récapitulatif de l'actif et du passif d'un commerçant ou d'une entreprise à une date déterminée » (V. Ladegaillerie, Op.cit., p.29).
Le Lexique du Greffe du tribunal de commerce de Paris entend par le bilan, un compte représentatif du patrimoine de l’entreprise sous forme de deux colonnes établissant les biens (actifs) et les dettes (passif).
Le bilan constitue, conformément à l’article 8 de l’acte uniforme de l’OHADA du 24 mars 2000 portant organisation et harmonisation des comptabilités des entreprises, un des éléments qui composent les états financiers.
Le bilan, selon l’article 30 de l’Acte uniforme de l’OHADA du 27 janvier 2017 relatif au droit comptable et à l’information financière, fait apparaitre de façon distincte :
- A l’actif : l’actif immobilisé, l’actif circulant, la trésorerie-passif et l’écart de conversion actif ;
- Au passif : les ressources stables, le passif circulant, la trésorerie-passif et l’écart de conversion-passif.
Eu égard à ce qui précède, il faut comprendre que, le bilan social décrit la situation de l’entreprise en terme de l’effectif du personnel à la clôture de l’exercice, au chiffre d’affaire, aux conditions d’hygiène et de sécurité du travail, la durée du travail, les formations professionnelles et de performance, etc...
Par contre le bilan au sens commercial ou comptable, est un document qui retrace les avoirs (actif et passif) de l’entreprise au cours d’un exerce comptable, et qui est annexé aux états financiers de synthèses.
Le bilan social est à déposer à l’Office National de l’Emploi car il décrit les conditions du travail et à l’Inspection du travail. Par contre, le bilan au sens comptable est à déposer accompagné des états financiers au Conseil Permanent de la Comptabilité (CPCC), à la Direction Général des Impôts lors du dépôt de la preuve de paiement de l’Impôt sur le Bénéfice et Profits, à la Division des Finances (ou au CPCC), à la Division de l’Economie Nationale et au greffe du RCCM s’il s’agit des sociétés commerciales.
2. Composantes du bilan social
D’après Maxence Kiyana, Avocat et Formateur certifié par le Cabinet International CCM Worldwide, un bilan social doit avoir les composantes suivantes :
- L’identification de l’entreprise ;
- Le chiffre d’affaire ;
- L’emploi (effectifs, répartition par sexe, répartition par âge de l’effectif rémunéré au 31 décembre, répartition par nationalité, départs au cours de l’année, promotion, chômage partiel, absentéisme, etc...) ;
- La rémunération et autres charges ;
- Les conditions de sécurité au travail et d’hygiène
- La durée du travail ;
- Les formations professionnelles ou de performance ;
- Les relations professionnelles ;
- Les Autres conditions de vie relevant de l’entreprise ;
- Et enfin, la signature du déclarant.
3. Périodicité et modalité de dépôt ou fourniture
Normalement, le bilan social doit être fourni comme en est le cas de la déclaration sur la situation de la main –d’œuvre nationale et étrangère employée, au début (31 janvier) de l’année qui suit celle de la clôture de l’exercice social.
Les droits à payer lors du dépôt de cette déclaration sont fixés modiquement à 200 USD (deux cents dollars américains) suivant l’arrêté interministériel n°005/CABMIN/ETPS/06 /2022 et n°048/CAB/MIN/FINANCES/2022 du 02 août 2022 modifiant et complétant l'Arrêté interministériel n°001/CAB/MINETAT/METPS/01 /2019 et n° CAB/MIN/FINANCES/2019/138 du 28 novembre 2019 portant fixation des taux des droits, taxes et redevances à percevoir à l'initiative du Ministère de l'Emploi, Travail et Prévoyance Sociale.
Par ailleurs, l’article 218 du code du travail prévoit deux services auxquels le bilan social doit être déposé, en l’occurrence l’Inspection du travail et l’Office National de l’Emploi.
Le paiement n’est pas double, c’est-à-dire que si le dépôt est effectué à l’ONEM, ce dernier délivre une quittance de paiement, et le déclarant dépose une copie de la déclaration + la preuve de paiement à l’Inspection du travail. Cette dernière ne peut plus solliciter un nouveau paiement.
4. Amendes transactionnelles
Le non dépôt du bilan social dans le délai (au 31 janvier) constitue sans nul doute une violation flagrante des dispositions légales et règlementaires en matière d’Emploi et Prévoyance Sociale, et est sanctionné d’une amande transactionnelle allant de 1.000 à 5.000 USD (ce chiffre est à discuter, raison pour laquelle il est dit transactionnel).
Conclusion
Le bilan social étant un document qui retrace la situation générale relative au fonctionnement de l’entreprise ou établissement dans le contexte purement du code du travail, son établissement ou le dépôt demeure irréfutablement une exigence légale prévue à l’article 218 alinéa 2, qui doit être accomplie au plus tard le 31 janvier de l’année qui suit la clôture de l’exercice social, et ce, moyennant paiement de 200 USD.
Néanmoins, étant important pour permettre au Gouvernement de piloter son action sociale et surtout contrôle la situation des travailleurs d’une part et d’autre part, renflouer les caisses de l’Etat, l’inobservance de cet impératif est sanctionnée par une amende allant de 1.000 à 5.000 USD.
Nous osons croire que nombreuses entreprises (sociétaires ou individuelles) sont affermies après lecture de cette édification juridique.
Références bibliographiques
1. Acte uniforme du 27 janvier 2017 relatif au droit comptable et à l’information financière.
2. Acte uniforme du 24 mars 2000 portant organisation et harmonisation des comptabilités des entreprises.
3. Loi n°015-2022 du 16 octobre 2002 portant code du travail telle que modifiée et complétée par la loi n°16/010 du 15 juillet 2016.
4. Arrêté interministériel n°005/CABMIN/ETPS/06 /2022 et n°048/CAB/MIN/FINANCES/2022 du 02 août 2022 modifiant et complétant l'Arrêté interministériel n°001/CAB/MINETAT/METPS/01 /2019 et n° CAB/MIN/FINANCES/2019/138 du 28 novembre 2019 portant fixation des taux des droits, taxes et redevances à percevoir à l'initiative du Ministère de l'Emploi, Travail et Prévoyance Sociale.
5. Guinchard (S.) et Debart (T.), Lexique des termes juridique, 25ème éd., Dalloz, Paris, 2017-2018.
6. Ladegaillerie (V.), Lexique des termes juridiques, Anaxagora, Collection Numérique, Paris, 2005.
7. Maxence Kiyana, Déclaration annuelle de la situation de la main d’œuvre et le bilan social, www.legavox.fr, consulté le 11 février 2023.
8. Agendrix, Qu’est-ce qu’un bilan social ? www.agendrix.com, consulté le 11 février 2023.
9. La Lexique du Greffe du tribunal de commerce de Paris.
Auteur :
Me Edmond Mbokolo Elima | Kinshasa-RDC 11 février 2023
Avocat au Barreau de l’Equateur, Assistant à la Faculté de Droit
Chercheur en droit à l’Université de Kinshasa
Tél. : +243822522855