Le jugement rendu au canada conformément au droits congolais et canadien.
Maitre Edmond MBOKOLO ELIMA a été cité au parapgraphe 90.
Décision
Droit de la famille — 19339 |
2019 QCCS 805 |
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COUR SUPÉRIEURE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
QUÉBEC |
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N° : |
200-12-086628-162 |
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DATE : |
Le 18 février 2019 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
CARL THIBAULT, j.c.s. |
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F... R..., domiciliée et résidant au [...], district et province de Québec, [...];
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Demanderesse |
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c. |
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P... N..., domicilié et résidant au [...], district et province de Québec, [...];
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Défendeur |
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JUGEMENT |
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I. APERÇU
[1] Le Tribunal est saisi d’une demande en divorce présentée par F... R... envers P... N....
[2] Lors de l’audition, les parties ont réglé l’ensemble des mesures accessoires au divorce et la seule question à trancher est celle de déterminer s’il y a bel et bien eu mariage entre les parties.
[3] La Demanderesse soutient que le mariage a été célébré à Ville A en République Démocratique du Congo, le 28 juin 1997.
[4] Pour sa part, le Défendeur nie s’être marié avec la Demanderesse.
II. Questions en litige
1. Y a-t-il eu mariage entre les parties?
2. Dans l’affirmative, le mariage est-il valide?
III. CONTEXTE
[5] Les parties sont nées à Ville A en République Démocratique du Congo, la Demanderesse, le [...] 1979 et le Défendeur, le [...] 1969.
[6] La Demanderesse mentionne qu’elle a fait la rencontre du Défendeur en 1995. À cette époque, elle était âgée d’environ 16 ans. Elle était étudiante et habitait chez ses parents à Ville A. Pour sa part, le Défendeur travaillait à titre d’infirmier superviseur dans les centres de santé, et ce, de village en village.
[7] La Demanderesse relate que la fréquence des rencontres était en fonction du travail du Défendeur. Au fil du temps, une relation amoureuse s’est établie entre les parties.
[8] Selon madame R..., sa relation avec le Défendeur n’était pas bien accueillie par sa famille étant donné qu’ils n’étaient pas de la même origine ethnique. Elle provenait de la tribu A et le Défendeur, de [la tribu B].
[9] À cette époque, il y avait des tensions raciales entre diverses tribus. Celle de la Demanderesse était perçue comme traitresse à celle du Défendeur, ayant porté main-forte aux rebelles. De ce fait, la famille du Défendeur la percevait également comme une déloyale.
[10] Seuls son frère et sa sœur étaient au courant de sa relation avec le Défendeur. Il ne fallait pas en parler à ses parents, dit-elle.
[11] Considérant les diverses tensions raciales et d’un commun accord avec le Défendeur, ils décidèrent qu’il était préférable de quitter Ville A. Ils prirent donc la décision de se marier pour faciliter leurs déplacements à travers le pays et les passages aux frontières afin de se rendre au [pays A] pour y trouver refuge. Le Défendeur étant issu d’une ethnie connue, il pourrait aussi assurer une certaine forme de sécurité à la Demanderesse qui n’était alors âgée que de 18 ans.
[12] Elle allègue que le Défendeur se porta garant et organisa la célébration du mariage qui eut lieu à Ville A le 28 juin 1997, et ce, à l’église que fréquentait le Défendeur.
[13] Lors du mariage, elle était accompagnée de ses deux frères. Son frère R... lui servit de témoin.
[14] Elle indique qu’il n’y eut pas de dot due au fait qu’il n’y avait pas d’entente entre les deux familles. Elle se donna elle-même, dit-elle.
[15] Considérant que l’entourage du Défendeur ne voulait pas que ce dernier se marie avec une [femme d’origine A], le mariage ne fut pas approuvé par la famille de ce dernier. C’est ainsi que le Défendeur fut uniquement accompagné que par ses amis et connaissances. D’ailleurs, un de ses amis a agi à titre de témoin.
[16] Elle mentionne que la célébration se déroula en après-midi et qu’il y eut un maximum de 15 personnes qui y assista. La célébration du mariage fut présidée par le pasteur S… et dura environ une heure.
[17] Lorsque le mariage fut célébré et après les vœux, les papiers officiels furent signés par cette dernière et son frère. Pour sa part, le Défendeur les signa également, et ce, accompagné de son témoin. Quant aux certificats de mariage, elle croit qu’ils ont été signés en deux copies et présume qu’ils étaient rédigés en français.
[18] C’est le Défendeur qui fut chargé de transférer les papiers officiels à la mairie de Ville A pour les faire certifier, dit-elle.
[19] Elle mentionne que suite à la cérémonie, ils se déplacèrent à la résidence du Défendeur pour le repas.
[20] C’est alors qu’elle commença à faire vie commune avec le Défendeur et habita la résidence de ce dernier.
[21] Par la suite, elle indique avoir terminé ses études secondaires et s’être trouvé un emploi à titre d’enseignante dans son quartier, à proximité de sa résidence. Pour sa part, le Défendeur travaillait toujours comme infirmier.
[22] Elle relate que lorsque la guerre a éclaté, les rebelles ont bombardé la Ville A. Leur résidence et son contenu ont été complètement détruits. Elle et ses deux enfants se réfugièrent chez les religieuses. Quant au Défendeur, il fut kidnappé par les rebelles[1].
[23] Elle quitta alors la Ville A avec ses enfants pour se rendre à Ville B, une ville située à la frontière [du pays B] et du [pays A]. Le trajet fut d’une durée de 3 à 5 mois.
[24] La Demanderesse ne peut préciser la durée de sa séparation avec le Défendeur. Cependant, ce dernier parvint à les retrouver et les rejoindre à Ville B. Par la suite, ils trouvèrent refuge au [pays A] et y demeurèrent de 2001 à 2004.
[25] Elle mentionne qu’ils ont réussi à se trouver du travail dans un organisme, mais durent quitter le [pays A] suite aux démêlés judiciaires du Défendeur. C’est ainsi qu’ils se rendirent [au pays B] et y demeurèrent jusqu’en 2006.
[26] Lorsqu’elle était [au pays B], elle ne travaillait pas et demeurait à la maison avec les enfants. Pour sa part, le Défendeur avait une clinique dans leur quartier et réussissait à faire vivre la famille.
[27] La demanderesse mentionne qu’elle ne se sentait pas en sécurité étant donné qu’il y avait des gens qui se faisaient kidnapper. Ils décidèrent de quitter [le pays B] avec les enfants.
[28] Ils ont traversé le [pays C] pour atteindre la frontière [du pays D]. Avec l’aide du consulat du Congo, le Défendeur réussit à obtenir des laissez-passer et ils ont été reçus [au pays D] à titre de réfugiés. Ils y sont demeurés de 2006 à 2008. C’est alors qu’ils entreprirent des démarches pour immigrer au Canada.
[29] Elle relate que les documents pour obtenir une résidence permanente au Canada ont été complétés [au pays D] et font mention que les parties sont mariées[2].
[30] Elle indique qu’ils sont arrivés au Canada le 2 décembre 2008 et se sont établis à Ville C. Elle était alors enceinte de son troisième enfant.
[31] Elle a fait vie commune avec le Défendeur jusqu’en 2015. Elle le décrit comme un homme violent, tant envers elle que les enfants.
[32] Elle relate que durant leur vie commune, le Défendeur ne lui a jamais mentionné qu’ils auraient contracté un faux mariage. À l’époque, elle était jeune, confiante et en amour avec ce dernier.
[33] Elle indique que le défendeur vient d’une famille influente. Il est chrétien et agissait à titre de pasteur à l’église. Elle l’accompagnait à l’église le dimanche et était reconnue dans la communauté comme étant la femme du pasteur.
[34] Finalement, elle précise que dans les documents officiels confirmant leur statut de résidents permanents au Canada, les parties se considèrent comme mariées[3].
[35] R... M... a témoigné par visioconférence pour la Demanderesse, mais son témoignage a été suspendu étant donné qu’il était inaudible.
[36] Le Défendeur, quant à lui, mentionne qu’en 1997, il habitait la zone urbaine nommée [zone A], située dans la Ville A.
[37] Il a rencontré pour la première fois la Demanderesse en 2003, dans la province A au [pays A]. Par la suite, il relate l’avoir revue en 2004, alors qu’elle était pair éducateur des enfants de la rue. Leur relation débuta à ce moment-là.
[38] En 2005, sa vie était en danger au [pays A]. Il dut quitter, avec la Demanderesse et son enfant, pour se rendre [au pays B]. Ils y sont demeurés environ un an, mais la vie n’était pas facile. Il y avait des conflits ethniques et les [...] s’attaquaient à sa femme[4]. C’est alors qu’il quitta [le pays B] pour se rendre au [pays C], et ce, avec l’intention de se rendre [au pays D].
[39] En 2006, il émigra le premier [au pays D] en laissant la Demanderesse et les enfants derrière lui.
[40] Il compléta les documents du Haut-commissariat des réfugiés et la Demanderesse et les enfants, qui attendaient à la frontière du [pays C] et [du pays D], le rejoignirent avec l’aide d’un pasteur.
[41] Il mentionne avoir menti en indiquant dans sa déclaration au Haut-commissariat des réfugiés que la Demanderesse était son épouse. C’était pour la protéger, dit-il. Il ne croit pas que la Demanderesse aurait pu se réfugier [au pays D], n’eût été cette mention mensongère.
[42] Il argue ne s’être jamais marié avec la Demanderesse.
[43] En 2006, au [pays C], il rencontra pour la première fois le frère de la Demanderesse, R... M.... Il a également fait la connaissance, au [pays A], d’un autre frère de la Demanderesse, un dénommé J....
[44] Durant sa vie commune avec la Demanderesse, ils se comportaient tous deux comme des amis, des conjoints de fait. Il prétend également que le mariage n’existe pas au Congo.
[45] Finalement, le Défendeur reconnait qu’il se déclare marié sur les divers documents officiels depuis sa présence au Canada en 2008.
[46] Monsieur Jo... D... est le frère du défendeur.
[47] Il a connu l’existence de la Demanderesse en 2006 lorsqu’elle était en déplacement pour se rendre à la frontière [du pays D]. Cependant, il ne l’a jamais rencontrée, dit-il.
[48] Il relate que le Défendeur était en couple avec la Demanderesse, mais n’était pas marié.
[49] J3... D... est le neveu du Défendeur. Il relate avoir habité avec sa famille élargie à Ville A de 1985 à 2009. Depuis le 23 mai 2012, il demeure à Ville D.
[50] En 1997, le Défendeur habitait avec sa famille à Ville A. Ils se voyaient régulièrement, même si le Défendeur quittait pour des séjours à l’étranger en raison de son travail.
[51] À cette époque, Ville A vivait une période de guerre et d’instabilité.
[52] Il a perdu contact avec le Défendeur lorsque ce dernier a quitté le Congo.
[53] Il relate avoir rencontré la Demanderesse pour la première fois lorsqu’il est arrivé au Canada. Les parties vivaient alors ensemble et la Demanderesse avait ses enfants.
[54] Il précise ne pas avoir eu connaissance d’un mariage entre les parties.
IV. LE DROIT
[55] Il importe de reproduire les articles suivants du Code civil du Québec[5] à savoir :
139. Acte hors Québec détruit ou introuvable - Si l’acte de l’état civil dressé hors du Québec a été perdu, détruit ou s’il est impossible d’en obtenir une copie, le directeur de l’état civil ne peut dresser un acte de l’état civil ou porter une mention sur un acte qu’il détient déjà que s’il y est autorisé par le tribunal.
378. Preuve du mariage - Le mariage se prouve par l’acte de mariage, sauf les cas où la loi autorise un autre mode de preuve.
379. Défaut de forme - La possession d’état d’époux supplée aux défauts de forme de l’acte de mariage.
380. Action en nullité - Le mariage qui n’est pas célébré suivant les prescriptions du présent titre et suivant les conditions nécessaires à sa formation peut être frappé de nullité à la demande de toute personne intéressée, sauf au tribunal à juger suivant les circonstances.
382. Époux de bonne foi - Le mariage qui a été frappé de nullité produit ses effets en faveur des époux qui étaient de bonne foi.
2809. Droit hors Québec - Le tribunal peut prendre connaissance d’office du droit des autres provinces ou territoires du Canada et du droit d’un État étranger, pourvu qu’il ait été allégué. Il peut aussi demander que la preuve en soit faite, laquelle peut l’être, entre autres, par le témoignage d’un expert ou par la production d’un certificat établi par un jurisconsulte.
Droit applicable - Lorsque ce droit n’a pas été allégué ou que sa teneur n’a pas été établie, il applique le droit en vigueur au Québec.
3088. Validité de fond - Le mariage est régi, quant à ses conditions de fond, par la loi applicable à l’état de chacun des futurs époux.
Validité de forme - Il est régi, quant à ses conditions de forme, par la loi du lieu de sa célébration. Toutefois, lorsque l’un des époux est domicilié au Québec et est mineur au moment de la célébration du mariage, cette dernière doit être autorisée par le tribunal.
[56] Il importe également de reproduire les dispositions pertinentes du Code de la famille démocratique du Congo à savoir[6] :
330. Le mariage est l’acte civil, public et solennel par lequel un homme et une femme, qui ne sont engagés ni l’un ni l’autre dans les liens d’un précédent mariage enregistré, établissent entre eux une union légale et durable dont les conditions de formation, les effets et la dissolution sont déterminés par la présente loi.
361. Le futur époux et sa famille doivent convenir avec les parents de la future épouse d’une remise de biens et/ou d’argent qui constituent la dot au bénéfice des parents de la future épouse.
Le mariage ne peut être célébré que si la dot a été effectivement versée au moins en partie.
Nonobstant toute coutume contraire, la dot peut être symbolique.
[57] L’honorable Daniel W. Payette, j.c.s., résume le droit applicable quant à l’existence du mariage et son annulation[7] :
[…]
[21] Les conditions de forme du mariage se retrouvent au Code civil du Québec alors que les conditions de fond sont à la Loi d’harmonisation no 1 du droit fédéral avec le droit civil (la « Loi »).
[22] Celle-ci prévoit notamment que le mariage requiert le consentement libre et éclairé des deux personnes de se prendre mutuellement pour époux.
[23] Quant aux conditions de forme, le Code civil du Québec prévoit que le mariage est régi par la loi du lieu de sa célébration ou par la loi de l’état du domicile ou de la nationalité de l’un des époux.
[24] Par ailleurs, l’article 380 C.c.Q. prévoit :
380. Le mariage qui n’est pas célébré suivant les prescriptions du présent titre et suivant les conditions nécessaires à sa formation peut être frappé de nullité à la demande de toute personne intéressée, sauf au tribunal à juger suivant les circonstances.
L’action est irrecevable s’il s’est écoulé trois ans depuis la célébration, sauf si l’ordre public est en cause.
[25] Cela dit, l’article 382 C.c.Q. stipule que le mariage frappé de nullité produit ses effets en faveur des époux qui étaient de bonne foi.
[26] La jurisprudence distingue le mariage inexistant du mariage nul. Le mariage inexistant est celui pour lequel il y a eu défaut total de célébration.
[27] Quant aux règles relatives à la nullité du mariage, il y a lieu de se référer aux articles 1416 et suivants C.c.Q. qui distinguent les causes de nullité absolue d’un contrat des causes de sa nullité relative. L’article 1421 C.c.Q. prévoit qu’à moins d’indication contraire de la loi, le contrat qui n’est pas conforme aux conditions nécessaires à sa formation est présumé n’être frappé que de nullité relative. Un tel contrat est susceptible de confirmation.
[28] L’auteur Michel Tétrault précise que les tribunaux n’accordent pas à la légère les demandes d’annulation de mariage.
[29] Ainsi, c’est dans son contexte que doit s’évaluer une demande d’annulation de mariage.
[…]
[Les soulignements du Tribunal]
[58] Également, l’honorable Louis Lacoursière, j.c.s., résume le droit applicable quant à la reconnaissance de l’existence d’un mariage[8] :
[…]
[42] Le mariage célébré hors du Québec entre deux personnes sujettes à ses lois est valable s’il est célébré dans les formes usitées au lieu de sa célébration.
[…]
[44] Il est quand même utile, vu la succincte analyse qui suit du concept de mariage inexistant, de référer à l’article 380 du Code civil du Québec.
380. Le mariage qui n’est pas célébré suivant les prescriptions du présent titre et suivant les conditions nécessaires à sa formation peut être frappé de nullité à la demande de toute personne intéressée, sauf au tribunal à juger suivant les circonstances.
L’action est irrecevable s’il s’est écoulé trois ans depuis la célébration, sauf si l’ordre public est en cause.
[…]
[46] Les auteurs Pineau et Pratte décrivent brièvement comment s’est développée la théorie de l’inexistence et décrivent le mariage inexistant comme suit :
Le mariage inexistant était celui auquel il manquait un élément absolument essentiel à son existence; on en citait trois cas : le mariage pour lequel il y avait eu absence totale de consentement, celui de deux personnes du même sexe et celui pour lequel il y avait eu défaut total de célébration.
Ce mariage inexistant se distinguait évidemment du mariage nul de nullité relative - celui-ci étant seulement atteint d’un vice qu’il était possible de faire disparaître -, mais il se différenciait aussi du mariage nul de nullité absolue : l’annulation de ce mariage par le tribunal était nécessaire à la disparition rétroactive de ses effets alors qu’il était théoriquement inutile de demander au tribunal de prononcer l’inexistence de l’acte; celui-ci n’aurait pu qu’en constater l’inexistence. Une personne ayant contracté un «mariage» inexistant, pouvait ainsi se remarier sans avoir besoin de demander au tribunal de déclarer nul le premier. Le mariage inexistant étant donc le néant même, sa constatation par le tribunal n’était pas nécessaire (encore que, constatant l’inexistence, le tribunal détruisait une … apparence de mariage). De plus, puisqu’il s’agissait du néant, ce mariage inexistant n’avait jamais pu produire d’effets et, en conséquence, la théorie du mariage putatif lui était étrangère.
[47] Après avoir précisé que Mignault repoussait la théorie de l’inexistence et avoir constaté que la jurisprudence employait indifféremment des termes tels que «mariage inexistant, nul, illégal et invalide», les auteurs poursuivent en disant que l’article 380 énonce un principe général qui rend maintenant, de façon générale, superflu le recours au concept d’inexistence du mariage :
Aujourd’hui, le Code civil du Québec ne précise plus chacun des motifs de nullité. Il énonce plutôt un principe général «le mariage qui n’est pas célébré selon les prescriptions énoncées au chapitre du mariage et suivant les conditions nécessaires à la formation peut, selon l’article 380 C.c.Q. être frappé de nullité.»
[…] De prime abord, le recours au concept d’inexistence ne semble donc plus nécessaire, sauf peut-être dans le cas d’absence de célébration. […]
[…]
[59] De plus, l’honorable Louise Lemelin, j.c.s., précise ce qui suit lorsqu’un acte de l’état civil dressé hors Québec a été perdu ou détruit, ou lorsqu’on ne peut en obtenir une copie[9] :
[…]
[77] On peut aborder le dossier sous plusieurs facettes. Rappelons les règles et principes les plus pertinents pour solutionner ce singulier litige pour lequel on ne demande pas de prononcer la nullité du mariage, mais d’en reconnaitre la validité.
[78] La demanderesse a le fardeau d’établir la validité du mariage qu’elle veut faire reconnaître. Ce mariage célébré au Québec, entre deux personnes y ayant leurs domiciles, est assujetti aux conditions imposées au Code civil du Québec (article 3088 C.c.Q.).
[79] Le mariage se prouve par l’acte de mariage, comme le prescrit l’article 378 C.c.Q., «sauf dans les cas où la loi autorise un autre mode de preuve». Le législateur ne précise pas les autres cas où une preuve différente est admissible.
[80] Les auteurs Pineau et Pratte suggèrent que le seul cas identifié est l’exception de l’article 139 C.c.Q., c’est-à-dire lorsqu’un acte de l’état civil dressé hors Québec a été perdu, détruit ou si on ne peut en obtenir une copie. Par exemple, les tribunaux québécois acceptent une preuve par affidavit dans les cas où les registres appropriés ne sont plus disponibles ou accessibles pour des raisons politiques ou d’état de guerre du pays d’origine.
V. ANALYSE
1. Y a-t-il mariage entre les parties?
[60] La Demanderesse a présenté une preuve prépondérante qu’un mariage a été célébré entre les parties.
[61] Son témoignage sur le récit des événements qui ont mené au mariage du 28 juin 1997 est franc, honnête et non cousu de fil blanc. Le Tribunal croit la Demanderesse. Elle a témoigné avec aplomb et sincérité. L’ensemble de son témoignage est crédible et supporté par la preuve.
[62] Les parties ont vécu la guerre et les tensions raciales dans leur pays d’origine. Ils ont obtenu leur statut de réfugié au Canada en raison des sévices subits par la Demanderesse[10].
[63] Ainsi, le mariage s’inscrit dans un contexte légitime de protection et de sécurité de la Demanderesse.
[64] Cette dernière explique que le mariage n’est pas approuvé par les familles des parties compte tenu des tensions raciales. C’est pourquoi il n’y a pas eu de versement de la dot par le futur époux et sa famille au bénéfice de la famille de la future épouse.
[65] Tel que mentionné par la Demanderesse, la cérémonie, modeste, ne fut que d’une durée d’au plus une heure, et ce, contrairement à la tradition congolaise.
[66] Il a été prouvé que les parties ont été dans l’obligation de quitter la Ville A et leur pays d’origine en raison de la guerre. Il a été impossible à la demanderesse d’emmener avec elle quelque document que ce soit, tout ayant été détruit.
[67] Lors du mariage, elle n’avait que 18 ans et était étudiante. Pour sa part, le Défendeur était âgé de 26 ans et occupait déjà un bon travail. Il s’est occupé du mariage, de la signature et du dépôt des documents officiels. Le Tribunal retient que lesdits documents pouvant établir l’existence du mariage entre les parties ont été perdus ou détruits lors de la guerre.
[68] Le Tribunal conclut qu’il y a eu mariage entre les parties. D’ailleurs, jusqu’au dépôt des présentes procédures par la Demanderesse, le Défendeur s’était toujours comporté comme étant l’époux de cette dernière.
[69] Dans la documentation nécessaire à l’obtention du statut de réfugié, les parties sont déclarées comme mariées et originaires du Congo[11]. De plus, on y indique que le Défendeur est le père des enfants de la Demanderesse[12].
[70] Par ailleurs, l’entrevue de la Demanderesse avec madame Louise Aubin, officier de protection senior, confirme que le Défendeur déclare être l’époux de la Demanderesse[13].
[71] Par surcroît, on constate à la confirmation de résidence permanente de la Demanderesse que celle-ci déclare le Défendeur comme époux et que ce dernier fait de même sur sa propre confirmation[14].
[72] Il est également révélateur de constater que sur le contrat de vente de la résidence familiale daté du 24 mai 2013, les parties se déclarent comme étant mariées en vertu des lois du Congo où ils étaient domiciliés lors de leur mariage:
[…]
État civil et régime matrimonial
P... N... et F... R... déclarent être mariés ensemble en vertu des lois du Congo où ils étaient domiciliés, lors de leur mariage et que depuis, leur état civil et leur régime matrimonial n’ont été et ne sont l’objet d’aucun changement[15].
[…]
[73] Le Tribunal ne croit pas le Défendeur et n’accorde aucune crédibilité à son témoignage lorsqu’il allègue ne pas s’être marié avec la Demanderesse.
[74] Le Tribunal considère que les parties n’étaient pas simplement que des amis ou des conjoints de fait. D’ailleurs, lors de son témoignage, monsieur désigne la Demanderesse comme étant sa femme lorsqu’il décrit comment cette dernière se faisait attaquer par les Tutsis[16].
[Les soulignements du Tribunal]
[75] Également, le Tribunal ne peut retenir les explications du Défendeur lorsqu’il allègue, en contre-interrogatoire, qu’il ne connait pas la différence entre «marié» et «conjoint de fait» pour expliquer pourquoi il se déclare marié sur les documents officiels depuis son arrivée au Canada en 2008[17].
[76] En contre-interrogatoire, il précise, en 1999, être allé au [pays A] pour accompagner la maman de L… et tous les gens qui devaient sortir[18]. Cette version est invraisemblable puisqu’il déclare par ailleurs avoir vu la Demanderesse pour la première fois en 2004. De plus, le fait d’expliquer avoir reconnu la demanderesse lorsqu’il la rencontra en 2004, et ce, en relation avec une photo d’un passage en 1994, est totalement invraisemblable[19].
[77] Par surcroît, les explications du Défendeur sont également invraisemblables lorsqu’il explique qu’il a quitté le [pays A] suite à une accusation de viol à son endroit dont il en attribue la responsabilité à la Demanderesse dû à l’achat, par cette dernière, d’une carte d’identité pour et à l’acquis du défendeur[20].
[78] Le Tribunal a pu observer le Défendeur lors de son témoignage. À plusieurs reprises, il ne répondait pas aux questions qui lui étaient posées. Le Tribunal n’accorde aucune crédibilité à son témoignage.
[79] Le soussigné considère crédible le témoignage de monsieur Jo… D.... En 1997, il mentionne habiter la résidence familiale à Ville A et confirme que le Défendeur se déplace pour son travail. Cependant, la preuve est lacunaire concernant les activités du Défendeur entre les années 1997 et 2015. Il précise que la Demanderesse est l’ex-épouse du Défendeur, qu’ils vivaient en couple et qu’il ne l’a jamais vue physiquement.
[80] Selon ce dernier, ils ne se sont jamais mariés.
[81] Le Tribunal considère qu’il est plus que plausible que la célébration du mariage a eu lieu sans qu’il soit informé de sa tenue.
[82] Le témoignage de monsieur J3... D… est également crédible. Il allègue être demeuré au Congo de 1985 à 2009 et que le Défendeur habitait avec sa famille en 1997.
[83] En 1997, il confirme que la guerre faisait rage à Ville A et qu’il y régnait énormément d’instabilité.
[84] Cependant, il ne peut donner de précisions quant aux allées et venues du Défendeur entre 1997 et son arrivée au Canada. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il mentionne avoir rencontré pour la première fois la Demanderesse et ses enfants au Canada.
[85] Le Tribunal conclut également que la célébration du mariage a bel et bien pu avoir lieu sans que monsieur D... ne soit avisé de ladite célébration.
[86] Par conséquent, en tenant compte de l’ensemble de la preuve, le Tribunal conclut que la Demanderesse a établi par prépondérance de preuve que le mariage a eu lieu à Ville A le 28 juin 1997.
2. Dans l’affirmative, le mariage est-il valide?
[87] Il est établi que le mariage est régi, quant à ses conditions de fond, par la loi applicable à l’état de chacun des futurs époux[21].
[88] Quant aux conditions de forme, le Code civil du Québec prévoit que le mariage est régi par la loi du lieu de sa célébration[22].
[89] En l’espèce, la célébration du mariage a eu lieu en République Démocratique du Congo. Le Tribunal doit donc appliquer le droit applicable quant aux conditions de fond et de forme du mariage à cet État étranger[23].
[90] Pour trancher la question, il est utile de procéder à l’analyse des conditions de formation du mariage en droit congolais. Me Edmond Mbokolo Alima, de l’Université de Mbandaka, fait état des conditions de fond et de forme du mariage dans son ouvrage lorsqu’il mentionne :
[…]
LA DOT
La dot constitue un ensemble des biens ou d’argent que le futur époux et sa famille remettent aux parents de la future épouse qui acceptent. Les biens sont apportés par le mari ou les siens non pas au profit du ménage, de sa femme ou de ses enfants à venir, mais plutôt en faveur de la famille de sa femme.
En effet, « le mariage ne peut être célébré que si la dot a été effectivement versée au moins en partie ». Pour verser la dot, il faut que cette dot soit conforme à la coutume de la famille de la future épouse. Aussi, un mariage préexistant doit être absent, car nul ne peut contracter un nouveau mariage avant la dissolution ou l’annulation du précédent mariage. Aussi, « la dot doit être versée et reçue coutumièrement, car le mariage dans la conception congolaise est une affaire de famille et non d’individus». D’autre part, la dot peut être versée à titre symbolique.
[…]
CONCLUSION
Le mariage est une convention de deux individus qui acceptent de se prendre comme époux et épouse. C’est ainsi que, la loi garantit sa liberté et sa stabilité. Nul ne peut forcer, voire même contraindre une personne à épuiser [sic] tel homme ou telle femme. Ce qui se manifeste de plus en plus dans plupart communautés religieuses de notre pays.
En conséquence, le mariage constitue un moment vigoureux dans la vie d’une personne. Et le législateur Congo soucieux de sa mission et sa communauté nationale a jugé utile de protéger sa formation qui aboutit à une institution appelée famille, tout en édictant un ensemble des mesures impératives et d’ordre public dans un document appelé CODE DE LA FAMILLE.
En effet, pour contracter le mariage, la loi veut que l’impétrant remplisse deux types de conditions, dont celle de fond touchant à l’individu lui-même et celle de forme qui a trait au mariage proprement dit.
Quant aux conditions de fond, le code de la famille exige de la personne désireuse de contracter mariage d’avoir atteint un âge minimum déterminé au moment de la célébration du mariage, notamment 18 ans révolus. Ce principe d’ordre public, est surtout mitigé et violé en flagrance par certaines communautés religieuses, où nous trouvons dans la pratique, les filles qui vont au mariage mineur.
Par ailleurs, le mariage étant un accord de volonté ou un contrat, chacun des futurs époux doit exprimer son consentement et enfin, il faut que le futur époux puisse verser les biens dotaux (le versement de la dot) qui peut-être même à titre symbolique dit le code de la famille.
Par contre, en ce qui concerne les conditions de forme, elles renvoient au système rituel de la célébration du mariage, puisqu’en effet, le mariage peut être célébré en famille et enregistré dans le mois qui suit par les époux eux-mêmes ou par une personne appelée mandataire muni d’une procuration spéciale qui l’attribue le pouvoir d’agir au lieu et le compte des époux. Les futurs époux peuvent décider de passer au bureau de l’État civil afin de célébrer leur mariage, c’est-à-dire l’officier du domicile de l’un des époux qui est territorialement compétent.
[Les soulignements du Tribunal]
[…]
[91] En l’espèce, il n’y a pas eu de dot de versée à la famille de la future épouse. Ainsi, le mariage ne peut être célébré que si la dot a été effectivement versée au moins en partie. Cette condition de fond n’a pas été respectée.
[92] Le Tribunal doit donc déterminer quelle est la conséquence légale du non-respect de cette condition de fond. Avec égards, le droit congolais sur cette question n’a pas été établi. Partant, le Tribunal appliquera les dispositions du droit québécois[24].
[93] Le Tribunal retient que le mariage a eu lieu, mais ne rencontre pas les conditions de fond nécessaires. Cependant, le remède n’est pas de déclarer qu’il y a inexistence du mariage, mais bien nullité de celui-ci.
[94] Or, l’action en nullité est irrecevable s’il s’est écoulé 3 ans depuis sa célébration, sauf si l’ordre public est en cause[25].
[95] En l’espèce, le Tribunal est d’opinion que l’ordre public n’est pas en cause. Lors de la célébration du mariage, les parties étaient consentantes au mariage. Celles-ci ont vécu comme époux pendant près de 20 ans aux yeux de tous, se sont déclarées comme telles aux autorités jusqu’à leur séparation et n’ont pas contracté ce mariage dans un but frauduleux.
[96] À tout événement, même si le Tribunal pouvait prononcer la nullité du mariage, ce dernier produit ses effets en faveur des époux qui étaient de bonne foi[26]. Ainsi, il a été démontré que la Demanderesse a toujours été de bonne foi relativement à ce mariage. Elle était en amour avec le Défendeur et a maintenu sa relation avec ce dernier malgré les périodes difficiles qu’elle a traversées. Elle a fait preuve de courage et de ténacité.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[97] PRONONCE le divorce entre les parties dont le mariage a été célébré le 28 juin 1997 à Ville A, en la République Démocratique du Congo, lequel prendra effet le 31e jour suivant la date de ce jugement ;
[98] PREND ACTE de la liste des admissions des parties déposée au dossier le 25 septembre 2018, laquelle est annexée au présent jugement pour valoir comme si ici au long récitée, et ORDONNE aux parties de s’y conformer;
[99] ENTÉRINE et REND EXÉCUTOIRE la convention signée par les parties le 26 septembre 2018, laquelle est annexée au jugement pour valoir comme si ici au long récitée et ORDONNE aux parties de s’y conformer;
[100] DONNE ACTE aux parties du partage qu’elles ont fait de leurs droits dans le patrimoine familial, lequel partage est établi à la date de cessation de la vie commune le 6 août 2015;
[101] DONNE ACTE aux parties du partage de leurs gains inscrits auprès de Retraite Québec (anciennement la Régie des rentes du Québec) conformément à la Loi sur le régime de rentes du Québec, du début de l’année du mariage, le 28 juin 1997 jusqu’au 31 décembre 2014;
[102] DONNE ACTE à l’admission des parties comme quoi elles sont toutes deux autonomes financièrement, qu’elles peuvent subvenir seules à tous leurs besoins financiers et qu’elles renoncent à tout recours alimentaire entre elles;
[103] PRONONCE la dissolution et la liquidation de la société d’acquêts ayant existé entre les parties et, DONNE ACTE à leur admission comme quoi elles renoncent au partage de la société d'acquêts;
[104] ORDONNE que la garde des enfants X et Y soit confiée à la Demanderesse;
[105] ORDONNE que les droits d’accès du Défendeur envers les enfants X et Y soient supervisés conformément à l’ordonnance de la juge Judith Landry, j.c.q., du 4 juin 2018. Les contacts sont supervisés en tenant compte du désir des enfants;
[106] LE TOUT sans frais.
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__________________________________ CARL THIBAULT, j.c.s. |
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Me Anne-Marie Daigle |
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Bureau d’aide juridique de Charlesbourg |
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Procureurs de la demanderesse |
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Me Anne-Marie Claveau |
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Gosselin Labrecque Claveau Avocats |
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Procureurs du défendeur |
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Dates d’audience : |
25 et 26 septembre 2018 |
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[NDLE : La liste des admissions des parties n’est pas disponible.]
[NDLE : Par souci de confidentialité, SOQUIJ a retiré du présent jugement la convention signée par les parties.]
[1] Pièce P-10, p.47.
[2] Pièce P-10, p. 26 et ss.
[3] Pièces P-11 et P-12.
[4] Notes sténographiques du 25 septembre 2018, p. 19, lignes 8 à 18.
[5] Art. 139, 378, 379, 380, 382, 2809 et 3088 C.c.Q.
[6] Loi no 16/008 du 15 juillet 2016 modifiant et complétant le Loi no 87-010 du 1er août 1987 portant Code de la famille
[7] 2012 QCCS 1936 CanLII.
[8] 2009 QCCS 3388 CanLII.
[9] 2009 QCCS 5794 CanLII.
[10] Pièce P-10.
[11] Pièce P-10, p.26.
[12] Pièce P-10, p.27.
[13] Pièce P-10, p. 30 et 40.
[14] Pièces P-11 et P-12.
[15] Pièce P-9.
[16] Notes sténographiques du 25 septembre 2018, p. 19, lignes 11 à 16.
[17] Notes sténographiques du 26 septembre 2018, p. 17, lignes 16 à 25 et p. 18, lignes 1 à 7.
[18] Notes sténographiques du 26 septembre 2018, p. 4, lignes 10 à 15.
[19] Notes sténographiques du 25 septembre 2018, p. 9 à 16.
[20] Notes sténographiques du 25 septembre 20198, p.20, lignes 2 à 20.
[21] Art. 3088, al. 1 C.c.Q.
[22] Art. 3088, al. 2 C.c.Q.
[23] Art. 3088 C.c.Q.
[24] Art. 2809 C.c.Q.
[25] Art. 380 C.c.Q.
[26] Art. 382 C.c.Q.