PRIVILEGES DANS LE RECOUVREMENT FORCE DES CREANCES FISCALES, NON FISCALES, DOUANIERES ET DES SOMMES DUES AUX TRAVAILLEURS (SALAIRES) A L’AUNE DU DROIT DE L’OHADA.
Etude pratique de la fermeture provisoire de la FBNBANK par la DGRAD/Equateur
Me Edmond MBOKOLO ELIMA, Avocat au Barreau de l’Equateur et Assistant à l’Université de Mbandaka.
Province de l’Equateur/RD Congo
E-mail : edmondjean@gmail.com
I. Prologue
Les recettes fiscales, non fiscales et douanières sont perçues afin de permettra à l’état de remplir plusieurs missions, dont notamment la couverture des charges publiques et la redistribution des revenus, soutient Gaston Jeze. Il n’est point besoin de rappeler ici que, lorsqu’on parle des recettes fiscales, on fait allusion à l’impôt, source principale du revenu de l’Etat. A contrario, les recettes non fiscales renvoient à la taxe, redevances, droits et certaines ressources liées à la parafiscalité mais les recettes douanières sont issues de la douane et accise.
Normalement le système fiscal congolais, nous enseigne le Professeur Georges NDJOLI, est déclaratif et auto-liquidatif. En effet, le recouvrement de ces recettes publiques se fait d’abord à l’amiable avant de parvenir dans la phase du recouvrement forcé dans l’hypothèse à laquelle le contribuable ne daigne s’acquitter en bon escient de ses obligations fiscales dans les délais et conditions prévus par la loi. C’est ainsi que, l’Etat à travers ses régies financières est appelé à procéder aux mécanismes de contrainte (recouvrement forcé).
En effet, le début du mois d’octobre 2020 a été marqué par la mesure de fermeture provisoire de la FBANBANK/Mbandaka, une banque commerciale qui a fait l’objet d’un avis à tiers détenteur (ATD) en tant que détentrice des comptes bancaires du SEPT CONGO.
C’est ainsi que, la DGRAD qui est une institution financière de l’Etat a fait usage d’une garantie légale appelée « privilège » de l’Etat ou du trésor public dans le recouvrement des recettes publiques conformément aux textes juridiques nationaux en la matière.
Néanmoins, le droit de l’OHADA étant interdisciplinaire, est venu avec des réformes sérieuses, dont notamment celles liées au droit des sûretés auquel figue les privilèges du recouvrement des créances de toute nature (civile, commerciale, fiscale, administrative…).
Eu égard à tout qui précède, il est loisible de s’interroger autour de cette question liée aux privilèges du trésor public comme garantie (sûreté) dans le recouvrement des recettes publiques à la mesure du droit de l’OHADA afin non seulement de ressortir le caractère légal ou non de la procédure usée par la DGRAD/Equateur, mais aussi, épingler les conséquences juridiques qui résulte de la fermeture de la FBNBANK vis-à-vis de ses clients.
Ainsi donc, en dehors la présente introduction (I) et une très brève conclusion qui bouclera la boucle (IV, la démarche épistémologique de cette réflexion nous conduit d’abord dans un cadre purement théorique, à poser la sémantique de quelques concepts de base (II). Ensuite, nous analyserons laconiquement les privilèges comme sûreté dans le recouvrement des recettes fiscales, recettes non fiscales, douanières et des sommes dues aux travailleurs (III), et enfin, il sera impérieux de s’y atteler au cas pratique de la FBNBANK/Mbandaka qui nous permettra de démontrer que la fermeture de cette dernière qui faisait l’objet d’un ATD ne lie pas d’autres clients, par voir de conséquence, il s’était dessiné une faute civile susceptible de provoquer une réparation conformément au code des obligations (III).
II. Cadre théorique
Sur le plan purement théorique, l’approche méthodique nous impose à consolider les notions rudimentaires des recettes fiscales (A), recettes non fiscales (B), privilèges (C) et l’avis à tiers détenteurs (D).
A. Recettes fiscales
Les recettes fiscales désignent les recettes provenant des impôts sur le revenu et les bénéfices des citoyens. Il s’agit de toutes les sommes d’argent versées à l’Etat pour le paiement de l’impôt. Elles sont composées de plusieurs impôts tels que l’impôt sur le revenu, la TVA, l’impôt sur les sociétés, etc…Elles représentent 90% des recettes totales de l’Etat
B. Recettes non fiscales
Les recettes non fiscales représentent tous les produits qui proviennent de sources autres que les impôts. Elles sont d’origine diverses. Il peut s’agit des produits de la vente de biens ou de services par une entreprise. On peut noter ici, la taxe administrative, droits sur certains services, redevances, etc…
C. Privilèges
Mme Yvette Rachel KALIEU ELONGO, Professeur à l'Université de Dschang ( Cameroun) définie le privilège comme un droit que la loi donne au créancier, en fonction de la qualité de la créance, d’être préféré aux autres créanciers. Les privilèges bénéficient soit aux créanciers privés dont les créances sont modiques mais dignes d’intérêt pour des raisons de dignité humaine ou de justice sociale, soit aux créanciers publics : trésor, sécurité sociale et ce, pour des raisons d’intérêt général.
D. Avis à tiers détenteur
Un avis à tiers détenteur est une procédure d’exécution forcée ouverte par le livre des procédures fiscales à l’administration fiscales congolaise pour recouvrer les sommes dues au trésor public. Cette procure concerne trois personnes, à savoir le trésor public, le contribuable qui reste redevable d’impôts ou autres recettes publique et le tiers détenteur qui est débiteur envers le contribuable.
Sont considérés comme tiers détenteurs au regard du droit fiscal, tous fermiers, locataires, receveurs, agents, économes, banquiers, notaires, avocats, huissiers, greffiers, curateurs, représentants et autres dépositaires et débiteurs de revenus, sommes, valeurs ou meubles d’un contribuable (assujetti) affectés au privilège du Trésor public.
III. Privilèges dans le recouvrement des recettes fiscales, recettes non fiscales et des sommes dues aux travailleurs
Il n’est point besoin de rappeler que, les privilèges confèrent essentiellement un droit de préférence qui permet au bénéficiaire d’être payé suivant l’ordre prévu par l’acte uniforme. En principe, les privilèges, qu’ils soient généraux ou spéciaux sont d’origine légale et ne sont pas soumis à l’exigence de publicité pour leur opposabilité aux tiers. Toutefois, l’article 180 de l’AUS impose la publicité de certains privilèges. C’est le cas, en particulier, des privilèges pour les créances fiscales, douanières, et des organismes de sécurité sociale lorsque ces créances sont au-delà d’un certain montant prévu par la loi.
En droit congolais, les privilèges en tant que sûreté furent organisés à l’article 249 de la loi n° 73-021 du 20 juillet 1973 portant régime général des biens, régime foncier et immobilier et régime des sûretés telle que modifiée et complétée par la loi n° 80-008 du 18 juillet 1980. Aux termes de cette disposition légale, les sommes dues au Trésor pour le paiement des impositions directes et personnelles de l’année courante et de l’année antérieure, et pour le paiement des frais de poursuite ainsi que les sommes dues au Trésor du chef de tous autres impôts, contributions ou droits quelconques, établis ou à établir, durant les six mois qui suivent leur exigibilité, sont des créances privilégiées au premier et deuxième rang. Par contre, les sommes dues au travailleurs (salaires) occupaient la 6ème position (rang).
Avec l’adhésion de la RDC au traité de l’OHADA, cette disposition légale est abrogée et remplacée par l’acte uniforme relatif au droit des suretés qui fait la distinction entre les privilèges généraux et spéciaux. A cette catégorisation, les sommes fiscales et celles dues aux travailleurs constituent les privilèges généraux.
Ainsi donc, aux termes de l’article 180 de l’acte uniforme sus-vis, les sommes dues au travailleurs occupent le troisième rang. Par contre, les créances fiscales et douanières et celles dues aux organismes de la sécurité sociale occupent respectivement le 6ème et 5ème rang (dernières positions).
A. Les privilèges des salaires
Ce privilège important consacré par l’article 180 point 3 de l’acte uniforme sur les sûretés repose sur deux fondements : d’une part, le travail n’étant pas une marchandise, sa rémunération mérite un traitement préférentiel du fait de son caractère alimentaire, d’autre part, le travailleur, par son travail a contribué à la conservation et à l’accroissement du patrimoine de l’employeur, il doit, de ce fait, être préféré à d’autres créanciers quand l’employeur se trouve en difficultés. Ce privilège profite aux travailleurs et apprentis. Les travailleurs doivent, ici, être entendus au sens large du terme : travailleurs permanents, travailleurs à temps partiel, intérimaires, travailleurs à domicile, etc. Peu importe qu’ils soient du secteur privé ou du secteur public lorsqu’ils n’ont pas, dans le second cas, le statut de fonctionnaire. Par contre, il ne profite pas aux mandataires ou aux représentants des personnes morales.
Quant aux sommes garanties, il couvre aussi bien les sommes dues pour l’exécution même du travail (salaires de base, commissions, primes et indemnités diverses) que celles éventuellement dues en cas de résiliation du contrat ( indemnités de licenciement et autres) pour la période d’un an ayant précédé le décès du débiteur, la saisie de ses biens ou l’ouverture d’une procédure collective contre lui.
Ce privilège doit être distingué des superprivilèges des salaires que bénéficient également aux travailleurs pour la partie incessible et insaisissable du salaire telle que fixée par la loi..
B. Les privilèges des créances fiscales, douanières et de la sécurité et
Prévoyance sociales
Le privilège des créances fiscales connu également sous le nom de privilège du fisc ou du trésor repose sur le fondement que l’Etat ou les collectivités publiques c’est tout le monde et que ses créances, profitant à tous, doivent être recouvrées avant les autres. Ce privilège garantit en général le recouvrement de tous les impôts, droits, taxes et pénalités assis et liquidés par les services des impôts et les pénalités de recouvrement liquidées par les services des impôts et du trésor. Il couvre donc les contributions directes et taxes assimilées telles que l’impôt sur les sociétés, l’impôt sur les revenus, l’impôt sur les bénéfices, la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), etc. Il couvre également les contributions indirectes (droits d’enregistrement et de timbre, amendes pénales, etc.) ainsi que les frais de poursuite, les pénalités et éventuellement les majorations.
Le privilège de la douane pour sa part, couvre les frais dus à l’Etat au titre d’opérations douanières notamment les droits, taxes, confiscations, amendes et restitutions. Le privilège de la sécurité et de la prévoyance sociales bénéficie essentiellement aux organismes de sécurité et de prévoyance sociales pour les cotisations qui leur sont dues notamment par les employeurs et éventuellement par les travailleurs (CNSS).
Les créances fiscales, douanières et de la sécurité sociales bénéficient d’un privilège général, mais il faut distinguer selon qu’ils sont ou non soumis à publicité. Dans les deux cas, ils n’ont pas le même rang. Les privilèges non soumis à publicité (1) passent avant les privilèges soumis à publicité (2).
1. Les privilèges non soumis à publicité.
Aux termes de l’article 180 de l’acte uniforme relatif au droit des sûretés, les créances fiscales, douanières et de la sécurité sociale sont privilégiées sans exigence de publicité préalable pour la somme fixée par chaque Etat pour l’exécution provisoire des décisions de justice.
2. Les privilèges soumis à publicité
Les créances fiscales, douanières et de la sécurité et prévoyance sociales peuvent toujours être privilégiées pour un montant supérieur à celui indiqué à l’article 180 points 5 et 6 de l’acte uniforme relatif au droit des sûretés. Seulement, dans ce cas, le privilège doit être inscrit dans les six mois de l’exigibilité de ces créances. Cette inscription permet aux créanciers du débiteur d’être informés du privilège et d’être fixés sur la véritable situation du débiteur. L’inscription est prise au RCCM du greffe de la juridiction compétente et conserve le privilège pendant trois ans à partir du jour où elle a été prise (article 58 AUS). Elle peut être renouvelée avant l’expiration du délai, à défaut de renouvellement, son effet cesse. En l’absence d’inscription, le fisc, la douane et les organismes de sécurité et prévoyance sociales resteraient, pour les sommes non publiées, de simples chirographaires.
C. Quid des garanties du Trésor public (privilèges) prévues par loi n°004/2003 du 13 mars 2003 portant réforme des procédures fiscales et l’ordonnance-loi n° 13/003 du 23 février 2013 portant réforme des procédures relatives à l’assiette, au contrôle et aux modalités de recouvrement des recettes non fiscales et douanières ?
L’article 75 de la °004/2003 du 13 mars 2003 portant réforme des procédures fiscales prévoit que « pour le recouvrement des impôts, factures émises par le Gouvernement et rendues exigibles par l’Administration des impôts, et autres droits dus ainsi que des pénalités et frais y afférents, le Trésor a privilège général sur tous les biens meubles et immeubles du redevable en quelque lieu qu’ils se trouvent. Ce privilège grève également les biens meubles et immeubles du conjoint du redevable dans la mesure où le recouvrement des impositions peut être poursuivi sur lesdits biens, conformément aux dispositions de l’article 81 ci –dessous ».
Cette disposition concerne la DGI.
Pour la DGRAD, l’article 55 de l’ordonnance sus-évoquée institue les garanties du trésor public dans les opérations de recouvrement forcé des recettes non fiscales. Aux termes de cette disposition « dans les opérations de recouvrement des droits, taxes ou redevances le Trésor public a le privilège sur tous les biens meubles et immeubles de l’assujetti, en quelque lieu ou mains qu’ils se trouvent. A ce sujet, une demande de payer peut être faite à tous tiers détenteurs des biens de l’assujetti qui, à défaut de satisfaire à ladite demande endéans huit (8) jours, sera poursuivi comme s’il était débiteur direct. Le tiers-détenteur, saisi par le receveur des recettes non fiscales, informe ce dernier de la situation de fonds ou du patrimoine du redevable qu’il détient. Lorsque les sommes, revenus ou valeurs, en main des tiers détenteurs ne sont pas affectés au privilège, ces tiers détenteurs ne sont pas obligés personnellement et, il est procédé contre eux par voie de saisie-arrêt ».
Cet article a été institué conformément à l’article 249 de la loi dite foncière qui prévoyait les privilèges du recouvrement des créances fiscales.
Le traité de l’OHADA ratifié en juin 2012 et entré en vigueur le 12 septembre 2012 est venu abroger toutes les dispositions nationales contraires aux actes uniformes, dont notamment l’acte uniforme relatif au droit des sûretés conformément à l’article 215 de la Constitution qui consacre la supériorité des traités dûment ratifiés par la RDC vis-à-vis des lois internes.
Pour ainsi dire que, depuis le 12 septembre 2012, l’administration fiscale congolaise, ayant bien sûr les privilèges dans le recouvrement forcé des recettes fiscales et non fiscales, n’occupe plus le premier rang, il n’est plus superprivilégié. Les salaires (sommes dues aux travailleurs du secteur privé ou public) sont privilégiés d’abord, car ceux-ci ayant un caractère alimentaire.
Dans le conflit opposant la DGRAD contre la FBNBANK, l’avis à tiers détenteur ne pouvait pas parvenir à la fermeture provisoire de cette banque étant donné que, cette dernière a été chargée par le Gouvernement de payer les salaires aux agents et fonctionnaires de l’Etat, qui sont privilégiés avant les créances de l’administration fiscale.
III. La fermeture de la FBNBANK a causé des préjudices aux clients salariés pour le retard dans le paiement
En droit des obligations, la FBNBANK est débitrice des agents de l’Etat car, chargée par le Gouvernement congolais de leur payer les salaires. Ledit paiement doit être impérieusement fait les délais déterminés par l’Etat. Le retard dans le paiement des salaires pendant la fermeture de cette banque constituent une faute (dommage) qui causa d’énormes préjudices aux clients salariés.
Conformément à l’article 258 du décret du 30 juillet 1888 relatif aux contrats ou obligations conventionnelles, ce retard du paiement des salaires donne la possibilité aux travailleurs (agents et fonctionnaires de l’Etat) de solliciter la condamnation de la FBNBANK au paiement des sommes à titre des préjudices subis. Ces préjudices sont moraux.
La FBNBANK ne peut pas se libérer de cette responsabilité civile sous prétexte qu’elle a été fermée indépendamment de sa volonté pendant que plusieurs possibilités lui ont été favorables afin de payer les salaires même en délocalisant le site de paiement, chose non faite.
IV. Epilogue
Le droit de l’OHADA a rénové la notion des privilèges dans le recouvrement des créances fiscales, recettes non fiscales, douanières et des salaires. Cette réforme met à genoux toutes les dispositions internes contraires au traité de l’OHADA et à tous ses actes matériels (actes uniformes).C’est ainsi que, dans le recouvrement des créances, le recouvrement des sommes dues aux travailleurs (salaires des travailleurs des secteurs privé et public) est privilégié par rapport aux créances fiscales, non fiscales et douanières ainsi que celles dues aux organismes de la sécurité sociale, motif pris, le caractère alimentaire du salaire.
Somme toute, dans le conflit qui opposait la DGRAD/Equateur contre la FBNBANK, la régie devrait tout simplement lancer un ATD contre la banque….mais non scellée cette dernière car, les salaires des agents de l’Etat qui y sont logés sont privilégiés par rapport au recouvrement forcé des recettes publiques.
Cette attitude naïve de la banque devant cette situation juridique constitue sans nul doute une faute civile causant ainsi d’énormes préjudices aux salariés de l’Etat, lesquelles préjudices pouvant être indemnisés conformément à l’article 258 du code civile congolais livre troisième.
Bumba, Province de la Mongala, le 28 octobre 2020, 22h38’