Suite au divorce, l’un des conjoints peut être condamné à indemniser l'autre, par une somme forfaitaire, destinée à compenser son préjudice lié à la disparité que la rupture du mariage (divorce) crée dans les conditions de vies respectives des époux.
On parle de prestation compensatoire, laquelle peut être demandée, et fixée selon divers critères légaux que dans le divorce . Elle est déterminée soit d’un commun accord entre les parties, soit par un juge aux affaires familiales, sous forme d'un capital, ou plus exceptionnellement d'une rente, ou être fixée en nature,(droit de propriété, usufruit, bail…)
Je n’aborderai pas dans cet article les critères de fixation de la prestation, ses méthodes de calcul ou ses modes de révision, lesquels ont fait l’objet de maiints articles sur ce site .( vous pouvez cliquer sur les liens )
1ère Civ, 6 octobre 2010 : deux arrêts sur la fixation de la prestation compensatoire à retenir...
Peut-on déroger aux modalités légales de versement d'une prestation compensatoire ?
Quelques rappels sur le paiement de la prestation compensatoire en cas de décès du débiteur.
Je me poserai dans cet article trois questions, s’agissant du capital à verser :
1) Quand cette prestation est-elle dûe ?
2) Que se passera-t-il lorsque le débiteur versera cette indemnisation au moment de la liquidation du régime matrimonial, en déduisant le montant de la prestation sur la part lui revenant dans la liquidation ? (Prend –il des risques ? S’expose t-il au versement d’intérêts ?)
3) L’autre conjoint devra t-il accepter ou refuser ?
La première chambre civile de la cour de cassation, dans un arrêt de
1ère Civ , 8 juillet 2010, N° de pourvoi: 09-14230 s’est repenchée sur cette question.
I- La prestation compensatoire : une indemnité destinée à compenser un préjudice de perte de qualité de vie suite au divorce due lorsque le divorce devient irrévocable.
A) Une différence de sémantique
Le principe a été posé dans l'article 260 du code civil qui dispose :
"La décision qui prononce le divorce dissout le mariage à la date à laquelle elle prend force de chose jugée."
1°- La force jugée, en droit ne doit pas se confondre avec l’autorité de la chose jugée ou une décision irrévocable.
--L’autorité de la chose jugée, est attachée au dispositif d’une décision et a pour effet d'empêcher les parties de recommencer un nouveau procès qui porterait sur un différend qui aurait été déjà jugé entre les mêmes parties, entre les mêmes personnes sur le même sujet et pour la même cause. On ne rejuge pas une cause déjà jugée !
--La force de chose jugée s’applique à une décision, lorsque celle-ci n'est pas susceptible de voie de recours à effet suspensif.
Article 500 du NCPC :
« A force de chose jugée le jugement qui n'est susceptible d'aucun recours suspensif d'exécution. Le jugement susceptible d'un tel recours acquiert la même force à l'expiration du délai du recours si ce dernier n'a pas été exercé dans le délai ».
--La décision est irrévocable, lorsqu’elle n’est susceptible d’aucune voie de recours ordinaire (appel, opposition ) et extraordinaire ( pourvoi en cassation, révision…)
2°- Les rappels de la cour de cassation, en matière de prestation compensatoire: attention !
La Cour de cassation, dans cet arrêt du 8 juillet 2010, au visa des articles 260 et 1153-1 du code civil, considère que tant la prestation compensatoire que les intérêts qu'elle produit, sont dus à compter de la date à laquelle la décision prononçant le divorce est devenue irrévocable.
En matière de divorce, le pourvoi en cassation produits des effets particuliers, à la fois suspensifs en ce qui concerne le principe même de la dissolution du lien conjugal et non suspensifs, en ce qui concerne certaines conséquences ( articles 1086 et 1087 du NCPC: objet d'un prochain article)
Concrètement, il faudra la payer selon les situations suivantes:
- Lorsque le délai d'appel sera expiré, en cas d'appel possible de la décision.( cas des divorces dits contentieux)
- En cas de prononcé de l'arrêt d'appel, à l'expiration du délai de pourvoi en cassation,lequel est suspensif en matière de décision de divorce.
- En cas de convention de divorce homologuée, à l'issue du délai de pourvoi, seul recours ouvert ici.
Dans ces situations, il est possible d'envisager la signature d'un acte d'acquiescement et/ou de renonciation à pourvoi en cassation, pour renoncer aux voies de recours afin que la décision soit définitive plus rapidement.
Payer, avant l'expiration des délais de recours serait prendre un risque énorme, puisque l'époux qui percevra une somme aurait la possibilité de revenir sur un éventuel accord, voire sur le principe du divorce lui même.
En cas de changement de procédure de divorce, rien ne dit que l'époux qui aura payé d'avance, pourra déduire le montant déjà payé. Il pourrait alors se retrouver dans l'obligation de payer deux fois, puisque le JAF n'est lié par aucune convention antérieure entre les époux !
1ère Civ, 3 novembre 2004, pourvoi n° 01-16031 avait déjà pu rappeler que :
a) La prestation compensatoire n’est due qu’à compter de la date à laquelle la décision prononçant le divorce prend force de chose jugée ;
b) la décision de divorce n’acquiert pas force de chose jugée au moment de son prononcé ni de sa signification
B) Comment une décision acquiert-elle "force jugée" ?
Article 504 NCPC
La preuve du caractère exécutoire ressort du jugement lorsque celui-ci n'est susceptible d'aucun recours suspensif ou qu'il bénéficie de l'exécution provisoire. Dans les autres cas, cette preuve résulte :
- soit de l'acquiescement de la partie condamnée ;
- soit de la notification de la décision et d'un certificat permettant d'établir, par rapprochement avec cette notification, l'absence, dans le délai, d'une opposition, d'un appel, ou d'un pourvoi en cassation lorsque le pourvoi est suspensif.
1°- l’acquiescement non équivoque des deux ex époux porté dans un acte signé
Cet acte vaut renonciation à l’exercice de toute voie de recours, ordinaire et extraordinaire. Il assortit le jugement de la force de chose jugée.
2°- l’expiration des délais de recours, suspensifs en cas de signification de la décision.
II- Le risque du paiement tardif : Des intérêts légaux, majorés de 5 points après les 2 mois de la signification à compter du jour où la décision de justice est devenue exécutoire
Après avoir abordé le risque de paiement hâtif, je parlerai du risque de paiement tardif.
La cour considère que la faculté donnée au débiteur de la prestation compensatoire de régler sa dette à l'occasion des opérations de liquidation de la communauté ne retire pas à cette dette son caractère exigible.
Cette conséquence, est essentielle au regard du point de départ des intérêts. L’époux qui souhaitera attendre la liquidation pour se faire payer la prestation compensatoire, pourra demander des intérêts sur la somme octroyée en capital (A) susceptibles d’être majorés (B)
Il peut user aussi des voies d’exécution pour contraindre son ex conjoint au paiement, sans avoir à attendre la liquidation.
A) Point de départ classique au jour de la décision "irrévocable" au sens de la force jugée
Rappel : la Cour de cassation, dans son arrêt en date du 8 juillet 2010, au visa des articles 260 ( précité) et 1153-1 du code civil, considère que tant la prestation compensatoire que les intérêts qu'elle produit, sont dus à compter de la date à laquelle la décision prononçant le divorce est devenue irrévocable.
Article 1153-1 du code civil :
En toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l'absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n'en décide autrement.
B) Le risque de majoration des intérêts
Article L313-3 du Code Monétaire et Financier
"En cas de condamnation pécuniaire par décision de justice, le taux de l'intérêt légal est majoré de cinq points à l'expiration d'un délai de deux mois à compter du jour où la décision de justice est devenue exécutoire, fût-ce par provision…
Toutefois, le juge de l'exécution peut, à la demande du débiteur ou du créancier, et en considération de la situation du débiteur, exonérer celui-ci de cette majoration ou en réduire le montant.
En cas de confirmation pure et simple par le juge d'appel d'une décision allouant une indemnité en réparation d'un dommage, celle-ci porte de plein droit intérêt au taux légal à compter du jugement de première instance.
Dans les autres cas, l'indemnité allouée en appel porte intérêt à compter de la décision d'appel.
Le juge d'appel peut toujours déroger aux dispositions du présent alinéa.3
Demeurant à votre disposition pour toutes précisions.
Maître HADDAD Sabine
Avocate au barreau de Paris