A l’image du juge prudhommal, le juge administratif sera de plus en plus invité à se familiariser au code du travail !
Le Tribunal des conflits vient en effet de décider que la juridiction administrative doit connaître d’une action en requalification de contrat émanant d’un salarié mis à disposition d’un employeur public. (Tribunal des conflits, 2 mars 2009, n° 3674, Mme D. c /ministre de la Défense)
L’employeur public, le ministère de la Défense en l’occurrence, avait non seulement eu recours à l’intérim pour pourvoir un emploi permanent, mais au surplus faisait travailler une salariée au-delà du terme de sa mission, sans conclure de nouveau contrat …
Enjeux procéduraux quant à la juridiction à saisir : le casse-tête du justiciable !
La salariée a demandé la requalification de ses contrats successifs en un contrat à durée indéterminée devant le conseil de prud’hommes, juge traditionnel des règles de l’intérim.
Le conseil des prud’hommes donnait gain de cause à la salariée.
Cette juridiction est-elle pour autant véritablement compétente pour connaître de règles attachées au droit public et à la fonction publique ?
Cette interrogation a conduit le préfet d’Ile-et-Vilaine à enclencher une procédure pour dessaisir du dossier le juge judiciaire au profit de la juridiction administrative.
La Cour d’appel de Rennes, suivie par la cour de cassation ont validé l’analyse du prefet.
L’affaire repartait donc devant le tribunal administratif qui lui a opté lui pour la position contraire… désignant la juridiction judiciaire pour traiter du cas de Mme D., sursoyant à statuer et saisit le tribunal compétent pour trancher ce désaccord.
Le Tribunal des conflits devait donc se prononcer, la justiciable ayant vu apparaître depuis la saisine du premier juge ses premiers cheveux blancs…
Heureusement un rapporteur public au raisonnement implacable passait par là et mettait tout le monde d’accord :
1) La violation des règles de l’intérim permettent au salarié de faire valoir ses droits auprès de l’utilisateur du CDI.
2) L’État - le ministère de la Défense – est donc bien l’employeur de l’intérimaire En effet, en cas de violation des règles de l’intérim, le code du travail prévoit une substitution d’employeur. L’utilisateur est réputé être cet employeur. Appliqué à l’espèce, c’est le ministère considéré qui employait en réalité l’intéressée. Mme D. était donc fondée à faire valoir les droits correspondant à une requalification en CDI de son contrat auprès de l’État.
3) Mme D. est liée à l’Etat par un contrat de droit public en tant qu’agent non titulaire. Application de la jurisprudence Berkani : les personnels non statutaires employés par un service public administratif géré par une personne publique sont des agents contractuels de droit public, quel que soit leur emploi.
4) Le service d’action sociale qui employait Mme D. étant un service public administratif, cette dernière devait donc être regardée comme étant un agent contractuel de droit public.
Conclusion : seule la juridiction administrative est compétente pour connaître du litige qui peut conduire à substituer à un employeur de droit privé - l’entreprise d’intérim - un employeur public.
Limpide, non ?
Le juge administratif devient donc compétent pour se prononcer sur la méconnaissance par un employeur public des règles de l’intérim et sur les droits du salarié devenu agent public.
Cette décision ne manquera certainement pas d’intéresser les entreprises d’intérim, les intérimaires, fort nombreux, mis à la disposition des employeurs publics - État, collectivités territoriales et établissements publics hospitaliers - ainsi que les organisations syndicales, qui pourront se saisir d’actions résultant de l’application de la législation relative à l’intérim sans avoir à justifier d’un mandat du salarié.
Les employeurs publics, et notamment les centres hospitaliers mais également les établissements et services sociaux et médico-sociaux relevant du droit public, ne pourront faire l’économie des règles inscrites au code du travail, relatives à l’intérim.
Pour en savoir plus : http://avocat-jalain.fr/
Tribunal des conflits, 2 mars 2009, n° 3674, Mme D. c /ministre de la Défense
« (…) Considérant que, de 1991 à 2001, Mme D. a travaillé de manière ininterrompue au service du bureau de l’action sociale de la
circonscription militaire nord-ouest de l’armée de terre, en qualité de conseillère en économie sociale et familiale et en exécution de
contrats de travail temporaire successifs conclus avec les associations ATCS puis Tremplin, entreprises agréées de travail temporaire
liées à l’administration militaire par des contrats de mise à disposition conclus chaque année, jusqu’au 31 décembre 2000 ; que ses
fonctions ont pris fin le 7 février 2001, à la demande de l’administration dont elle relevait ; que soutenant qu’elle était alors employée par
le bureau d’action sociale, en raison de l’irrégularité de son statut de travailleur temporaire, Mme D. a saisi le juge judiciaire de
demandes indemnitaires dirigées notamment contre l’État, puis après que ce juge se soit déclaré incompétent, le juge administratif pour
faire annuler la décision de rupture de son contrat ;
Considérant que, sauf dispositions législatives contraires, les personnels non statutaires travaillant pour le compte d’un service public à
caractère administratif géré par une personne publique sont des agents contractuels de droit public, quel que soit leur emploi ; qu’une
telle situation peut résulter, s’agissant d’un salarié mis à la disposition d’un employeur public par une entreprise de travail temporaire, de
la méconnaissance des règles dont la violation a légalement pour conséquence la substitution de l’utilisateur, en qualité d’employeur,
à l’entreprise de travail temporaire ;
Considérant que la demande de Mme D. ayant précisément pour objet de faire connaître sa qualité de salariée du ministère de la
Défense, en raison du fait que l’emploi qu’elle occupait correspondait à l’activité normale et permanente de l’administration utilisatrice et
que le travail s’est poursuivi pour le compte du bureau d’action sociale au-delà du terme du dernier contrat, sans convention de mise à
disposition, le litige relève de la compétence du juge administratif ;
DÉCIDE :
Article 1er : La juridiction de l’ordre administratif est compétente pour connaître du litige opposant Mme D. au ministre de la Défense.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Rennes en date du 4 octobre 2007 est déclaré nul et non avenu. La cause et les
parties sont renvoyées devant ce tribunal.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au garde des sceaux, ministre de la Justice, qui est chargé d’en assurer l’exécution. »