L'évolution rapide des technologies et son application à tous les secteurs conduit les sciences juridiques à évoluer et à se transformer aussi rapidement, dans un espace potentiel en perpétuel changement reposant à la fois sur les concepts "d'évaluation" et "d'expertise".
Le domaine de l'automobile ne fait pas exception en la matière, bien au contraire !
Après les voitures électriques développées par le constructeur Tesla ou les voitures sans pilote expérimentées par Google, voici que les boites noires - à l'instar du secteur aérien - font leurs apparitions dans le secteur des véhicules terrestres à moteur.
Désormais, les constructeurs de véhicules neufs devront équiper ces derniers de puces électroniques capables d'enregistrer et d'analyser les données en cas d'accident de la route pour déterminer les causes de celui-ci. Les véhicules d'occasion, quant à eux, devront s'en équiper d'ici 2024.
Il s'agit également d'améliorer le confort et la sécurité du conducteur et des passagers du véhicule.
Le réglement européen du 27 novembre 2019 relatif aux prescriptions applicables à la réception par type des véhicules à moteur et de leurs remorques, ainsi que des systèmes, composants et entités techniques distinctes destinés à ces véhicules, en ce qui concerne leur sécurité générale et la protection des occupants des véhicules et des usagers vulnérables de la route prévoit des dispositions spécifiques notamment en son article 6 :
1. Les véhicules à moteur sont équipés des systèmes de véhicule avancés suivants:
a) |
adaptation intelligente de la vitesse; |
b) |
facilitation de l’installation d’un éthylomètre antidémarrage; |
c) |
avertisseur de somnolence et de perte d’attention du conducteur; |
d) |
avertisseur avancé de distraction du conducteur; |
e) |
signal d’arrêt d’urgence; |
f) |
détection en marche arrière; et |
g) |
enregistreur de données d’événement. |
Juridiquement, cette innovation pose plusieurs questions intéressantes en droit français :
- Toutes les données figurant sur ces dispositifs pourront-elles être exploitées et combien de temps seront-elles conservées ?
- Les compagnies d'assurance pourront-elles se servir des données recueillies sur le véhicule pour ne pas indemniser le conducteur fautif ?
- L'EDE pourrait-il être utilisé comme moyen de preuve dans le cadre d'une procédure judiciaire ?
Avant de répondre à ces interrogations, il convient de rappeler que les accidents de la circulation relèvent actuellement de la loi Badinter du 5 juillet 1985 qui prévoit un fonds d'indemnisation pour les victimes de dommages corporels causés par un véhicule terrestre à moteur.
La création de ce fonds répond à la nécessité de trouver une issue amiable entre assureurs et victimes.
Pour mémoire, les victimes qui relèvent de la compétence de ce fonds sont :
- Les piétons ;
- Les cyclistes ;
- Les rollers et trotinettes ;
- Les passagers du véhicule impliqué dans l'accident ;
Dans une moindre mesure, le conducteur du véhicule accidenté est lui aussi concerné par ce dispositif qu'il soit propriétaire du véhicule ou simple utilisateur (autorisé ou non à conduire).
Dans ce cas là, tout dépendra de sa responsabilité ou non-responsabilité dans l'accident causé.
La présence à bord du véhicule d'un enregistreur de données d'événement se présente, de prime abord, comme un moyen précis de déterminer la responsabilité du conducteur qui, jusqu'à présent, reposait à la fois sur les témoignages, les constatations des forces de l'ordre appelés sur les lieux de l'accident ou l'avis des experts (amiables ou judiciaires).
Ce système électronique est prévu uniquement pour enregistrer des données concernant la vitesse du véhicule, le port de la ceinture, le régime du moteur ou l'utilisation du système de freinage.
En outre, l'enregistrement des informations est limité dans le temps.
Ainsi, aucune donnée confidentielle ne peut être extrait de ce système et ce, en conformité avec les réglement sur la protection des données personnelles.
Aucun système d'écoute ne pourra être enregistré sur ce terminal.
Dès lors, ce système a pour objectif principal de comprendre les défauts que présente un véhicule sinistré et y remédier pour améliorer toujours plus la sécurité des usagers de la route.
Il s'agit, en somme, d'un outil d'évaluation permettant de mener une politique de sécurité routière efficace.
Il ne permettra pas aux compagnies d'assurance de pouvoir accéder aux informations y figurant.
Le réglement délégué de la commission européenne du 26 janvier 2022 (2022/545) est clair sur ce point :
Article 3
Sécurité des données
"1. Les données relatives aux collisions que l’enregistreur de données d’événement enregistre et mémorise sont protégées contre toute manipulation en satisfaisant aux prescriptions techniques et dispositions transitoires concernées du règlement ONU no 155, dans sa série d’amendements initiale ou dans ses séries d’amendements ultérieures.
2. Les mises à jour logicielles effectuées sur l’enregistreur de données d’événement sont protégées de manière à empêcher raisonnablement qu’elles ne soient compromises et à empêcher raisonnablement les mises à jour invalides".
Article 4
Extraction des données
"2. Le constructeur du véhicule fournit à l’autorité compétente en matière de réception par type et, à la demande d’une autorité compétente en matière de réception par type, à tout constructeur ou réparateur de composants intéressé, des outils de diagnostic ou des équipements d’essai accompagnés d’informations sur la manière dont les données d’événement peuvent être consultées, extraites et interprétées".
Dès lors, en matière de responsabilité civile, la porte semble fermée à l'utilisation de ces données par tout expert diligenté par une compagnie d'assurance pour se pencher sur les causes de l'accident.
En revanche, en matière pénale, la question de l'extraction et de l'utilisation de ces données pourrait se poser afin de déterminer si le conducteur a commis une infraction pénale (homicide volontaire, involontaire ou absence de responsabilité pénale imputable au comportement du conducteur).
Si ces données peuvent être exploitées par une autorité publique (par déduction, les forces de l'ordre), rien n'empêcherait alors un juge d'instruction saisi d'une information judiciaire ou au Ministère Public de procéder à des réquisitions visant à ce que la boîte noire concernée soit placée sous scellés pour expertise.
Dans ce cas, l'enjeu du procès pénal, par le biais de ce régime probatoire, deviendrait déterminant des deux cotés de la barre...
A suivre...
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