Les questions juridiques en ce qui concerne la robotique et l’intelligence artificielle représentent un enjeu et un intérêt majeur pour la société de demain. Elles permettent d’aborder le droit sous un angle prospectif et multidisciplinaire. Ce dernier n’étant plus conceptualisé sous la forme d’un bloc monolithique mais plutôt pensé de manière polymorphique.
L’espace potentiel auquel se retrouve confronté la norme juridique aujourd’hui n’a de cesse de s’accroitre à mesure que de nouveaux domaines liées aux sciences et technologies se développent et impactent la société entière empreinte d’innovation et de créativité dans ce domaine.
Le droit est de plus en plus amené à subir l’influence de la technique ou tout du moins adapter la législation pour la rendre compatible avec la technicité des données dans un espace potentiel mondialisé et hyper-connecté. Le juriste doit faire preuve ainsi d’un haut degré d’expertise pour évaluer l’impact de la technique sur le droit et faire évoluer ce dernier en conséquent.
L’existence de cet espace potentiel conduit à transformer et décloisonner les sciences juridiques et normatives sous l’effet des données techniques mais il ne doit pas faire oublier le rôle de concert que doit jouer cet espace et le droit qui en découle avec celui de l’action politique (espace organisationnel) ou celui des considérations d’ordre éthique (espace matriciel) qui en matière de progrès technique doit bien évidemment être pris en compte.
Le droit des robots doit en grande partie sa naissance à la prolifération des activités liées au numérique et à l’informatique et aux problématiques juridiques qui en découlent comme le droit à la liberté de communication, le droit au respect de la vie privée, à la protection des données personnelles, la lutte contre la cybercriminalité ou le terrorisme, le respect de la propriété intellectuelle. Il n’existe cependant pas encore à ce jour de statut spécifique qui ferait du robot une personne juridique comme le sont les personnes physiques ou les personnes morales jouissant de droits mais aussi de devoirs. D’ailleurs, il faudrait pour cela que les robots soient dotés d’une autonomie de penser et d’agir ou d’exprimer des émotions ce qui est impossible car ils dépendent d’un programme qui a été mis en place par les hommes
qui les fabriquent, les entreprises qui les commercialisent. Le droit ne reconnait donc les robots que comme des objets relevant du régime juridique du droit des biens (à noter qu’il en va de même concernant les animaux).
C’est peut-être mieux ainsi pour le moment car la réalité dépassant vite la fiction, on pourrait se retrouver dans un avenir proche avec une société entièrement robotisée avec des humains au service des machines. Une sorte de totalitarisme orwélien décrits dans plusieurs ouvrages et films d’anticipation où les robots sont élevés au même rang que les Hommes voire les ont supplantés.
Mais quelle définition peut-on donner du robot afin d’aider le droit à mieux se saisir des problématiques touchant aux activités de robotiques et d’encadrer l’usage des engins robotisés ?
Il convient de noter d’abord qu’il n’existe pas un type de robots mais plusieurs types pouvant se rattacher à diverses activités. Il ne faut pas confondre les robots avec la notion d’intelligence artificielle. L’IA a un champ d’activité plus large qui englobe la robotique.
Par exemple, les drones qui sont des engins volant capables de capturer des prises de vue sont à classer dans la catégorie des robots. De même, en est-il aussi des robots médicaux utilisés notamment pour des opérations chirurgicales de hautes précisions ou dans la réalisation de procédures répétitives.
Et peut-être en sera-t-il de même demain avec les voitures qui se conduiront sans l’assistance d’un conducteur pour la piloter ou pour les robots qui aideront les humains pour effectuer diverses tâches du quotidien.
Il faut savoir que les travaux menés par le Parlement européen en la matière ont abouti au vote d’une résolution en date du 16 février 2017 portant sur l’application de règles de droit civil dans le domaine de la robotique.
Cette résolution propose d’établir des critères précis permettant de définir ce qu’est un robot intelligent. Ces critères sont :
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- acquisition d’autonomie grâce à des capteurs et/ou à l’échange de données avec l’environnement (interconnectivité) et à l’échange et l’analyse de ces données;
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- capacité d’auto-apprentissage à travers l’expérience et les interactions (critère facultatif);
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- existence d’une enveloppe physique, même réduite;
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- capacité d’adaptation de son comportement et de ses actes à son environnement;
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- non vivant au sens biologique du terme.
Ces critères permettent de dégager une définition restrictive de ce qu’est un robot et d’exclure de celle-ci par exemples logiciels informatiques dotées pourtant d’une intelligence artificielle mais qui n’ont pas de consistance matérielle.
Par ailleurs, cette résolution tend à créer un statut juridique autonome pour les robots, une sorte de personnalité électronique puisqu’en l’état actuel du droit les robots ne peuvent être, par exemple, retenus responsables de leurs actes ou inactions engendrant des dommages aux tiers.
Ce sont les acteurs humains (fabricants, propriétaire ou utilisateur) qui sont responsables des dommages causés par les robots selon le droit en vigueur au titre de la responsabilité du fait des choses dont on a la garde.
De même, il n’existe pas de protection des robots contre les atteintes à leur personne dont ils pourraient être les victimes par les agissements de certains humains. En effet, si le droit venait à reconnaitre une personnalité propre au robot, il devrait lui garantir des droits et notamment le respect de sa dignité.
Les interactions entre humains et robots si elles se développent dans l’avenir devront être prises en compte par le droit notamment en matière d’emploi où ces derniers pourraient se substituer à l’Homme dans la réalisation de tâches dangereuses ou nocives tout en évitant de supprimer systématiquement un emploi occupé par une personne pour le confier à une machine.
Pour cela, le Parlement européen dans sa résolution incite la Commission à prendre en compte dans l’avenir les différents aspects juridiques soulevés par :
a) la mise en place d’un régime d’assurance obligatoire, lorsque cela est justifié et nécessaire pour certaines catégories de robots, en vertu duquel, comme c’est déjà le cas pour les véhicules à moteur, les fabricants ou les propriétaires de robots seraient tenus de contracter une police d’assurance couvrant les dommages potentiels causés par les robots;
b) la mise en place d’un fonds de compensation dont la fonction ne serait pas seulement de garantir un dédommagement lorsque les dommages causés par un robot ne sont pas couverts par une assurance;
c) la possibilité pour le fabricant, le programmeur, le propriétaire ou l’utilisateur de contribuer à un fonds de compensation ou de contracter conjointement une assurance afin de garantir la compensation des dommages causés par un robot et de bénéficier en conséquence d’une responsabilité limitée,
d) le choix entre la création d’un fonds général pour tous les robots autonomes intelligents ou la création d’un fonds individuel pour chaque catégorie de robot, ainsi que le choix entre un versement forfaitaire lors de la mise sur le marché du robot et des versements réguliers tout au long de la vie du robot;
e) la création d’un numéro d’immatriculation individuel, inscrit dans un registre spécifique de l’Union, afin de pouvoir toujours associer un robot au fonds dont il dépend; ce numéro permettrait à toute personne interagissant avec le robot de connaître la nature du fonds, les limites en matière de responsabilité en cas de dommages matériels, les noms et les fonctions des contributeurs et toute autre information pertinente;
f) la création, à terme, d’une personnalité juridique spécifique aux robots, pour qu’au moins les robots autonomes les plus sophistiqués puissent être considérés comme des personnes électroniques responsables, tenues de réparer tout dommage causé à un tiers; il serait envisageable de conférer la personnalité électronique à tout robot qui prend des décisions autonomes ou qui interagit de manière indépendante avec des tiers.
Pour l’heure, les robots n’ont donc d’existence propre qu’à travers la reconnaissance des trois lois définies par l’écrivain de science-fiction, Isaac Asimov et qui sont :
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- loi numéro 1 : un robot ne peut porter atteinte à un être humain ni, restant passif, permettre qu'un être humain soit exposé au danger ;
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- loi numéro 2 : un robot doit obéir aux ordres que lui donne un être humain, sauf si de tels ordres entrent en conflit avec la première loi ;
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- loi numéro 3 : un robot doit protéger son existence tant que cette protection n'entre pas en conflit avec la première ou la deuxième loi.
En France, un rapport parlementaire du 3 mars 2016 présenté par Messieurs Le Déaut et Sido et intitulé les robots et la loi aborde la question de la reconnaissance juridique du robot mais aussi la nécessité de réguler les activités résultant de leur utilisation.
Ce rapport n’exclut pas, par exemple, la création d’une législation spécifique comme celle mise en place à la suite du développement de l’Internet même si certains défendent le maintien de la législation actuelle quitte à l’étendre par la suite pour la rendre conforme aux évolutions scientifiques et techniques.
Tout semble dépendre de la capacité d’autonomie dans la prise de décisions dont seront capables les robots dans l’avenir.
Il est vrai que les activités liées au numérique en France depuis l’apparition de l’Internet ont généré des dispositifs législatifs foisonnants sur des questions qui ne sont pas étrangères au droit de la robotique comme la protection des données personnelles relevant de la loi « Informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée par la loi du 6 août 2004.
La doctrine, à l’instar de Me Bensoussan auteur d’un ouvrage sur la question, propose aussi d’adopter une définition du robot pouvant aboutir à la reconnaissance d’un statut juridique propre de celui-ci par l’intermédiaire de la consécration d’une charte des droits des robots.
Celle-ci en son article 1er parle du robot comme « d’une machine dotée d’intelligence artificielle, prenant des décisions autonomes, pouvant se déplacer de manière autonome dans
des environnements publics ou privés et agissant en concertation avec les personnes humaines ».
Nous voyons que le droit des activités de robotique est un droit en pleine construction et pourrait impacter de nombreux aspects de la vie en société.
Un récent rapport intitulé « France Intelligence Artificielle » montre que les entreprises spécialisées dans les activités numériques n’hésitent pas à investir dans le développement de la robotique et de l’intelligence artificielle.
Comme il est noté dans ce rapport : « le marché de l’IA pour les applications en entreprises est estimé à plus de 36 milliards de dollars d’ici à 2025 contre 643 millions de dollars en 2016 soit une tendance d’augmentation de plus de 50 % par an ».
Par ailleurs, en 2016, plus de 1600 startups spécialisées en intelligence artificielle étaient recensées dans le monde dont 270 en France depuis l’an 2000.
Les pouvoirs publics de différents pays dont la Corée du Sud et la Chine au premier plan ont lancé de grandes initiatives nationales afin de développer l’intelligence artificielle.
La France doit pouvoir aussi s’illustrer et s’insérer dans le marché de l’intelligence artificielle.
Le rapport note qu’en matière de robotique, la France dispose d’une excellente recherche et de PME performantes en la matière. Il est nécessaire pour cela d’intégrer le concept d’IA au secteur de la robotique afin de permettre aux robots de disposer de capacités d’autonomie pour l’exécution de diverses tâches.
Le rapport souligne aussi que pour ne pas dépendre en totalité des acteurs multinationaux, les acteurs industriels et académiques français doivent se fédérer. L’accès et l’exploitation des données personnelles est plus que nécessaire dans le développement de la robotique même s’il faudra prévoir un cadre réglementaire, comme nous l’avons évoqué plus haut, afin d’éviter que les données exploitées ne portent atteintes à l’intimité des personnes concernées.
Les données dans notre société actuelle mondialisée représentent un enjeu de pouvoir entre les Etats et les entreprises mais qui ne doit pas conduire à ignorer les personnes concernées par l’exploitation de celles-ci.
L’accès à la connaissance et au savoir ne doit pas être une question de pouvoir. La donnée personnelle doit faire l’objet d’une protection contre toute exploitation abusive car mêmes si les données sont des ressources dématérialisées comme le sont aussi l’eau ou l’air dans notre espace matériel, ces dernières ne peuvent faire l’objet d’une appropriation à des fins lucratives ou politiques.